« Amoureux de Paname ». Par Ronan Planchon

Entre 2010 et 2021, la capitale a laissé filer plus de 100.000 habitants, soit une baisse de 5 % en 11 ans. K Seisa/peopleimages.com / stock.adobe.com

 
Quand Renaud, artiste peu intéressé par les articles du Figaro, chante « Amoureux de Paname » en 1975, il décrit une ville où même le « béton » et le « macadam », même ses aspects les moins glamours ne suffisent pas à abîmer l’affection qu’on lui porte. Un demi-siècle plus tard, la donne a changé. La capitale pourrait perdre 2600 ménages par an d’ici 2050 et le 75 serait le seul département français à enregistrer une telle baisse (0,24 %), d’après deux études de l’Insee publiées mardi 27 mai.

Paris se vide lentement mais sûrement. Entre 2010 et 2021, la capitale a laissé filer plus de 100.000 habitants, soit une baisse de 5 % en 11 ans. Parmi ces exilés, les cadres occupent une place de choix. Ils sont surreprésentés dans la population active parisienne : 49,9 % des actifs de 15 à 64 ans contre 10,1 % au niveau national (Insee). En 2021, une étude de Cadremploi révélait que 82 % des cadres franciliens confessaient vouloir quitter la région, rêvant d’un ailleurs plus apaisé, lassés de l’insécurité, des appartements hors de prix, des RER bondés et des trottoirs sales. Ils aspirent à des horizons plus verts ou à des villes dans lesquelles le mètre carré ne coûte pas un bras. C’est plus confortable pour élever décemment un enfant, par exemple.

Les Parisiens, plus qu’ailleurs, reportent le moment de donner la vie : en 2024, on accouche en moyenne à 34,4 ans, contre 31,2 ans dans notre pays. L’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) est de 1,26 enfant par femme dans cette ville contre 1,62 pour l’ensemble de la France (Insee), chiffres qui devraient faire bondir nos gouvernants.
Cette évasion traduit un malaise profond : celui d’une classe sociale dépossédée, déclassée. Le statut masque une relégation. Sur l’échelle, déjà bancale, de la société, elle est descendue de quelques barreaux. Entre 1996 et 2023, le salaire des ouvriers a progressé de 15,9 %, de 10,6 % pour les employés et de + 0,5 %, en euros constants, pour les cadres (Insee).

Le déclassement n’est pas seulement économique. Le cadre parisien, biberonné aux promesses d’ascension sociale, se heurte à une réalité où le diplôme ne garantit plus ni confort ni prestige. Il ne fuit pas seulement les loyers prohibitifs ou les embouteillages mais un modèle social, un monde dans lequel le « travail ne paye plus », pour reprendre le titre du livre remarqué d’Antoine Foucher (L’Aube, 2024), laissant place à une société d’héritage et de rente. « La fortune héritière représente 60 % du patrimoine total contre 35 % dans les années 1970 », expliquait le spécialiste des questions sociales dans « Le Figaro » en 2024. Le cadre quitte aussi les réunions Zoom interminables, les longues heures dans des open spaces en flex office et les tâches ingrates qui donnent le sentiment que Paris est devenue une machine à broyer les espoirs.

Selon Philippe d’Iribarne, auteur du « Grand Déclassement » (Albin Michel, 2022), « l’impression d’être considéré comme un simple exécutant dans son travail crée une forme de frustration et de ressentiment ». Dans son « Éloge du carburateur » (La Découverte, 2009), Matthew Crawford pointait déjà du doigt la dégradation des conditions de travail d’une élite qui ne l’est plus : « Manipuler des abstractions n’est pas la même chose que penser ». On n’a pas envie de se tuer à la tâche dans ces conditions-là, ni même de rester 20 ans dans son entreprise. Résultat : 12 % des cadres franciliens changent d’emploi chaque année, note l’Apec (Association pour l’emploi des cadres).

Déçus, ils ruminent une colère sourde qui s’effiloche en rébellion molle : abstention (52 % des cadres n’ont pas voté aux européennes de 2024), cynisme, érosion du désir. Ils se replient, abandonnent les grandes ambitions politiques ou familiales pour de petits projets, une start-up éphémère ou une épicerie bio. Dans « La Révolte des premiers de la classe, métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines » (Arkhê, 2017), le journaliste Jean-Laurent Cassely avait montré que les hippies post-soixante-huitards d’hier, partis élever des chèvres dans la Larzac, sont maintenant des surdiplômés, des cadres usés partis vendre des quiches au chèvre dans un troquet. Certains se tournent vers des refuges plus ou moins marginaux, l’écologie radicale ou les retraites spirituelles.

RN , premier parti des cadres 

Cette révolution à bas bruit se fait aussi dans les urnes. Aux élections européennes de 2024, le RN est devenu pour la première fois de l’histoire le premier parti des cadres. Il a gagné 7 points de plus par rapport à 2019 chez eux, passant de 13 % à 20 % des voix. Quand on a un salaire qui se rapproche de celui d’un ouvrier, on vote comme un ouvrier.

À quoi ressemblera Paris dans 25 ans ? Les projections de l’Insee dessinent une capitale vieillissante, où les jeunes et les familles seront moins nombreux. La quantité de personnes vivant seules va passer de 51,7 % à 54,5 % de 2018 à 2050.

Pour le dire vite, une ville essentiellement composée de SENIORS aisés, de TOURISTES , de LIVREURS Deliveroo et d’ETUDIANTS en quête de frissons urbains. Au milieu, la France des cadres déclassés est priée de gérer sa frustration en silence.
© Ronan Planchon

Source: Figaro Vox

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