
Pourquoi Israël ?
C’est une question qu’on ne pose plus, tant le mensonge est devenu la langue naturelle de l’époque. On nous dit : peuple spolié, terre volée. On nous répète, comme une litanie pavlovienne, l’histoire d’une Palestine humiliée. Mais que sait-on de ce qui fut avant ? Avant 1948, avant l’irruption d’Israël, ce miracle arraché aux cendres ? Rien qu’un lambeau d’empire, un territoire fatigué, sans souveraineté, sans nation, sans projet, un monde de tribus, de clans, de minorités flottantes, où l’identité n’était pas nationale mais religieuse, où le sol n’était pas une patrie mais un espace, un décor mouvant, indifférent aux modernes passions identitaires.
Et pourtant, au moment même où Israël surgit, c’est tout un ordre ancien qui se fendille. Ce n’est pas seulement un territoire qui échappe, c’est une domination spirituelle qui vacille. Car pour l’Islam, l’existence d’un État juif est plus qu’un scandale : c’est un sacrilège, un renversement. Depuis les croisades, depuis les défaites, depuis la lente agonie ottomane, l’Occident n’a cessé d’incarner l’agresseur, l’humiliateur. Israël, enfanté par l’Europe expiatoire, porté par l’Amérique triomphante, n’est pas seulement l’ennemi : il est la résurgence, l’incarnation insupportable d’une blessure jamais refermée.
La Palestine, dès lors, n’est pas qu’une cause. Elle est un miroir, une revanche, une liturgie de la perte transformée en arme politique. Derrière chaque pierre jetée, derrière chaque slogan, ce n’est pas seulement une revendication de territoire : c’est une mémoire archaïque qui hurle, un ressentiment qui remonte des siècles, une haine tatouée au cœur. Israël est haï parce qu’il est là, parce qu’il est debout, parce qu’il prospère, parce qu’il nie l’effacement auquel l’histoire semblait l’avoir condamné.
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Et l’Europe, que fait-elle ? Elle vacille, elle gémit, elle s’excuse. Après la Shoah, elle avait cru pouvoir réparer. Mais l’Europe est une vieille femme lasse, qui ne croit plus à rien, ni à elle-même, ni à ses dieux, ni à ses enfants. Elle est passée d’une repentance à l’autre, abandonnant Israël sur l’autel d’un universalisme vidé de sens. L’intellectuel européen, post-marxiste sans mémoire, voit dans le Palestinien l’image sublimée du damné de la terre, dans l’Israélien le nouveau visage de l’oppresseur. Il s’aveugle, il se punit, il s’accroche à ses fictions morales pour ne pas voir la brutalité nue du réel.
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Mais ce conflit n’est pas une querelle de frontières. Il n’a jamais été une simple affaire de cartes, de lignes, de territoires disputés. C’est un affrontement d’êtres, de récits, de mythes. Israël est un défi à l’ordre ancien, une fissure dans l’architecture spirituelle du monde musulman. Il est la présence intolérable d’un peuple qui refuse de mourir, qui affirme son droit d’exister au milieu d’un espace qui le nie.
Et tant que l’Europe, et le monde, refuseront de voir cette nudité essentielle, ils continueront de négocier dans le vide, de répéter les mêmes prières creuses, de convoquer les mêmes conférences funéraires. Car ici, dans ce conflit, se joue non pas une simple querelle politique, mais une guerre des âmes, une guerre des destins, une guerre où l’histoire elle-même, fatiguée de ses mensonges, attend le moment de tomber le masque.
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À la fin, il ne restera qu’une question : qui a le droit de vivre ? Qui a le droit de durer ? Et cette question-là, ni les diplomates, ni les poètes, ni les humanitaires ne peuvent y répondre. Elle appartient à cette part tragique de l’histoire que nous feignons d’avoir oubliée, mais qui, patiemment, nous attend.
© Charles Rojzman
Vient de paraître: « Les Masques tombent, le réel, arme secrète de la démocratie »

Quatrième de couverture :
« Sous les secousses visibles d’une époque en crise, quelque chose de plus profond vacille. Une âme. Celle d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il cherche, ni ce qu’il fuit.
Dans l’âme de fond d’une société en crise, l’auteur descend au plus intime de la tempête. Il ne s’attarde pas aux symptômes — désordres politiques, fractures sociales, angoisses climatiques — mais tente d’en écouter le souffle souterrain, ce murmure confus d’une civilisation en perte de sens.
Quel est ce mal diffus qui ronge les sociétés modernes ? Quelle fatigue secrète traverse les individus, les peuples, les discours ? Et si la véritable crise n’était pas tant celle des systèmes, mais celle du cœur, de l’imaginaire, du lien ?

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