J’ai un peu baissé la garde ces dernières semaines, je m’autorise, parfois, à consulter le visage nu, sans masque.
La lassitude, la fatigue de respirer mon gaz carbonique toute la journée.
Un bel été caniculaire qui n’incite pas à se couvrir.
Un besoin d’insouciance.
A tort, sans doute.
Les cas de Covid se multiplient depuis la rentrée.
Chaque jour.
Ce satané virus n’a pas dit son dernier mot.
…
Aux premiers mois de l’épidémie, en 2020, je l’avais souvent vue.
Une frêle adolescente, peu causante.
Son problème était complexe et il avait fallu l’accompagner. L’hôpital tournait au ralenti, concentré sur les services de réanimation débordés. Le parcours avait été difficile.
Je ne voyais pas le bout du tunnel.
Nous étions comme en apnée, masqués, casqués, gantés, en pyjamas de bloc.
Chaque jour était une petite victoire.
Progressivement, son cas s’est stabilisé puis amélioré.
Nous avions gagné. Elle avait gagné.
Plus besoin de la voir si souvent.
…
Hier après-midi midi, cela faisait un an qu’elle n’avait pas consulté.
La frêle adolescente était devenue demoiselle.
« _ Tout va bien ?
_ Tout va bien… Vous savez, Docteur… C’est la première fois que je vous vois pour de vrai…
_ Comment ça, pour de vrai ?
_ Eh bien… Pour de vrai … Votre visage … Je ne l’avais jamais vu … Le masque…
_ Hhmm…Oui, oui… »
Je n’ai pas su quoi répondre, un peu déstabilisé.
Je me suis contenté de sourire.
Un silence.
Elle a poursuivi :
« Je ne vous avais jamais vu sourire, non plus. »
…
Je vais devoir remettre le masque.
Mon sourire disparaîtra.
Une nouvelle vague ? Une vaguelette ?
Je ne sais pas.
Parmi les dégâts qu’a pu faire ce virus, cet effacement du visage de l’autre n’a pas été le moindre.
Merci à tous ces malades qui nous ont fait confiance malgré nos visages masqués, anonymes, sans émotions.
© Daniel Sarfati
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