« Voici, parmi tant d’autres, une victime du wokisme. Il s’appelle Christian Rioux, il a été pendant trente ans le correspondant à Paris du quotidien québécois Le Devoir, important quotidien dit de référence au Québec, et vient d’en être éjecté. Le Devoir était de centre gauche (forcément de centre gauche si l’on est « de référence »…), mais pas plus. Et voilà que depuis quelques années, le vent wokiste qui s’est mis à souffler sur l’ensemble du monde occidental a atteint les rives du Québec pour, entre autres, souffler dans les couloirs du vénérable centenaire. Et balayer Christian Rioux. Lisez sa dernière chronique (non publiée par Le Devoir, évidemment) et ses explications. C’est édifiant. Bon vent, Christian ». Julien Brünn
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Christian Rioux explique les raisons de son congédiement du « Devoir »…
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Vous êtes nombreux à vouloir connaître le détail de mon congédiement, car il s’agit bien d’un congédiement.
Vous vous doutez que depuis le changement de direction, je n’étais pas dans les grâces de la nouvelle équipe. Cela s’est rapidement manifesté par de petits signes qui ne trompaient pas.
Des papiers qui normalement faisaient la Une se retrouvaient dans le fond du journal, mes grandes entrevues n’intéressaient plus la rédaction («Toi et tes intellectuels français ! », dixit la rédactrice en chef Marie-Andrée Chouinard).
Il y a trois ou quatre ans, pour la première fois, on me refuse de couvrir les élections britanniques et allemandes comme je l’avais pourtant fait sans discontinuer depuis les années 1990. C’est à cette époque que la rédactrice en chef a décidé de resserrer son contrôle sur les chroniqueurs.
On m’a par exemple refusé une chronique sur le changement de nom des « Dix petits nègres » d’Agatha Christie. C’était un mois exactement avant que ce débat n’éclate au Québec avec la suspension de Verushka Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa.
Il y a deux ans, ce contrôle s’est encore resserré, virant en une sorte de guérilla permanente. Il me fallait dorénavant justifier chaque mot. Impossible d’évoquer un « baiser volé » dans un texte sous peine de se voir accusé de justifier les agressions sexuelles.
Impossible de rappeler que dans de nombreux pensionnats autochtones, les religieuses enseignaient les langues autochtones sans devoir tout justifier.
« Le Devoir » se montre alors plus sensible aux petits groupes de militants qui me harcèlent sur les réseaux sociaux qu’à soutenir son journaliste. Ce harcèlement me vaudra trois poursuites devant le Conseil de presse en un peu plus d’un an (que j’ai toutes gagnées) alors que je n’en avais jamais eu une seule depuis que je suis journaliste.
Lors de la dernière, alors qu’on m’accuse d’entretenir des préjugés (racistes), « Le Devoir » a refusé de me soutenir en appel et j’ai donc dû me défendre seul, contrairement à la tradition qui veut qu’un journal défende toujours son journaliste. J’ai heureusement gagné.
C’est le même genre de censure qui explique le départ en catastrophe de Normand Baillargeon à qui on avait demandé de réécrire de manière plus « politiquement correcte » une de ses chroniques sur la théorie du genre et les trans.
Ce harcèlement s’est accentué avec la mise en place d’un groupe de « fact checking » qui est aussi en partie un comité de censure destiné à remettre les chroniqueurs dans la droite ligne. Comme par hasard, sous prétexte d’éthique, ce « fact checking » s’exerce minutieusement sur tous les textes qui concernent l’islam, l’immigration ou le genre, mais à peu près pas sur ceux qui concernent la politique française, la culture ou l’Union européenne.
Depuis un an, je suis convaincu qu’on n’attendait qu’une chose, que je claque la porte moi aussi. Et on a tout fait pour. À commencer par m’interdire de couvrir les dernières législatives françaises.
Pour l’anniversaire de l’attentat du Bataclan, on a commandé dans mon dos un article à un pigiste sans m’en informer. Il y a un mois, je décroche une entrevue exceptionnelle avec l’ex-otage israélien Eli Sharabi qui a passé 18 mois dans les tunnels du Hamas, on me la refuse ! Elle ne cadrait pas dans la politique pro-Hamas du journal.
À quelques reprises, on s’est même permis de faire des corrections majeures dans ma chronique sans m’en avertir, y introduisant même parfois des erreurs.
Last but not least, depuis trente ans, tel que convenu avec l’ancien directeur Bernard Descôteaux, ma rémunération avait toujours suivi grosso modo celle des journalistes du « Devoir ». À chaque nouvelle convention, on me versait donc une rétro comme à mes collègues. Cette année, on a supprimé unilatéralement ces versements sans la moindre explication.
Je réalise aujourd’hui que l’annonce de la décision de me congédier n’attendait probablement que la reconduction de Brian Mile à la direction du journal pour cinq ans et la fin de la campagne de financement qui vient de se clore.
Une semaine avant Noël, c’est aussi pas mal pour étouffer l’affaire.
On me l’a donc annoncée mardi en prétextant mes « mauvais rapports avec les correcteurs ». Comme si un journaliste était en plus tenu d’avoir de bons rapports avec ses censeurs !
Lors de cette rencontre, on m’a proposé d’acheter mon silence en échange de deux mois de rémunération et de la signature d’un contrat dans lequel je m’engagerais à ne rien dire sur « Le Devoir ». Moi qui n’ai jamais signé le moindre contrat avec « Le Devoir » en trente ans, tellement la confiance entre nous était forte !
© Christian Rioux
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La dernière chronique de Christian Rioux … qui ne sera pas publiée dans « Le Devoir »
« Le Devoir et la censure »

Cela se passait au coin d’Ontario et de Viau à deux pas du terrain vague d’une zone industrielle où poussaient des herbes folles. Il habitait à deux pas avec sa mère au troisième étage d’un immeuble où l’on gelait l’hiver. Pour des raisons qui seraient longues à expliquer, il passa cette année-là loin de l’école à errer dans ce quartier ouvrier où les enfants se chamaillaient dans les ruelles et parlaient une langue noble et savoureuse. C’est là que, sortant de ses rêveries, il se rappela que « Le Devoir » était le journal de son grand-père. Il se rendit donc au coin d’Ontario et Viau déposer son petit dix cents dans la fente d’une boîte à journaux ouverte aux quatre vents, à la pluie comme aux rafales de poudrerie. C’est ce qu’il fit quotidiennement durant toute cette année où le journal remplaça ses manuels scolaires. Le livre du peuple, dit-on.
Par pudeur peut-être, j’ai rarement cédé à cette facilité qui consiste chez tant de chroniqueurs à se vautrer dans les anecdotes personnelles et à étaler sa vie de long en large. J’espère qu’on me pardonnera cet écart pour cette dernière chronique qui ne paraîtra pas dans « Le Devoir » puisque celui-ci, après 30 ans de loyaux services, ne veut plus de votre humble serviteur. J’avais treize ans à peine et l’on comprendra la fierté qui fut la mienne lorsque des années plus tard je devins le premier correspondant à Paris de ce journal qui occupait jusqu’à tout récemment une place à nulle autre semblable au Québec. À cette époque, « Le Devoir » était encore ce quotidien de référence qui dans la tradition des Laurendeau, Ryan et Bissonnette parlait au pouvoir. Il lui parlait de notre survie comme peuple, de notre langue, de notre avenir économique et même de souveraineté.
Il suffit de ces quelques mots pour mesurer le fossé qui s’est creusé depuis peu entre ce journal et celui qui défile aujourd’hui sur votre écran. Lentement, sans qu’on s’en aperçoive, il s’est enfermé dans une bien-pensance idéologique qui le fait parfois ressembler au journal étudiant du CÉGEP où j’ai commencé à écrire. Lentement, imperceptiblement, une sorte de carcan idéologique et d’entre-soi s’est imposé. Plus grave encore, il n’est plus ce lieu où devraient s’affronter les idées qui feront le Québec de demain.
Il ne s’agit pas de dénigrer le professionnalisme de ses chroniqueurs et journalistes. Force est pourtant de constater que, malgré ces talents, lentement s’est installée une forme de conformisme et même de censure qui cherche insidieusement à susciter l’autocensure. Une censure où celui qui ose sortir du rang doit dorénavant se battre pied à pied pour défendre chaque mot, chaque figure de style, chaque phrase de ses articles face à une direction qui a cédé au diktat des minorités et au qu’en-dira-t-on des réseaux sociaux. Surtout ne pas faire de bruit, ne pas susciter de controverse.
« Le Devoir » est devenu un journal où contrairement à ce que clame sa publicité, la liberté de penser se porte mal. Il m’arrive parfois de relire certains de mes articles écrits il y a dix ans à peine et de conclure qu’ils ne passeraient plus l’épreuve des censeurs. Mon tort aura été de penser le contraire. Je ne suis pas le seul chroniqueur à avoir fait les frais de cette nouvelle censure. Depuis un an, d’autres n’ont eu d’autre choix que de claquer la porte. Et ils risquent de ne pas être les derniers.
Au moment de rendre mon tablier, mes remerciements les plus sincères vont à notre chère Lise Bissonnette sans qui rien n’aurait été possible, aux regrettés Bernard Descôteaux et Jean-Robert Sansfaçon, à mes rédacteurs en chef Josée Boileau, Michel Venne et Claude Beauregard, à l’ex-directrice du cahier Livres, Marie-Andrée Lamontagne, ainsi qu’à tous les autres pour qui la liberté de penser n’est pas un vain mot. À ces lecteurs fidèles qui, même s’ils sont parfois en désaccord avec mes prises de position un peu rudes, croient que la vérité ne peut surgir que d’un débat franc et honnête : nous nous retrouverons.
Nul doute que ce journal reprendra ses esprits, renouera avec sa mission historique et retrouvera son âme. Je ne crois pas trahir mon grand-père en disant que le Québec en a cruellement besoin.
Paris, 18 décembre 2025
© Christian Rioux

J’aimais bien vous lire. Je souhaite que vous trouviez rapidement une autre plate-forme où apporter vos lumières.
Abonné au Devoir depuis 1965,je lui verse encore mensuellement plus de 40$. Je lis toutes les chroniques même celles avec lesquelles je ne suis pas d’accord.La diversité d’opinions c’est primordial en ce qui me concerne. Le congédiement de Christian Rioux m’attriste autant qu’il me courrouce. Le seul pouvoir que j’ai,c’est de mettre fin à mon abonnement.
Le DEVOIR, OUEST FRANCE, etc….