
En France, depuis quelques années, les universités et les grandes écoles sont soumises à la pression croissante de minorités actives, qu’on peut caractériser comme wokistes ou islamo-gauchistes, et qui peuvent exercer ici ou là une véritable dictature idéologique. Sur de nombreuses questions, à commencer par le conflit israélo-palestinien ou la menace islamiste, la liberté d’expression et la liberté de débattre sont interdites de fait. Le pluralisme des opinions a été remplacé par l’imposition des convictions idéologiques de minorités partageant une même haine d’Israël et une même admiration pour la « résistance armée » d’une organisation islamiste comme le Hamas. C’est le cas de Sciences Po Paris qui, sous couvert de vertueux appels à la diversité et à l’inclusion, a basculé dans la culture du soupçon, de l’intolérance, de la dénonciation et de la mise à l’écart des « mal-pensants ».
Pour mesurer le degré de wokisation de Sciences Po Paris, le mieux est de jeter un œil sur l’annonce jargonnante datée du 4 mars 2024, involontairement comique, du mois de mars 2024 présenté par la « Direction de l’engagement » de l’établissement comme « Le Mois de la diversité et de l’inclusion de Sciences Po ». L’américanisation politico-culturelle de style woke du célèbre établissement parisien y trouve une illustration saisissante, prouvant que le ridicule ne tue plus, même en France :
« En mars, plusieurs journées internationales importantes sont célébrées et ont comme point commun de combattre les discriminations et prôner une société plus inclusive et plus égalitaire. La Direction de l’engagement de Sciences Po a décidé pour la toute première fois d’organiser le Mois de la diversité et de l’inclusion. À cette occasion, tout Sciences Po s’est mobilisé pour proposer des conférences, des ateliers, des rencontres, des expositions, des projections, des pièces de théâtre… Ce Mois a pour ambition de promouvoir l’égalité, la diversité et l’inclusion, faire comprendre les mécanismes et enjeux liés aux différentes discriminations, puis finalement mobiliser et inciter à l’action. Un programme riche qui fait écho à la diversité de notre institution, de ses engagements et de ses valeurs. (…)
LES ÉVÉNEMENTS RÉSERVÉS AUX SALARIÉS
• 5 mars : Queer Coffee & Friends, un rendez-vous chaque premier mardi du mois de 13 h à 14 h pour discuter de sujets LGBTQIA+ en toute bienveillance. La première réunion aura lieu à la Maison des Sciences Po (campus 1 Saint-Thomas)
• 19 mars : Atelier de sensibilisation à la lutte contre les discriminations pour les managers (…) »
En milieu étudiant comme en milieu enseignant, la majorité silencieuse laisse faire, elle laisse les sectaires et les fanatiques, sans oublier les imbéciles, imposer leurs certitudes et crier leurs slogans. Le manichéisme règne, barrant la route aux nécessaires débats, remplacés par la concurrence des victimes. La désidéologisation des majorités s’ajoute à la démission et à la lâcheté conformiste des autorités administratives wokisées pour laisser le champ libre aux minorités tyranniques. Ce que j’ai appelé l’islamo-palestinisme semble dès lors être devenu l’idéologie dominante dans de nombreux établissements universitaires, où l’on enseigne notamment la fumeuse théorie du genre dans la perspective du néo-féminisme intersectionnel ou le décolonialisme, et où l’on dénonce la laïcité « liberticide » et « islamophobe » ou l’« intégrisme républicain », en idéalisant la société multiculturelle érigée en voie du salut.
Le 12 mars 2024, à Sciences Po Paris, l’occupation de l’amphithéâtre Émile-Boutmy, rebaptisé « Gaza », par des activistes pro-Hamas a illustré cette inquiétante dérive sectaire. « Ne la laissez pas entrer, c’est une sioniste » : c’est ainsi qu’une étudiante, membre de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), a été interdite d’accès à la salle dans laquelle les étudiants étaient supposés débattre. Cette étudiante juive a précisé que les activistes propalestiniens lui avaient dit, après l’avoir identifiée : « Toi, tu rentres pas ! (…) On te connaît. » La discrimination d’une personne en raison de ses opinions divergentes est ici caractérisée. Tout écart par rapport au consensus anti-israélien et plus largement antisioniste est perçu comme intolérable. C’est que la dénonciation du « génocide des palestiniens » constitue le principal thème d’accusation du discours antisioniste depuis le 7 octobre 2023. Il vise à faire oublier les massacres et les viols alors commis par les islamo-terroristes du Hamas.
Dès le 12 mars, la candidate du mouvement La France insoumise (LFI) aux élections européennes Rima Hassan, égérie franco-palestinienne des mouvances islamo-gauchistes, a apporté sur X son « soutien à tous les étudiants-es et à toutes les facultés qui se mobilisent contre le génocide en cours » (en ajoutant : « À votre dispo – votre révolte est saine et belle »), suivie le lendemain par le député LFI Aymeric Caron qui a adressé, également sur X, un « bravo aux étudiants de Sciences Po qui se mobilisent contre le génocide en cours à Gaza ». Connu pour ses appels sloganiques « contre l’épuration ethnique et le projet génocidaire israélien », le collectif de gauche radicale « Urgence Palestine », appelant à une manifestation de soutien aux étudiants propalestiniens devant les locaux de Sciences Po le 14 mars, a diffusé ce message sur X : « Dénoncer le génocide n’est pas un crime. » L’inversion victimaire est ici parfaitement illustrée : victimes d’un méga-pogrom jihadiste le 7 octobre, les Israéliens sont accusés de « génocide », présenté comme un « projet » en cours de réalisation à Gaza.
Islamo-gauchisme, pseudo-antiracisme et antisionisme
Qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ? Un ensemble d’alliances stratégiques et de convergences idéologiques entre des groupes d’extrême gauche et diverses mouvances islamistes. Qu’est-ce qu’un islamo-gauchiste ? C’est soit un militant d’extrême gauche qui s’allie avec des groupes islamistes au nom de certaines causes supposées révolutionnaires (anticapitalisme, anti-impérialisme, antisionisme, etc.), soit un islamiste qui se rapproche de l’extrême gauche pour des raisons tactico-stratégiques, en épousant certains de ses thèmes mobilisateurs.
Dans les deux cas, l’antiracisme est invoqué. Tout islamo-gauchiste prétend lutter contre le racisme. Mais le « racisme » qu’il combat est avant tout le « racisme systémique », censé structurer les sociétés occidentales, dites encore « blanches ». Il s’ensuit que l’antiracisme des islamo-gauchistes se réduit au projet de détruire les sociétés occidentales accusées d’être intrinsèquement racistes. L’ennemi désigné est donc l’Occident et les sociétés occidentalisées. La « lutte contre le racisme » se transforme en lutte contre le « racisme systémique » ou contre toutes les discriminations dites « systémiques » (de race, de genre, de religion, etc.).
Comme les idéologues décoloniaux, les islamo-gauchistes contemporains ont repris à leur compte cette vision antiraciste du monde, dans laquelle le « racisme systémique » est censé se manifester par un racisme sociétal et un « racisme d’État » caractérisant les sociétés occidentales. Mais ils ne s’en tiennent pas là. Leur thèse fondamentale est que le « racisme d’État » est avant tout une « islamophobie d’État ». Dès lors, la lutte contre le racisme tend à se réduire à la lutte contre l’islamophobie. Il y a là un alignement sur la propagande islamiste.
Ils y ajoutent ce que j’appelle la thèse de la substitution, qui postule que, dans les sociétés occidentales, l’antisémitisme a été aujourd’hui remplacé par l’islamophobie. La lutte contre l’islamophobie doit donc selon eux remplacer la lutte contre l’antisémitisme. Ils peuvent dès lors dénoncer la lutte contre l’antisémitisme comme une stratégie d’occultation et de diversion permettant de détourner l’attention de la véritable menace, l’islamophobie, et du véritable racisme qui est à leurs yeux le « sionisme », un sionisme fantasmé et diabolisé. C’est ainsi que l’islamo-gauchisme s’inscrit dans le champ de la propagande antisioniste.
Variantes historiques
L’islamo-gauchisme, qui désigne une tradition révolutionnaire de gauche, constitue une catégorie générale comprenant plusieurs variantes historiques : islamo-communisme, islamo-tiers-mondisme, islamo-altermondialisme, islamo-décolonialisme, islamo-wokisme. L’islamo-gauchisme a une préhistoire, qui commence en 1920 avec la collusion islamo-bolchevique, et une histoire, qui commence en 1978-79 avec l’alliance islamo-communiste en Iran.
Dans la préhistoire de l’islamo-gauchisme, il faut d’abord remonter au premier « congrès des peuples de l’Orient », organisé du 1er au 8 septembre 1920 à Bakou par l’Internationale communiste qui venait d’être créée. C’est alors que Lénine définit l’islam comme la religion de « nations opprimées », voire comme une religion opprimée. Il fallait donc se garder d’offenser les sentiments religieux des paysans musulmans pauvres. Le camarade Zinoviev déclara qu’il fallait « susciter une véritable guerre sainte [jihad] contre les capitalistes anglais et français ». Ce fut l’une des premières apparitions d’une convergence islamo-communiste au nom de l’anti-impérialisme. Mais l’idylle a rapidement mal tourné. En 1923, Staline fait arrêter le dirigeant tatar Mirsaid Sultan Galiev, partisan d’un communisme national musulman.
C’est également sous le signe de l’anti-impérialisme que se tint la conférence de Bandung (18-24 avril 1955), la première conférence afro-asiatique qu’on peut considérer comme l’événement fondateur du tiers-mondisme, qui se développera sur la base d’un rejet du colonialisme, de l’impérialisme et du racisme, et donnera une assise idéologique à l’antisionisme radical et à l’anti-occidentalisme qu’on retrouvera plus tard dans le décolonialisme.
Il faut ensuite souligner l’importance de la Révolution khomeyniste, lorsqu’en 1978-1979 le Parti communiste iranien (le Toudeh), comme tous les groupes de l’opposition de gauche au Shah, a soutenu les islamistes chiites dans leur conquête du pouvoir, sous les applaudissements d’une partie des élites intellectuelles occidentales (dont Michel Foucault, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir), qui y voyaient un nouveau modèle de révolution, supposée dotée d’une dimension « spirituelle ». Les communistes iraniens, comme d’autres formations de gauche, ont cru pouvoir jouer la carte de l’alliance avec les islamistes iraniens. Mais après quatre ans de collaboration avec le pouvoir islamiste, le Toudeh fut brutalement détruit en 1983 sur l’ordre de Khomeiny.
Il faut enfin pointer les rapprochements entre islamistes et révolutionnaires marxistes dans les années 1990 à la faveur du mouvement altermondialiste, dans lequel se sont investies notamment des organisations trotskistes, tel, en Grande-Bretagne, le Parti socialiste des travailleurs, le SWP (Socialist Workers Party). À l’automne 1994, Chris Harman, qui fut l’un des dirigeants de ce parti révolutionnaire, publie un long article intitulé « Le Prophète et le Prolétariat ». Dans ce texte, Harman théorise une alliance stratégique, mais conditionnelle et conjoncturelle, entre socialistes révolutionnaires et islamistes, notamment sur les fronts de l’anti-impérialisme et de l’antiracisme.
Il arrive aussi que des communistes se convertissent à l’islam : ce fut le cas du terroriste marxiste-léniniste Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos. L’itinéraire du camarade Carlos est emblématique : ce militant communiste d’origine vénézuélienne, tiers-mondiste et terroriste international, s’est converti à un islam de combat après avoir épousé la cause palestinienne. Il s’est ensuite reconnu dans le terrorisme jihadiste d’Al-Qaïda, déclarant le 1er novembre 2001 qu’il a éprouvé « un profond soulagement en voyant les héroïques opérations de sacrifice du 11 septembre 2001 » et rendant ainsi hommage au chef charismatique du groupe jihadiste : « Cheikh Oussama Ben Laden est le modèle du moudjahid. C’est un martyr vivant, un pur. » L’anti-impérialisme constitue sa principale motivation, qui justifie ce qu’il appelle lui-même des « convergences » idéologiques : « Tous ceux qui combattent les ennemis de l’humanité, à savoir l’impérialisme états-unien, les sionistes, leurs alliés et leurs agents, sont mes camarades. »
L’antisionisme radical au cœur de l’islamo-gauchisme
Dans le discours de propagande islamo-gauchiste, on trouve un balancement stratégique entre la présentation compassionnelle du musulman-victime (du colonialisme, du racisme, etc.) et la célébration héroïsante du musulman-rebelle, du moudjahid, du combattant pour la foi. D’une part, la figure victimaire du colonisé-discriminé- « racisé » et, d’autre part, celle du justicier-guerrier, le jihadiste, transfiguré en « résistant ». Les islamo-terroristes du Hamas peuvent être ainsi célébrés comme des « résistants ».
On y trouve aussi les thématiques anti-impérialiste et antisioniste, mais l’ennemi principal est l’Occident capitaliste, colonialiste et « raciste », le racisme étant un attribut des seuls « Blancs » (« sionistes » compris) et le « racisme systémique » le propre des « sociétés blanches ». Tel est le dogme fondamental des idéologues décoloniaux et identitaires qui se réclament de l’ « antiracisme politique », antiracisme hémiplégique masquant un racisme anti-Blancs non assumé et un antisionisme radical, visant la destruction d’Israël, accusé d’être un « État raciste » ou « d’apartheid ». La plupart des pays du « Sud global » se sont ralliés à la cause palestinienne et, depuis la riposte militaire israélienne aux massacres du 7 octobre, accusent Israël non seulement de « nettoyage ethnique » mais encore et surtout de « génocide » des Palestiniens.
J’ai forgé l’expression « islamo-gauchisme » au tout début des années 2000 pour désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche (que j’ai qualifiés de « gauchistes » pour faire court), au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle grande cause révolutionnaire. Il s’agit donc d’un terme descriptif, référant à un phénomène idéologico-politique observable, notamment sous la forme de manifestations « antisionistes » rassemblant des représentants de groupes islamistes (Hamas, Jihad islamique, Hezbollah) et des militants d’extrême gauche, principalement trotskistes, mais aussi des « altermondialistes ».
Telle que je l’ai observée et analysée en 2000-2002, cette alliance stratégique contre un ennemi commun, Israël ou « le sionisme », se fondait sur une image victimaire du Palestinien, qui commençait alors, dans les mouvances d’extrême gauche, à être transférée sur le Musulman, en se fondant sur l’axiome selon lequel l’islam est la religion des pauvres, des opprimés et des victimes, tant du colonialisme et de l’impérialisme que du racisme. Dès lors, le péché majeur est l’islamophobie. Être propalestinien, dans la perspective gauchiste, c’est être à la fois antisioniste, anti-impérialiste et islamophile.
Il y a là une rupture de tradition de grande importance. Alors que, dans la culture politique de l’extrême gauche, la religion était « l’opium du peuple » qu’il fallait dénoncer, la nouvelle alliance islamo-gauchiste rompt avec cet athéisme militant, mais au seul profit de l’islam politique, perçu comme une force révolutionnaire, voire comme la seule nouvelle force révolutionnaire. Le premier moment de l’alliance islamo-gauchiste est contemporain de la seconde Intifada et de l’essor du mouvement altermondialiste : les antisionistes et les militants altermondialistes voyaient dans les milieux islamistes des alliés possibles, voire nécessaires.
On a assisté à la formation d’une configuration islamo-altermondialiste au cours des années 1990 et au début des années 2000. Dès la fin des années 1990, le Frère musulman d’honneur Tariq Ramadan, qui sera invité à tous les Forums sociaux européens, avait compris qu’il pouvait exploiter l’anticapitalisme supposé partagé par les islamistes et les altermondialistes marxisants, sur fond d’anti-occidentalisme (ou d’hespérophobie), centré sur un anti-américanisme radical.
Le contexte international était marqué d’abord par la catastrophique conférence de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance (tenue du 2 au 9 septembre 2001), qui fut un festival de haine antijuive centrée sur la diabolisation du « sionisme » par des centaines d’ONG propalestiniennes, ensuite par les attentats du 11-Septembre commis par une organisation jihadiste, Al-Qaida, dont l’objectif déclaré était de combattre la « coalition judéo-croisée » ou l’« alliance sioniste-croisée ». La fameuse déclaration fondatrice, publiée le 23 février 1998, du « Front islamique mondial pour le jihad contre les Juifs et les Croisés » avait marqué l’entrée dans une nouvelle phase de l’islamisme radical, caractérisée notamment par la désignation des Juifs comme incarnant l’ennemi absolu.
L’ennemi était le même pour les islamistes et pour les nouveaux gauchistes, mais il ne portait pas le même nom : les premiers désignaient « les Juifs », les seconds « les sionistes ». Tous se disaient anticapitalistes et anti-impérialistes. Cette mouvance hybride trouvait alors sa raison d’être dans des convergences idéologiques et des alliances stratégiques autour de ce que j’ai appelé l’ « antisionisme radical » ou « absolu », dont l’objectif est la destruction d’Israël. Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels consensuels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis » ou « sionisme = racisme ». Le cri « mort aux Juifs » venait agrémenter ces spectacles islamo-gauchistes qu’étaient les manifestations propalestiniennes, dès octobre 2000.
La dimension antijuive de ces manifestations était frappante, ainsi que l’importance prise par la nazification des « sionistes » et plus largement des Juifs, destinée à faire entendre ce message résumant l’inversion victimaire en cours : les Juifs-sionistes sont les nouveaux nazis, tandis que les Palestiniens sont les nouveaux Juifs. L’instrumentalisation et le dévoiement de l’antiracisme consistaient alors à lui donner le visage de l’antisionisme, fondé sur l’image du Palestinien victime d’un « sionisme » fantasmé. Ces thèmes de la propagande palestinienne étaient intériorisés par toute l’extrême gauche et une partie de la gauche.
Transformations de l’islamo-gauchisme
Dans l’histoire de l’islamo-gauchisme, je distingue trois moments : le premier marqué par la confluence de l’altermondialisme, de l’antisionisme et de l’islamisme (2000-2005), le second marqué par une emprise décoloniale croissante exercée sur les mouvances d’extrême gauche, pour la plupart converties au culte victimaire islamophile et se réclamant de l’« antiracisme politique », le troisième par l’intégration de l’antisionisme radical dans la religion politique qu’est le wokisme, devenu une mode intellectuelle mondialisée. Au cours des années 2005-2015, la figure de la victime va être progressivement occupée par le Musulman, sur la base d’un slogan : l’islam serait une religion « dominée », il serait la religion d’une minorité opprimée, la religion des « dominés », des exclus, des « racisés ». Et les populations issues des immigrations de culture musulmane seraient les héritières des peuples colonisés, donc « opprimés », « discriminés » et « racisés ». Le victimisme pro-palestinien s’est élargi ainsi en victimisme pro-islamique. C’est là le second moment de l’islamo-gauchisme, centré sur l’image du musulman victime du racisme, qui s’illustrera par des appels à « lutter contre l’islamophobie », lesquels se multiplieront à partir du milieu des années 2000.
La dénonciation d’un « racisme systémique » et d’un « racisme d’État » parfaitement imaginaires, empruntée au discours décolonialiste, s’est traduite par la dénonciation d’une « islamophobie d’État » non moins imaginaire. Depuis, dans les tribunes publiées comme dans les manifestations « contre l’islamophobie », les militants d’extrême gauche se mobilisent aux côtés des activistes islamistes, qu’ils soient Frères musulmans ou salafistes. L’islamo-gauchisme a pris la figure d’un islamo-décolonialisme. L’islamo-gauchisme des années 1990-2005 était avant tout anticapitaliste et anti-impérialiste, dans la tradition tiers-mondiste ; l’islamo-décolonialisme est avant tout anti-occidental et anti-Blancs, son prétendu « antiracisme » se réduisant à un racisme anti-Blancs.
Le sens du terme « islamo-gauchisme » s’est transformé avec l’évolution de l’extrême gauche, qui, après s’être détournée du prolétariat et du peuple-plèbe, a basculé progressivement dans le décolonialisme, l’intersectionnalisme, un féminisme radical misandre (c’est-à-dire le « second sexisme » qui, alimenté par la prétendue « théorie du genre », incite à la haine du « mâle blanc hétéro ») et, pour finir, la « théorie critique de la race », que j’ai analysée comme étant une forme pseudo-antiraciste de racialisme militant, ou, plus exactement, de néo-antiracisme masquant un racisme anti-Blancs. Ce retournement de l’antiracisme en une nouvelle forme de racisme visant les Occidentaux d’origine européenne est le phénomène à la fois le plus significatif, véritable « signe des temps », et le plus inquiétant.
En France, c’est le Parti des Indigènes de la République (PIR) qui est la plus claire expression de ce pseudo-antiracisme racialiste. Mais dont on en trouve aussi des échos au sein du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) et, plus tard, dans la direction de La France insoumise (LFI), notamment chez Jean-Luc Mélenchon, Éric Coquerel, Clémentine Autain et Danièle Obono (proche de Houria Bouteldja, qui fut longtemps l’égérie des Indigènes de la République). Il faudrait donc parler aujourd’hui d’islamo-décolonialisme ou d’islamo-racialisme.
La Marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 à Paris, réunissant notamment la CGT, l’UNEF, le PCF, l’UCL (Union communiste libertaire), EE-LV, Lutte ouvrière, Jean-Luc Mélenchon (et d’autres leaders de LFI), Benoît Hamon et le NPA aux côtés d’activistes et d’associations islamistes (tendance Frères musulmans) ainsi que des indigénistes, s’est déroulée conformément à ce modèle.
C’est dans cette nouvelle configuration idéologique que se développent aujourd’hui, en France et en Grande-Bretagne sur le modèle des États-Unis et du Canada, l’activisme « woke » (impliquant d’être « en éveil » permanent face aux « paroles offensantes ») et la « cancel culture » (la culture de l’annulation ou du bannissement visant les personnalités ou les œuvres jugées politiquement non correctes). Ces activistes qui se veulent « progressistes » banalisent un hyper-moralisme et un puritanisme pseudo-antiraciste qui travaillent à la destruction de notre histoire et de notre haute culture, ainsi qu’à la disparition des libertés académiques et de la liberté d’expression dans les universités, et plus largement dans le champ intellectuel.
À quelques exceptions près, les mouvances gauchistes, mais aussi une partie de la gauche, sont passées, face à l’islam politique, de l’indulgence à la complaisance, et de celle-ci à la connivence, voire à la complicité à travers diverses alliances. Après le lancement de la seconde Intifada (fin septembre 2000) et le 11-Septembre, la rupture entre la gauche républicaine anti-islamiste et la gauche radicale antisioniste (et antisystème) s’est manifestée de diverses manières dans le champ politique. Au cours des années 2010, elle a tourné à l’affrontement à la suite des attentats jihadistes sur le sol français, illustrés par les attaques meurtrières du jihadiste antijuif Mohammed Merah en mars 2012 à Toulouse et à Montauban ainsi que par l’attaque terroriste perpétrée en janvier 2015 à Paris contre la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo par deux frères jihadistes, Chérif et Saïd Kouachi.
Idiots utiles des islamistes
La chasse aux sorcières lancée contre de prétendus « islamophobes » à Sciences Po Grenoble, entre novembre 2020 et mars 2021, a rappelé que l’islamo-gauchisme faisait des ravages dans l’enseignement supérieur. Elle témoigne du fait que des étudiants et des enseignants, engagés à gauche, se sont ralliés à la stratégie rhétorique des islamistes, instrumentalisant habilement la cause palestinienne comme cause victimaire mobilisatrice. La cause palestinienne s’est transformée en cause islamo-palestiniste, nouvelle cause suprême, tandis qu’Israël et « les sionistes » incarnaient la causalité diabolique. Tel est le principal effet du grand endoctrinement islamo-gauchiste sur les réseaux sociaux. Les stratèges islamistes ont donc réussi, grâce à leurs alliés néo-gauchistes, à banaliser la « chasse aux sionistes » en France comme dans d’autres nations occidentales. Or, comme on a pu le constater depuis le méga-pogrom du 7 octobre 2023, la « chasse aux sionistes » a souvent pris l’allure d’une « chasse aux Juifs », dans les manifestations de rue comme dans l’espace universitaire.
Plus l’islamisme tue, et plus on dénonce l’islamophobie. Tel est l’apparent paradoxe qui donne à penser. Car c’est la règle d’action des stratèges idéologiques et des propagandistes islamistes, suivis par leurs alliés islamo-gauchistes. Depuis les assassinats par de jeunes jihadistes des professeurs Samuel Paty (à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020)) et Dominique Bernard (à Arras le 13 octobre 2023), on constate que les appels à « lutter contre l’islamophobie » se multiplient, comme si le véritable danger n’était pas l’islamisme mais l’islamophobie. Il y a là un bel exemple d’inversion idéologique de la réalité.
Les islamo-gauchistes sont les supplétifs, pour la plupart non conscients de l’être, des islamistes dans l’espace politique et culturel. S’il convient de ne montrer aucune faiblesse face à l’offensive islamo-gauchiste, il ne faut surtout pas tomber dans le piège tendu par les islamistes, en confondant la lutte contre l’islamisme avec un combat contre l’islam et les musulmans. Ce serait pousser tous les musulmans à se solidariser avec les islamistes.
Il y a de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de leurs libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ? C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes, suivis par les gauchistes qui ont pris leur parti. Ces citoyens inquiets et vigilants sont en vérité « islamismophobes », et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans ! Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion.
© Pierre-André Taguieff
Article publié, traduit en anglais, dans la revue new-yorkaise Telos, n° 207, été 2024, pp. 141-152.
Pierre-André Taguieff est philosophe, politiste et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Voir ses livres sur la question : L’Imposture décoloniale. Science imaginaire et pseudo-antiracisme, Paris, Éditions de l’Observatoire / Humensis, 2020 ; Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme, Paris, Hermann, 2021 ; Le Nouvel Opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme, Paris, Gallimard, coll. « Tracts », 2023 ; L’Invention de l’islamo-palestinisme. Jihad mondial contre les Juifs et diabolisation d’Israël, Paris, Odile Jacob, 2025.

L’islamo-gauchisme existe bien et votre article en témoigne
Récusé par toute la gauche
Il gangrène notre société
Il est, en fait, le relais des frères musulmans
pour endoctriner les esprits
luttons, luttons
Un article très bien expliqué et éclairant des origines de l’islamo-gauchisme à notre époque. Une partie de cette gauche vit avec la haine contre tous ceux qui ne sont pas de son avis. Cette gauche est capable du pire pour satisfaire son idéologie mortifère, pactiser avec les islamistes, avoir le vote des jeunes de banlieues pou remporter les futures élections. Pour eux, c’est la convergence des luttes, la lutte anticoloniale, le racisme, la justice sociale, le néo-féminisme, la cause LGBT, le climat, tout est mélangé. Ce qui est commun à tous, c’est la haine d’Israël. Les trois éléments qui cristallisent dans le totalitarisme sont l’antisémitisme, l’impérialisme, le racisme « Hannah Arendt ». Tous ces gens sont des totalitaristes, ce sont eux les intolérants.
Islamonazisme. Ce que dénonce Pierre André Taguieff est réel, mais il s’agit du retour du Nazisme. Idéologiquement et historiquement, le palestinisme est lié au Nazisme et au 3eme Reich. Le palestinisme et donc tout ce qui en procède : indigénisme, décolonialisme, wokisme, intersectionnalisme…Et européisme. Nazisme hitlérien et aryen au Nazisme islamiste et « racisé ».
Mr Taguieff mais ceux qui soutiennent l’UE et notre Régime vichyste font précisément partie des idiots utiles des Islamistes et des palestinistes.
J’ajouterai que la monstrueuse idéologie raciste et antisémite défendue par les Angela Davis, Black Lives Matter et ainsi de suite serait combattue et mise hors d’état de nuire dans toute société un tant soit peu civilisée. Ce que nos sociétés ont totalement cessé d’être, ayant enclenché leur propre mise à mort.
C’est ce qui me différencie de certaines personnes que j’estime beaucoup mais qui n’ont pas su voir au-delà des apparences et s’émanciper de tous les mensonges. Je ne crois plus aux lendemains qui chantent ni au père Noël.
L’Amérique du nord (sauf peut-être quelques États du sud) et l’Europe de l’Ouest ont déjà sombré le nazisme et dans des Ténèbres. Oubliez Paris, Londres et New-York devenues semblables a Beyrouth, Téhéran et Pretoria. Le monde civilisé se trouve en Israël, en Europe de l’est (hormis l’Ukraine) et dans d’autres pays où n’existent ni wokistes ni « antiracistes » racistes no islamistes…