

Crédits – Illustration : Emma Segall / Adobe Stock
LFI PRESSE DES COMMUNES DE SUSPENDRE LEUR PARTENARIAT AVEC DES VILLES ISRAÉLIENNES OU DE RETIRER DES DRAPEAUX DU FRONTON DES MAIRIES.
Comme souvent lorsque la gauche se déchire, tout part de Jean-Luc Mélenchon. Début juin, le leader Insoumis se félicite, photo à l’appui, sur le réseau social X, d’une supposée rupture des liens entre Val-de-Reuil (Eure) et la ville israélienne de Meitar, avec laquelle la commune est, a priori, jumelée. À ses yeux, ce geste exprime la « protestation » de la municipalité normande « contre le génocide des Palestiniens perpétré par (Benyamin) Netanyahou » et traduit sa préoccupation face à l’urgence humanitaire à Gaza. Problème : ce jumelage avait en vérité pris fin il y a plus de vingt ans, comme l’a rappelé le maire PS Marc-Antoine Jamet. Une rupture, a précisé ce dernier, qui n’était pas justifiée par des considérations « idéologiques » mais par des raisons strictement « administratives et financières ».
La rectification a beau venir de l’édile lui-même, elle peine à convaincre les Insoumis, à commencer par Alma Dufour, députée de Seine- Maritime, qui s’en est rapidement prise à son collègue socialiste de l’Eure, Philippe Brun, donnant lieu à un échange en ligne particulièrement vif. Loin d’être anecdotique – bien que fondé sur une information erronée -, cet épisode s’inscrit en réalité dans une démarche plus large et méthodique de La France insoumise (LFI) en vue des municipales de 2026. Et pour cause, depuis un an et demi, le mouvement Insoumis a fait du militantisme propalestinien l’axe principal de sa stratégie politique, y voyant comme un levier de mobilisation de la jeunesse et des quartiers populaires, deux électorats qu’il cherche à conquérir pour l’emporter. Une orientation rodée lors des européennes de 2024, et que les cadres LFI s’efforcent désormais de décliner à l’échelle locale.
L’un des moyens privilégiés consiste à faire pression sur la cinquantaine de municipalités jumelées avec des villes israéliennes pour qu’elles suspendent ces partenariats – qu’ils soient culturels, économiques ou encore éducatifs. « Chaque conseil municipal est totalement décisionnaire de ses jumelages ou déjumelages. L’Association des maires de France est dans un rôle d’accompagnement », esquive-t-on sobrement dans les couloirs de l’AMF, où l’on estime que l’association « n’a pas à commenter les décisions, ni de légitimité à intervenir dès l’instant où il y a eu un vote en conseil municipal ».
Reste que, estimant que ces accords ne sont plus tenables dans le contexte moyen-oriental actuel, le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, défend auprès du Figaro « une position nationale » sur ce sujet. Une manière d’emboîter le pas à son mentor : « Partout, il faut que les élus interviennent pour dire ‘stop’, on suspend », a récemment exhorté Jean-Luc Mélenchon lors d’une réunion publique. « C’est notre façon de contribuer à la lutte pour isoler le pouvoir de M. Netanyahou ».
Sans attendre l’appel du leader Insoumis, certains de ses lieutenants, déjà engagés dans la bataille des municipales, ont pris les devants. C’est le cas de François Piquemal, député LFI de Haute-Garonne et chef de file à Toulouse, qui a réclamé début juin, dans un communiqué, la « suspension » du jumelage de la Ville rose avec Tel-Aviv, « tant que le gouvernement israélien violera le droit international ». Bien qu’il ait plaidé pour un geste « symbolique », destiné à contribuer à la mobilisation internationale pour « faire cesser le génocide à Gaza », le maire ex-LR Jean-Luc Moudenc lui a opposé une fin de non-recevoir. « Les jumelages ont été développés pour promouvoir l’amitié entre les peuples. Les peuples sont là tout le temps, alors que les gouvernements changent », a rétorqué l’édile à Actu Toulouse.
Même activisme à Montpellier (Hérault), liée à la ville de Tibériade, et à Bordeaux (Gironde), où les mélenchonistes vont plus loin, en demandant l’arrêt total du jumelage avec Ashdod. Une requête ô combien symbolique puisque c’est précisément dans ce port commercial israélien qu’a été dérouté, il y a presque trois semaines, le bateau Madleen, intercepté alors qu’il transportait douze militants vers Gaza dont l’écologiste Greta Thunberg et l’eurodéputée Rima Hassan. Or, un an après que le maire Vert Pierre Hurmic n’a pas accédé aux appels de déjumelage, les LFI locaux comptent bien remettre le sujet sur la table lors du prochain conseil municipal, prévu début juillet. Lucie Hémond, chef de file des Insoumis aux prochaines municipales à Bordeaux, estime que « c’est de la responsabilité des élus locaux de prendre des mesures symboliques » face à « l’inaction » du gouvernement français vis-à-vis d’Israël. Pour l’heure, la majorité, pourtant de gauche, reste inflexible.
Toujours est-il que cet activisme agace dans le camp présidentiel. « Demander à rompre les jumelages, c’est tout mélanger », s’indigne Shannon Seban, élue municipale Renaissance de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), auteur du livre « Française, juive, et alors ? » (Éditions de l’Observatoire). « Un jumelage, ce n’est pas une prise de position politique mais un pont culturel et un appel à la paix entre les peuples ». Caroline Yadan, députée Renaissance des Français de la Méditerranée orientale – dont Israël -, très engagée dans la lutte contre l’antisémitisme, se montre vigilante : « Face à la propagande de LFI qui ne cesse de diaboliser Israël, et prépare les esprits à sa destruction, en faisant en sorte qu’il devienne un État paria, on va voir qui sont les maires courageux… et qui ne le sont pas ».
Dans d’autres municipalités, ce sont les Écologistes qui sont plutôt aux avant-postes. À Marseille, notamment, où plusieurs élus souhaitent que la deuxième ville de France rompe son jumelage avec Haïfa, ville portuaire d’Israël. Portée par un groupe de la majorité municipale de gauche – Écologiste et pluriel-s – la demande est soutenue par des associations propalestiniennes et par les députés LFI des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard et Sébastien Delogu. Le premier s’est d’ailleurs fait photographier par l’association Union pour la Palestine-Marseille, pancarte appelant au déjumelage entre les mains. Mais, en dépit de cette pression militante, le maire ex-PS Benoît Payan n’a pas donné suite à cette requête, estimant qu’il serait « injuste » de « punir » Haïfa, où vit « une population pacifiste pour la grande majorité », tout en annonçant son intention de nouer un jumelage avec une ville palestinienne.
À Strasbourg, la maire écolo Jeanne Barseghian a de son côté suspendu, ce lundi, le jumelage de la ville alsacienne avec Ramat Gan, dans le même temps qu’un partenariat était noué avec le camp palestinien d’Aïda. Quant à La Rochelle (Charente-Maritime), la municipalité a aussi décidé, il y a un mois, de geler son partenariat avec Acre. « On a montré une solidarité avec Israël après le 7 Octobre, avec les Ukrainiens après l’invasion russe, on veut faire de même avec les Gazaouis », explique l’élu écologiste Jean Marc Soubeste, en espérant que le jumelage « puisse être rétabli en temps voulu ». Contrairement à LFI, le parti dirigé par Marine Tondelier ne prône pas une rupture totale de dialogue avec l’État hébreu. « Il ne s’agit pas de boycotter ou de mettre toute la société israélienne dans le même panier », indique Aïssa Ghalmi, secrétaire national adjoint des Écologistes, dont l’objectif est plutôt de réorienter les coopérations vers des « villes progressistes appelant à la paix » et rompre avec celles engagées dans une « politique d’extrême droite ».
Autre élément susceptible d’animer la campagne des municipales : l’installation de drapeaux palestinien ou israélien dans l’espace public. « Les mairies sont libres de pavoiser les drapeaux qu’elles souhaitent, sans que l’AMF ait son mot à dire. Elles devront, le cas échéant, rendre des comptes aux électeurs », lâche un habitué de l’Association des maires de France. Car dans un climat marqué par une forte polarisation autour du conflit au Proche-Orient, ce type d’initiative est davantage perçu comme une prise de position politique, plutôt que comme un geste de solidarité avec un peuple. C’est d’ailleurs au nom du principe de neutralité des services publics que les préfectures de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Doubs ont demandé aux maires de Saint-Denis, Gennevilliers et Besançon de retirer les drapeaux palestiniens qu’ils avaient fait apposer sur la façade ou le parvis de leur hôtel de ville.
La même logique s’est imposée dans les Alpes-Maritimes, où la préfecture avait enjoint à l’édile de Nice, Christian Estrosi, de retirer les drapeaux israéliens flottant sur la façade de la mairie depuis le 7 Octobre. Récalcitrant, l’élu Horizons entendait d’abord maintenir ces symboles de l’État hébreu tant que des otages seraient encore entre les mains du Hamas. Mais il a fini par céder, se pliant à une décision de la justice administrative, saisie par des militants propalestiniens niçois. Jeudi, après avoir décroché les bannières bleues et blanches, Christian Estrosi les a remplacées par une affiche exposant les visages de la cinquantaine d’Israéliens captifs à Gaza, ainsi que ceux des deux Français emprisonnés en Iran.
Il n’empêche qu’en centrant la précampagne municipale sur la question palestinienne, LFI prête le flanc à ceux qui l’accusent d’exploiter un conflit extérieur – éloigné géographiquement et déconnecté des préoccupations directes des Français – à des fins électorales. « Les Insoumis hystérisent la campagne municipale autour de Gaza, comme ils l’avaient déjà fait aux européennes », s’alarme Yonathan Arfi, président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives), auprès du Figaro. Et de mettre en garde contre la « dangerosité » de LFI qui, selon lui, adopte un discours « radical » dans le but de séduire l’électorat musulman, quitte à « endommager la qualité du débat démocratique » en « favorisant les raccourcis au nom de l’assignation au conflit » et, in fine, « mettre en danger les Français juifs ».
Une critique balayée par un cadre de LFI, qui réfute toute logique clientéliste à l’approche de 2026 : « Nos initiatives vis-à-vis de la Palestine ne répondent pas aux aspirations d’un électorat particulier, mais bien à celles de toute une partie de la société ».
© T. J.

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