Injonctions vertueuses et « droit international ». Par Yana Grinshpun

« J’ai consacré ma vie à combattre l’antisémitisme et l’israélophobie. Mon engagement en faveur de l’existence d’Israël, dans la paix et la sécurité, n’a jamais faibli. Pourtant, au vu de la situation actuelle, je suis convaincu que les juifs établis à l’étranger ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de s’exprimer ».

(Marc Knobel, L’Express, 08/05/2025)

Engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre l’antisémitisme, je ne peux que faire mienne cette phrase de l’historien Marc Knobel, qui m’intime l’obligation morale de prendre la parole aujourd’hui. Pour lui dire, à lui comme à d’autres amoureux d’un Israël idéal — moralement irréprochable, spirituellement élevé, éthiquement supérieur et juridiquement immaculé — qu’ils donnent parfois l’impression d’incarner ces « juifs inauthentiques » sartriens. Sinon, pourquoi éprouveraient-ils ce besoin compulsif et irrépressible de prodiguer, depuis les grands canaux médiatiques — presse, plateaux télé, réseaux sociaux — des injonctions aux Juifs de la diaspora sur la bonne manière de se comporter, de penser, et de s’exprimer pour obtenir l’approbation des nations ?

Denis Charbit a déjà parlé de la « radicalisation des soldats israéliens »[1], ceux-là mêmes sans qui Israël n’existerait plus. 

Marc Knobel va plus loin, évoquant la « radicalisation d’Israël » tout entier, ainsi qu’une « logique d’exclusion et de rejet », qu’il attribue au traitement réservé aux habitants de Gaza. 

Il affirme de manière péremptoire qu’ »Israël devra faire la paix avec les Palestiniens ». Étrange posture, surtout pour un historien, qui n’ignore sans doute pas que toutes les tentatives de paix avec lesdits Palestiniens se sont soldées par des refus catégoriques : NON, NON, et encore NON. Pour qu’un accord de paix voie le jour, il faut que les deux parties y trouvent un intérêt. Or, dans sa grande diatribe humaniste, Marc Knobel semble avoir « oublié » de convoquer la responsabilité des Palestiniens, soit par mégarde, soit par cette condescendance qui les érige en victimes éternelles. Ce n’est pourtant pas à lui qu’il faut rappeler toutes les occasions manquées.

Alors que le monde s’extasiait sur les accords d’Oslo, signés par Itzhak Rabin et Yasser Arafat, certains observateurs arabes se réjouissaient ouvertement de la naïveté de certains Israéliens et des élites occidentales. Arafat lui-même, dans une mosquée de Johannesburg, qualifia ces accords de « Houdaybiya »[2], en référence au pacte temporaire conclu par le prophète Mahomet avec les Quraychites ( — un pacte stratégique), non sincère, et rompu dès que les conditions furent favorables.

En 2000, Arafat refusa encore de signer un accord de paix, plantant au dernier moment Bill Clinton et Ehud Barak.  Bill Clinton raconte cet épisode dans une conférence[3] récente. 

Plutôt que de dresser une liste d’occasions avortées que Marc Knobel connaît certainement par cœur, rappelons ce qu’énonce le professeur Elie Podeh du Département d’islam et d’études du Moyen-Orient à l’Université hébraïque. Pour qu’un accord de paix aboutisse, quatre conditions doivent être réunies :

  1. La légitimité des dirigeants ;
  2. La volonté de ces dirigeants de prendre des décisions audacieuses pour infléchir le cours de l’histoire ;
  3. Un niveau suffisant de confiance entre les parties ;
  4. L’implication d’un tiers crédible.

À défaut, l’échec est inévitable. Et il ne saurait être interprété comme une simple occasion manquée due à la mauvaise volonté d’une seule partie. Il s’agit là d’un échec structurel, dicté par des conditions objectives, et non par des intentions individuelles. 

Aucune de ces conditions n’est respectée. La quatrième condition sera bientôt tournée en dérision par les interventions de personnalités tierces comme Emmanuel Macron et Mohammed ben Salmane, au sommet de Paris en juin. Tournée en dérision, car discuter de la reconnaissance d’une entité aux frontières incertaines, sans institutions viables, dont les représentants affichent une hostilité constitutive à l’État d’Israël et ne le reconnaissent pas— malgré la déclaration d’Arafat en 1993 — ne saurait constituer une médiation tierce, mais bien l’exclusion des véritables protagonistes.

Quant à cette accusation d’ « Israël radicalisé », il faut rappeler que les otages n’ont toujours pas encore été rendus à leurs familles. Que les civils palestiniens, dont l’innocence reste à nuancer, souffrent aussi parce qu’ils n’ont pas exigé de leurs dirigeants qu’ils cessent la guerre — ou qu’ils ne la déclenchent pas. Israël, dans son état prétendument « radicalisé », est aujourd’hui le seul rempart contre une extermination totale.

Cet Israël « radicalisé » a élevé une génération de jeunes volontaires pour le service militaire, y compris chez les réservistes quadragénaires ou quinquagénaires, qui affirment à l’unisson que la sécurité de leurs enfants est leur priorité absolue. Je ne sais si Marc Knobel comprend l’hébreu, ni s’il écoute les témoignages de ces soldats, mais ce sont eux, ces hommes et femmes déterminés, qui incarnent l’ « Israël radicalisé » dont il parle avec tant d’assurance — et qu’il semble pourtant si mal connaître.

Passons enfin à cet épouvantail du « droit international », toujours brandi contre Israël comme une incantation rituelle. Certes, le corpus juridique international existe. Marc Knobel écrit :

« Les principaux instruments juridiques internationaux, tels que les Conventions de Genève et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, prohibent explicitement la destruction systématique de biens, l’expulsion de populations et toute attaque ciblant des civils dans les territoires occupés ».

Force est de rappeler qu’Israël n’est pas partie au Statut de Rome et n’est donc en aucune manière justiciable de la Cour Pénale Internationale. 

Par ailleurs, on peut supposer qu’il fait référence à l’article 49 de la Conventions de Genève (1949), qui interdit en effet les transferts forcés de population hors de leur État. Mais ces conventions, rédigées après la Shoah, visaient explicitement les déportations nazies, effectuées sous la contrainte, vers des camps de concentration situés dans d’autres pays. Gaza, quant à elle, n’est pas un territoire occupé par Israël : elle est dirigée par le Hamas, qui refuse de déposer les armes et dont la charte prévoit expressément l’éradication de « l’entité sioniste » alors qu’un tel geste suffirait à mettre fin à la guerre.

Pour conclure, un mot sur cet « humanisme » dont se réclame Marc Knobel, laissant entendre que quiconque ne partage pas sa vision en serait dépourvu. En évoquant les devoirs d’Israël, il suggère que ce pays, attaqué par des barbares d’une cruauté inouïe, devrait s’abstenir de se défendre — au prétexte que ces barbares se retranchent derrière des civils. Or, cette instrumentalisation des populations civiles est, elle aussi, contraire aux lois de la guerre. Par ailleurs, l’article 2 de la Convention de Genève (1949) stipule :

« Il est interdit en outre de faire d’un objectif militaire situé à l’intérieur d’une concentration de civils l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires autres que des armes incendiaires lancées par aéronef, sauf quand un tel objectif militaire est nettement à l’écart de la concentration de civils et quand toutes les précautions possibles ont été prises pour limiter les effets incendiaires à l’objectif militaire et pour éviter, et en tout état de cause, minimiser, les pertes accidentelles en vies humaines dans la population civile, les blessures qui pourraient être causées aux civils et les dommages occasionnés aux biens de caractère civil ».

Marc Knobel voudrait qu’Israël ne mène pas de guerre, ou, à défaut, qu’il la mène avec des pistolets à eau. Le Hamas, de son côté, connaît parfaitement les règles du jeu moral occidental. Il instrumentalise donc les civils précisément pour qu’un Marc Knobel se lève, citation à l’appui, pour condamner Israël.

Or, je ne me souviens pas que Marc Knobel ait exprimé la moindre réserve lorsque François Hollande ordonna des bombardements sur Mossoul en 2015. Ce double standard, malheureusement, sera perçu par le Hamas et ses partisans comme un soutien implicite. Car empêcher Israël de détruire des infrastructures terroristes dissimulées dans tous les quartiers de Gaza revient, de facto, à soutenir les barbares — même si tel n’était pas l’intention de l’historien.


[1] Le 18 septembre 2024, sur le plateau de C ce Soir

[2] https://www.youtube.com/watch?v=P8RRbPbIXe8  Les accords Houdaybiya -une trêve de dix ans entre le Prophète Mohammed et les Quraychites qui a duré un an. 

[3] https://www.youtube.com/watch?v=3MtOovP_oEM

© Yana Grinshpun

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https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/la-peur-de-nourrir-lantisemitisme-ne-doit-pas-nous-faire-taire-sur-la-radicalisation-en-israel-par-Z4W533AZE5AEBFZDXHS3EEOHMA

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Yana Grinshpun

Maître de Conférences en Sciences du Langage

Université Paris III-Sorbonne Nouvelle

UFR Littérature Linguistique Didactique

Département Littérature et Linguistique Françaises et Latines

https://perditions-ideologiques.com

https://www.youtube.com/@perditions-ideologiques

Institut du Discours 

https://www.institutdudiscours.fr


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6 Comments

  1. Knobel a l oeil ouvert sur l extreme droite depuis au moins 3 siecles , a ce jour , il ne sait pas que l extreme gauche islamiste tue des juifs et prepare les futurs pogroms .
    Ce type est le chouchou des medias aux ordres , il obeit a ses maitres , parfaitement et ne travaille aucunement pour le peuple juif comme il semble le pretendre .

  2. si vous ne pouvez lire qu’un seul article faute de temps ou par lassitude, tournez vous vers Yana Grishpun. Elle pense juste , ses raisonnements sont inattaquables , elle a une vision claire et elle ecrit avec un talent qui fait pousser des oh d’admiration .
    Yana rien à critiquer ! Yana tout très bien !

  3. Marc Knobel se trompe d’Histoire, celle du peuple israélien qui affirme son droit à exister en se confrontant depuis le 7 octobre 2023 au mal absolu qu’est l’organisation terroriste hamas, en plus des houthis et du hesbollah. Le point de vue de Marc Knobel s’est perdu et a dérivé de l’extrême droite à l’extrême gauche islamisée en France ; cet homme peut-il encore lire Yana Grishpun?ou a-t-il fermé les yeux….

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