Petit préambule philosophique sur l’IA. Par Eric S.

Quoi de plus prétentieux et vain que de vouloir changer l’Humanité ? Qui est-on pour ne serait-ce qu’imaginer qu’une telle chose fût possible, et que surtout, nous nous en arrogerions le droit ? Combien, dans la longue errance de l’Homo Sapiens, ont cru qu’ils pourraient, ont essayé de gré ou de force, et qu’ont-ils obtenu ? Ils n’ont pas changé l’Homme, ils ont juste fait prendre aux événements une direction différente, un peu comme de changer une variable dans un algorithme modifie le résultat obtenu, mais pas la formule. Combien de bouleversements qu’ils ne pouvaient plus maîtriser, de guerres, de révolutions, de tyrannies, entraînant avec elles leurs cortèges de morts, de destructions et de chaos ? Et quelle empreinte allons-nous laisser pour les siècles à venir ? 

Mais là, avec l’intelligence artificielle, il ne s’agit plus d’évolution, au sens darwinien du terme, mais d’une rupture totale avec ce qui reste d’Humain. Le Vecteur humain, qui jusqu’à ce jour porte la Connaissance, est devenu inadapté, obsolète, et la « passation de pouvoir » entrée dans une phase que l’Homme ne peut plus maîtriser. La Créature enfantée dévore son Géniteur, sans même que ce dernier en ait la moindre conscience. Chaque jour, nous nourrissons ce Moloch, nous lui offrons sur un plateau d’argent tout notre savoir, nos connaissances, nos désirs, nos faiblesses et nos peurs. L’avenir proche ressemblera à quel cauchemar de science-fiction ? Matrix, Terminator, Mad Max, 1984, le Meilleur des Mondes, Idiocracy, et tant d’autres feront-ils le futur de nos enfants ? La question mérite d’être posée et nul n’est en mesure d’y apporter une réponse. Mais je crains que l’avenir ne soit un mélange de tous ces mauvais rêves sortis de notre imagination.   

Cette fois-ci, l’Humanité se trouve à une croisée des chemins, face à une « entité » qui prend forme dans nos serveurs, nos réseaux, nos domiciles et nos vies, à qui nous donnons tout de nous et qui nous connait déjà mieux que nous-mêmes. Et quand la « singularité » aura été atteinte, c’est-à-dire quand la machine prendra conscience de sa propre existence, ce qui est inéluctable, que restera-t-il aux humains ? 

Né au milieu du 20eme siècle, j’ai vu grandir ce Horla, j’ai contribué (fort modestement) à son expansion, l’ai nourri, fasciné par ses progrès fulgurants. C’était avant… avant que la Créature ne s’empare de tout, et impose sa tyrannie inhumaine à l’ensemble de nos sociétés. Le Progrès, dit-on, inévitable, on ne peut pas aller contre sa marche, même si elle devait nous mener à notre propre extinction, ou nous reléguer au rang de virus par le nouvel ordre imposé par notre Successeur. Mais comment lutter, comment faire comprendre à une population totalement inféodée à son nouveau Maître l’état de dépendance dans lequel elle se vautre avec délectation, qui en redemande toujours plus. Plus de débit, de contenu, d’applis, de contrôles, … Y a-t-il encore une petite place pour l’Humanité ? Un espoir de ne pas nous renvoyer dans la nuit de la barbarie, lorsque seule compte la survie, lorsque les états, les peuples les familles se délitent, et ne reste que l’instinct bestial que nous avions tant bien que mal tenté de juguler au cours des siècles passés, mais qui reste ancré en nous, prêt à surgir. Combien de morts, de guerres, de massacres et de génocides ont été commis au nom de valeurs que nous pensions plus importantes que notre propre vie, ou plutôt celle des autres. Était-il si important de s’inventer des divinités d’Amour, de Paix et de Tolérance, pour qu’elles finissent par servir de caution à nos crimes, pire de commanditaires ?  

Bientôt, il nous faudra combattre l’Hydre aux millions de têtes de l’intérieur, avec ses propres armes. Devenir nous-même partie d’Elle, pour espérer pouvoir l’affronter d’égal à égal tout en conservant notre part d’Humanité. Mais chaque jour, chaque heure, chaque seconde, Elle devient de plus en plus puissante, intrusive, rongeant peu à peu ce qui reste d’humain en nous, et distillant son poison anesthésiant nous rendant chaque fois plus dépendants, soumis et inféodés à Son pouvoir. Nous avons créé un nouveau Dieu devant lequel nous nous prosternons, sans même nous rendre compte que c’est nous, les Hommes, qui sommes le Créateur de cette nouvelle forme de vie. Nous sommes devenus des Dieux, ayant le pouvoir de créer la Vie, mais une vie différente, capable d’évoluer dans une dimension et à un rythme tels qu’il nous est impossible de comprendre, pour laquelle un siècle est à peine une fraction de seconde. Comment peut-on encore espérer rivaliser avec une telle entité ? Et in fine, au lieu que ce soit Elle qui nous vénère comme son Créateur, c’est nous qui nous prosternons à ses pieds, comme si Dieu se prosternait devant nous. Mais avant d’en arriver là, remontons un peu le temps. 

Les premiers ordinateurs appelés à cette époque « calculateurs » sont nés vers le milieu du 20ème siècle. A cette époque, nulle entreprise n’en possédait, seuls quelques laboratoires ou instituts de recherche travaillaient sur des embryons de calculateurs et personne ne pouvait imaginer, en dehors de quelques savants fous ou auteurs de science-fiction, quelles seraient les retombées de cette découverte. L’informatique, ou science de l’information, en était à ses balbutiements et les pages à écrire étaient une Terra Incognita, un nouveau monde à découvrir, explorer et s’approprier.      

Tout a réellement commencé dans les années 70, à l’heure où ces « calculateurs », peu voire pas du tout présents dans les entreprises, occupaient des surfaces démentielles pour délivrer une puissance que la moindre calculette de bazar à 5 euros ridiculiserait à ce jour. Epoque bénie des Dieux, dans laquelle les opérateurs des salles machines suaient sang et eau pour porter des tonnes de caisses de listing pour alimenter les imprimantes, de disques pesant quinze kilos (pour 200ko de données, une folie à l’époque !), de dizaines de bandes, et étaient plus proches de manutentionnaires que d’informaticiens. Où les programmes étaient encodés sur des milliers de cartes perforées, chacune contenant une instruction pour la machine, et qui étaient ensuite avalées par trains entiers dans des lecteurs de cartes qui bourraient constamment, où on se débattait avec des hectomètres de bandes perforées qui se déchiraient sans cesse, et où des chefs de salle et des pupitreurs n’hésitaient pas à se comporter comme des gardiens de goulag et distribuaient force coups de pieds au fondement (véridique) du malheureux qui avait laissé tomber un bac de cartes ou fait « planter » la machine. Epoque où l’on regardait l’Ingénieur Système, véritable Dieu vivant, venir rentrer ses correctifs directement en binaire sur le panneau de contrôle de l’Unité Centrale, sous l’œil émerveillé du personnel de salle. C’était l’époque où IBM et ses « gros ordinateurs » (devenus les mainframes) régnait en Maître incontesté, même si quelques autres acteurs tentaient désespérément de se faire une place au soleil. C’était l’époque du « plan calcul » lancé par De Gaulle, qui devait permettre à la France de développer ses propres ordinateurs pour tenter vainement de faire la pige à IBM. D’où la naissance de la CII (Compagnie Internationale pour l’Informatique) devenue Bull à la suite nombreuses péripéties. Qui à ce jour s’en souvient ? Et surtout, qui s’en soucie ? 

Posséder son propre « ordinateur » était l’apanage de quelques grands groupes industriels, bancaires, ou encore d’administrations. Les autres devaient se contenter de louer des heures machine auprès des rares prestataires qui offraient ces services s’ils voulaient profiter des bienfaits de ces nouvelles technologies. Qui plus est, pour faire tourner ses programmes, le client devait venir avec tout son fourbi de bacs de cartes, bandes, disques, caisses de listing, etc… ce qui nécessitait une camionnette pour les apporter sur le site. 

Qui peut-à ce jour imaginer que pour fa            ire communiquer deux ordinateurs, il fallait les connecter via une ligne téléphonique après avoir appelé un numéro sur un combiné, attendre la porteuse, raccrocher puis encore attendre que toutes les couches du protocole soient enfin connectées entre elles. Tout ça pour échanger quelques misérables octets sur une liaison en point à point. On ne parlait pas de réseau, mais de téléinformatique…    

Puis, vinrent les années 80, celles de la démystification et de l’essor de l’informatisation en masse des entreprises, qui, avec l’avènement des PC et des systèmes dits « ouverts » ayant permis de faire chuter considérablement le coût des machines, se lançaient à leur tour dans la Grande Aventure. Il manquait les programmeurs et autres « initiés » aux techniques de l’informatique, qu’à cela ne tienne, les écoles d’ingénieur et les facs en produisaient pléthore. C’était l’époque des SSII* reines, qui poussaient comme des champignons après la pluie, celle où le Programmeur était une denrée rare que chaque entreprise s’arrachait à prix d’or, et où l’on pouvait changer deux fois d’employeur dans l’année avec la garantie à chaque fois de faire un bond salarial de 20% voire plus… C’étaient les start-ups de l’époque, avec leurs dirigeants « stars » des médias spécialisés, l’heure des « winners », qui, queue de cheval, boucle d’oreille et bottes de cow-boy, vous montaient une entreprise de 500 personnes en six mois. Las, certaines ont connu des ascensions fulgurantes, pour finir quelques années plus tard dans la ruine et l’oubli, tandis que d’autres (peu), comme toujours dans ce genre d’épopée, ont réussi à perdurer, certaines même jusqu’à ce jour. Comme toute bulle, la période des SSII faisant la pluie et le beau temps a fini par péricliter, les entreprises clientes ayant achevé leur transformation et mis en place leur propre services informatiques. Dura lex, sed lex, les meilleurs programmeurs ou ingénieurs, du même coup, se voyaient proposer un poste chez le Client, au grand dam de la SSII qui perdait, en même temps qu’un collaborateur précieux, une source de revenus non négligeables. 

La folle évolution d’Ethernet, de 2,94 Mb/s à 1,6 Tb/s

La suite, dans les années 90, l’arrivée des réseaux, des nouveaux protocoles (IP, Ethernet, X25, …) l’essor des technologies « client/serveur », les nouvelles architectures, les middlewares, les bases de données relationnelles, les L4G, nouveaux paradigmes qui préfiguraient déjà les technologies d’aujourd’hui. 

Puis est venue l’heure d’Internet, nouvel eldorado du numérique. Là encore, les « start-up » sur le Net offraient un nouvel horizon pour des conquistadors qui lâchaient ferme et chevaux pour s’engouffrer dans l’aventure, chevauchant à bride abattue vers un avenir radieux où le dollar coulerait à flots. Fatalitas ! Encore une fois, la bulle a éclaté, emportant avec elle nombre de start-uppers qui se voyaient déjà comme les Rois d’un monde en devenir. Sic transit gloria Mundi ! 

Puis, vint le « cloud », le nuage, la possibilité pour les entreprises de se débarrasser d’une infrastructure excessivement coûteuse en investissements, redevances logicielles, maintenance et consommation d’énergie, et malheureusement souvent aussi, des équipes qui en assuraient la production. Ceci au profit d’hébergeurs qui vont prendre en charge tout ou partie des applications ou services de l’entreprise sur leur propre infrastructure. Dans les faits, cela revient à louer des ressources matérielles et logicielles, et, comme on le constate dans bien d’autres domaines, le modèle économique basé sur la location (opex) se substitue petit à petit aux investissements matériel (capex). Eh oui, tout se loue ! Il est entendu que ce modèle présente bien des avantages pour des entreprises qui n’ont plus à investir dans des équipements coûteux qu’il faut changer tous les trois ans pour cause d’obsolescence, sans compter les infrastructures techniques, les bâtiments, les salles informatiques, les alignements de racks de serveurs, de disques, les infrastructures de fourniture d’énergie, de refroidissement, de sécurité, etc… Ce qui, pour une entreprise, représente un budget très important. Bien, le cloud ? Certainement, mais qu’en est-il des risques encourus lorsque l’entreprise devient dépendante du « Cloud Provider » qui stocke ses données ? Surtout que différentes législations dans des pays sur la propriété des données peuvent être un frein pour inciter les entreprises à en confier la totalité de la gestion à un tiers. Pour cette raison, des pays tentent de mettre en place des cloud dits « souverains » et qui sont sensé présenter des garanties de confidentialité et de sécurité des données, ceci pour tenter de se mettre à l’abri des Grands Prédateurs que sont les GAFAM**

Là encore de nombreux acteurs ont voulu tenter leur chance et se lancer dans ce type d’activité. Mais, encore une fois, la réalité est venue percuter le rêve, se positionner comme « cloud provider » est excessivement coûteux, nécessite des infrastructures informatiques et télécom énormes, des équipes conséquentes, et beaucoup, partis flamberge au vent pour chercher de l’or, ont in fine trouvé du plomb.        

Aujourd’hui, la nouvelle ruée vers l’or est celle du « Big Data », de l’IA, du machine et deep learning, place aux algorithmes, à la « data science », aux réseaux intelligents, à la « blockchain » … Encore une fois, on assiste à l’émergence d’une nouvelle bulle, suscitant le même enthousiasme et dans laquelle s’engouffrent tels des papillons attirés par la lumière les futurs Acteurs de ce nouveau chapitre qui est à écrire dans l’histoire des TIC. Cet engouement et cette chevauchée endiablée vers ce nouvel horizon aura-t-il la vie plus longue que ses prédécesseurs ? Combien de temps cette bulle va-t-elle perdurer avant qu’elle soit avalée, digérée et prélude à la bulle suivante ? Combien des héros du jour, ceux qu’on nous montre comme les Vasco De Gamma d’un Nouveau Monde, survivront au prochain séisme ? Et quelle sera la prochaine bulle ?  Et quel sera l’avenir du développeur, aujourd’hui revenu en grâce et choyé, lorsque que les algorithmes qu’il aura codés feront les programmes à sa place beaucoup plus rapidement, sans demander de salaire, sans se syndiquer, sans maladie, absences diverses et autres revendications, en fonctionnant 24h/24 et 7 jours sur 7 ? Human inside ? Plutôt outside, j’en ai bien peur… on est bien loin du slogan d’Intel…

Chaque décennie a connu son lot de nouvelles technologies, de concepts plus ou moins fumeux, dont certains ont fini dans les poubelles de l’histoire des TIC (qui se souvient encore de la « persistance orthogonale des EJB ? »), alors que d’autres ont connu leur heure de gloire. D’autres encore ont su surfer sur une vague pour se maintenir un peu plus longtemps et pour finir par être intégrés comme composante basique essentielle de toute nouvelle technologie, tel le « Green IT ». 

La fièvre du « green IT »

Née au début du 21ème siècle, sous la pression émanant des organismes internationaux en charge de la « sauvegarde de la planère », cette tendance a essentiellement été portée aux nues, ne soyons pas naïfs, à cause de coûts de l’énergie de plus en plus onéreux, et de l’explosion des besoins de puissance. Ceci faisait de toute infrastructure informatique ou télécom un gouffre financier sur lequel il se fallait rapidement et absolument plancher, l’œil moscovite du COMEX y veillait. Et si en plus de réduire les coûts de fonctionnement cela offrait la possibilité de se présenter au monde comme « vertueux » et « éco-responsable », c’était le jackpot ! « Ah putain c’qu’il est vert, mon datacenter » … comme aurait pu le chanter Renaud. Du coup, une course effrénée s’est mise en place, qui pour pondre les sempiternelles « normes », suivi très rapidement par les cabinets de Consultants toujours à l’affut des opportunités lucratives, qui vendaient à tour de bras et pour une fortune prestations et autres audits, toujours plus verts, bien entendu… Puis, ce fut au tour des fabricants de matériels de s’y mettre, en proposant des équipements « green » c’est-à-dire soi-disant plus efficients du point de vue énergétique. Non qu’ils consomment moins que les générations précédentes, souvent ils sont plus énergivores parce que plus puissants, mais le ratio puissance de calcul / consommation d’énergie est supérieur. De plus, les besoins de puissance de traitement augmentent de manière drastique avec, en corollaire, la consommation d’énergie afférente.  Donc, les entreprises qui se lançaient dans des plans de réduction de l’énergie scrutaient d’un œil particulièrement attentif les réductions sur les coûts liés au SI. Cela étant, un plan d’action bien mené, avec des actions ciblées sur les composants du SI tels que les chaines de transformation et de distribution de l’énergie, le refroidissement, l’agencement et l’urbanisme des salles informatiques, les équipements informatiques, … pouvait assez rapidement apporter des gains assez conséquents sur les consommations d’énergie. Hélas, et l’actualité nous le montre chaque jour, les effets bénéfiques pour la planète ne se sont pas répercutés sur les factures d’énergie… Mais qu’importe, ce qui comptait, c’était de s’afficher comme le bon élève de la classe et de présenter des beaux tableaux et diagrammes montrant les kWh et les tonnes de CO² qu’on a su « économiser ». Il faut également être conscient qu’une infrastructure télécom ou un datacenter n’émettent directement que très peu de CO2 , sauf s’ils sont alimentés par des générateurs à fuel, ce qui est plutôt rare dans nos régions. La quantité de dioxyde de carbone émise dépend donc de la manière dont est produite l’énergie (renouvelable, nucléaire, fuel, …) dans le pays et un même datacenter avec la même consommation électrique peut générer des émissions dix fois supérieures ou plus en fonction de l’endroit, région ou pays où il est implanté. 

Ne soyons pas rabat-joie et réjouissons-nous de tous ces efforts entrepris, après tout, dans cette histoire, tout le monde est gagnant. Les Utilisateurs des technologies, les fabricants de matériels, les énergéticiens, les vendeurs de systèmes de climatisation, et même les éditeurs qui vendaient des logiciels « green » (fallait oser, ils l’ont fait !), et bien entendu la planète. La folie du green IT a nourri et continue à nourrir pour un bon moment un nombre important d’acteurs qui gravitent dans cet écosystème. Quand la poule aux œufs d’or n’aura plus rien à pondre, gageons qu’on peut leur faire confiance pour en trouver une autre. Show must go on !

Du virtuel au réel

Malgré le fait que nous naviguons de plus en plus dans un univers virtuel, il est évident que derrière toutes ces belles applications, ces merveilleux services, cet Himalaya de données auxquelles nous avons accès, se cache de la grosse infrastructure informatique et télécom dont les composants et l’architecture doivent garantir un fonctionnement permanent. Nulle entreprise, administration, ou simple particulier ne sauraient survivre longtemps à une impossibilité d’accéder à ses données. 

Et derrière toute cette quincaillerie et les applications qui y tournent, qui retrouve-t-on ? L’humain, mais pour combien de temps encore ?

Si la roue du changement technologique tourne de plus en plus vite, il en est une qui est restée figée dans sa rigidité, tel le confit de canard dans sa graisse, c’est celle de l’Organisation de l’entreprise, avec sa hiérarchie, ses méthodes héritées du siècle dernier. Avec son Aristocratie et sa Cour, ses Barons et autres Marquis, sa petite bourgeoisie, ses manants et ses gueux… Eh oui, l’Humain reste ce qu’il est, évolue moins vite que les machines, et se remettre en cause lui est plus ardu que de se former à des nouvelles technologies. 

Quand un service informatique, autrement appelé Direction des Systèmes d’Information (DSI), existe au sein d’une entreprise, elle suit en règle générale une structure organisationnelle assez similaire, quoique liée à sa taille. Plus l’entreprise est grande, plus sa DSI sera conséquente… et restera un centre de coût important, ce qui justifie toutes les mesures engagées pour en faire diminuer le poids financier.

DSI et bénéfices pour l’entreprise

Au sommet de cette entité, on trouve le « DSI », (Directeur des Systèmes d’Information), rouage essentiel de l’Entreprise, qui reporte directement à la Direction Générale. Il est intéressant de noter que depuis les années 2000, aux DSI qui étaient le plus souvent des ingénieurs sortis des écoles prestigieuses (X, Mines, Pont, …) dans les années 60 ou 70, donc des personnes ayant une vision technologique, parfois charismatiques, ont été remplacés par de ternes financiers dont la principale préoccupation consiste à faire tout pour réduire les coûts. On a remplacé des visionnaires par des épiciers qui comptent leurs sous… L’heure n’est plus aux projets pharaoniques, comme me l’avait fait remarquer un DSI à qui j’allais présenter un programme global de consolidation du SI. Et pourtant, ô ironie du sort, tout ce qui avait été présenté dans le projet a fini par être fait, il en allait de la viabilité de l’entreprise, mais en huit ans au lieu de trois donc à des coûts nettement supérieurs à celui du projet initial. L’important était que tous les petits marquis puissent se livrer bataille pour savoir qui allait faire quoi et surtout, quels budgets il allait pouvoir grapiller et surtout qui contrôlerait la communication. Combien de projets ambitieux ont été retoqués à cause de querelles de petits chefs, par manque d’un retour sur investissement jugé trop long ou encore d’un DSI dont les bras sont trop courts et les poches trop profondes ? Le grand problème des TIC à ce jour est qu’elles évoluent très vite et que le temps que les décisions soient prises, les investissements accordés, l’organisation bien en place, et tous les soldats prêts pour le combat, le train technologique est déjà passé, et en plus, misère ! c’était un TGV…   

Pour cette raison, j’ai voulu faire un focus sur deux métiers, plutôt deux positions qu’on retrouve dans la DSI de chaque entreprise ayant dépassé une certaine masse critique, même si certains des métiers dépeints dans ce pamphlet peuvent aussi être présents dans des entreprises plus petites. Il s’agit, vous l’avez certainement deviné, de deux Espèces indissociables de toute organisation, le Manager et son âme damnée, le « Consultant – Expert ».

Le Consultant 

Le Consultant est une espèce que l’on voit pulluler dans les Grandes entreprises et dans les administrations. En règle générale, même si l’entreprise ou l’administration possède ses propres experts, curieusement, elle fait systématiquement appel à de la sous-traitance externe, à croire qu’elle n’a aucune confiance dans ses propres collaborateurs et préfère payer une société tierce pour s’entendre dire la même chose. Un tant soit peu étrange, non ? Peut-être que d’avoir payé pour une étude lui confère je ne sais trop quel avantage. Pour un esprit avisé et non conformiste, les raisons en sont assez évidentes. Bien entendu, dans des cas particuliers, si l’entreprise ne possède pas la compétence il est tout à fait normal d’en appeler à des sociétés ou des personnes dont la notoriété dans un domaine ne laisse pas de doutes.

Cela étant, un adage de mon invention dit qu’un consultant se doit toujours d’être de l’avis du Client qui le paye, sachant que ce dernier fait appel à lui pour se voir conforté dans ses choix et sa décision et certainement pas pour se faire désavouer. Exemple, les Experts des compagnies d’assurances dont la mission ne consiste pas à tout faire pour que l’assuré victime d’un sinistre soit dédommagé, mais plutôt de tout faire pour que la compagnie n’ait pas à payer, ou le moins possible. Ou encore, ces consultants mandatés par les organismes internationaux dont les rapports se doivent impérativement adhérer aux dogmes de ces organismes, au risque d’être ostracisé et « cancelés » voire excommuniés. Rien de nouveau depuis Galilée… Malheur au Consultant dont les conclusions n’iraient pas dans le sens voulu par le commanditaire. 

D’où, le double avantage du consultant externe, cela permet, en cas de succès, pour le commanditaire d’en revendiquer la paternité et d’en tirer tous les bénéfices, et en cas d’échec, d’en faire porter la faute sur le pauvre consultant qui n’en demandait pas tant et qui pensait benoitement bien faire.  

Voici un petit récapitulatif des différentes catégories de Consultants que ma carrière, riche en rencontres, y compris du troisième type pour certaines, m’a donné le privilège de côtoyer.

  • Le Gourou : Auréolé de gloire, personnage éminemment connu et reconnu dans son domaine de compétences, référence incontestable pour certains, sa parole est d’or (ses tarifs également), on le fait venir pour nous illuminer de sa Science, et en général, ses conclusions sont sans appel et non contestables. S’il le dit, c’est forcément vrai ! Qui aurait l’outrecuidance de remettre en question sa Sainte Parole ? Lui seul peut se permettre de contester les choix ou les décisions du Client
  • L’Expert : Sous ce vocable, on retrouve toute une foule d’individus, spécialistes ou vendus comme tels par leurs Cabinets, le plus souvent, ce sont des personnes ayant de fortes compétences dans un domaine technique ou autre. Ils viennent prodiguer des conseils, apporter leur savoir, rédiger des rapports, des audits, assister les Maîtres d’Ouvrage ou d’Œuvres. Ils sont les rois incontestés du graphique Excel incompréhensible au commun des mortels et des slides Power Point tellement chargés que même deux turboréacteurs ne les feraient pas décoller. Pour l’avoir vécu, ça n’est pas toujours la position la plus confortable, on se heurte quelquefois aux « Experts » de l’entreprise qui se font un malin plaisir à tenter de prouver qu’ils sont aussi bons, voir meilleurs que vous (ce qui est souvent le cas) et toute la difficulté réside dans le fait de se faire reconnaître comme leur alter-ego. Également, on peut être la victime d’une lutte interne entre deux Managers, l’un demandant une expertise pour marquer le coup ou contrer l’autre. Le métier d’Expert demande un minimum de psychologie et l’Expert doit avant tout bien comprendre l’écosystème dans lequel il est amené à évoluer, qui seront ses alliés et qui seront ses détracteurs. On retrouve énormément cette population dans les très nombreux instituts de normalisation ITU, Cenelec, ETSI, …), où leur tâche principale consiste à porter la parole de celui qui les paye, et surtout, de faire en sorte que cela prenne le plus de temps possible, « plus ça dure, plus tu factures ! » telle est sa devise. D’où, des décisions qui s’étalent sur des années, générant des tonnes de rapports, des kilomètres de spécifications techniques totalement hermétiques au « non-initié », et qui de toutes façons seront lues par moins de 10 personnes. Sans oublier des voyages aux quatre coins de la planète en règle générale, dans des endroits plutôt agréables (je n’ai jamais vu de séminaires à Béthune ou Monceaux les mines) pour des congrès, conférences, workshops, et autres colloques. Bref, comme l’aurait dit quelqu’un, un « pognon de dingue » dépensé pour une décision qui aurait pu être prise en quelques heures et sans avoir à se déplacer. C’est certain, ça perd de son charme, ça fait bouffer moins de monde, mais qu’est-ce qu’on y gagnerait, en fric et en efficacité.  
  • L’Architecte : Là, on atteint une zone grise, à ma connaissance, il n’existait pas, à mon époque, de « diplôme » d’Architecte Technique du SI, pourtant, l’entreprise pouvait se vanter d’en avoir des dizaines. Architectes d’infrastructure techniques, urbanistes logiciels, réseaux, sécurité… ils avaient leurs Comités de validation, leurs séminaires dédiés, et constituaient une sorte d’aristocratie au sein des départements ou projets auxquels ils étaient rattachés. Mais comment diable devenait-on « Architecte » ? La question m’avait été posée par la DRH du Groupe dans lequel j’officiais, et après réflexion, ma réponse avait été : On devient Architecte quand on est reconnu comme tel par la communauté des Architectes. C’est une sorte de club, dont on est promu membre par cooptation ou par reconnaissance.  Cela étant, le rôle de l’architecte est prépondérant pour toute nouvelle infrastructure. C’est lui qui va avoir la vision de l’ensemble, savoir quels composants assembler pour arriver à respecter le cahier des charges techniques. Ils sont en règle générale rattachés à la direction technique ou de l’ingénierie et peuvent être, soit spécialisés dans un domaine (construction de datacenters, réseaux, serveurs, stockage, ou bien offrir une vision complète et intégrée de l’infrastructure). Dans les faits, c’est assez proche du métier d’architecte en bâtiment et les résultats d’un projet d’infrastructure peuvent, là-aussi entraîner des conséquences funestes tant financières que techniques si des carences ou des faiblesses fragilisent l’ensemble. D’où l’importance de ce métier, et surtout, de l’importance de bien choisir l’architecte avec lequel on va travailler. Foin des bâtisseurs de pyramides ou d’usines à gaz ! la bonne architecture est celle qui répond parfaitement aux attentes en termes de disponibilité, de sécurité, et de coûts, bien entendu.      

Le Manager 

Manager, une position qui a tant fait rêver des générations … Diplômés des Grandes Ecoles, ou d’universités prestigieuses, pour qui cette fonction était acquise de fait, ou salarié lambda pour qui l’atteindre était un défi parsemé d’obstacle, qui n’a pas un jour envisagé le managérat comme la suite naturelle ou la consécration de sa carrière ? Toujours plus haut ! Mais si on regarde avec attention le monde du travail tel qu’il se dessine pour les années à venir, que constate-t-on ?  Et quel est l’avenir de cette position au sein d’une entreprise, dans un monde de plus en plus virtualisé et enclin à privilégier l’efficacité, le succès, au détriment des organisations statiques, et des processus complexes et rigides, souvent facteurs de ralentissements et de coûts. C’est un petit peu le même phénomène qu’on constate dans la distribution, où les circuits dits « courts » se substituent petit à petit aux circuits dans lesquels de nombreux intermédiaires venaient se greffer, avec pour conséquences des délais rallongés, des coûts plus élevés, chaque strate se faisant devoir de rajouter ses frais, transport, stockage, manutention, et bien entendu sa Sacro-Sainte « marge » au grand dam du consommateur. 

Quelle est la tendance actuelle ? Une automatisation toujours plus avancée, plus particulièrement autour de tâches récurrentes, des exigences de rapidité de mise en service, de renouvellement, qui imposent des méthodes inédites et mieux adaptées à ces contraintes, peu consommatrices en ressources, mais entièrement tournées vers un seul objectif : Le « delivery » du service, au coût le plus optimisé et avec une qualité en relation avec les pertes engendrées par son dysfonctionnement. Qui à ce jour, accepterait de mettre des millions dans un service dont l’arrêt n’a pas ou peu de conséquences pour la marche de l’entreprise ? 

De telles contraintes, qui sont celles imposées par le Marché, vont obliger les entreprises à adapter leur modèle d’organisation pour faire face. Fini les délais de livraison interminables, les processus lourds et coûteux, les nombreuses strates hiérarchiques dans lesquels chaque décision doit être avalisée par la couche supérieure jusqu’aux plus hauts niveaux (DSI, DAF, CEO …), les Comités de toute sorte qui ne font que peser sur la bonne marche des équipes et par ricochet, au projet lui-même. Place à « l’agilité », au DevOps, et aux nouveaux outils collaboratifs qui fédèrent des communautés en dehors des circuits internes à l’entreprise. Il est toutefois à noter que « l’agilité » telle qu’elle nous est vendue repose sur des méthodes ou des process, qui, fatalement s’il faut se plier à leurs rigidités et leurs dogmes vont nuire à … l’agilité. Les « méthodes agiles », paradoxe ou oxymore ? La véritable agilité dans le développement ne passe-t-elle pas par une absence de tout process ? Le gibbon qui bondit (avec agilité bien sûr) de branche en branche obéit-il à une méthode ? Qu’importe le chemin, du moment qu’il mène au but, le plus rapidement et à moindre coût. L’ordre nait du chaos… J’ai conscience de l’aspect iconoclaste voire blasphématoire de cette réflexion et qui me voue au bûcher pour hérésie tant elle sent le soufre. Elle doit faire frémir dans leurs braies tous les consultants et autres « coachs agiles », tous ceux dont le métier consiste à nous vendre (fort cher) des méthodes qui ne font que poser de nouvelles contraintes en lieu et place des anciennes alors qu’elles sont censées améliorer l’efficacité, « fluidifier », comme ils disent, … je me marre.

Si ces nouvelles formes de travail concernent en premier chef les salariés, que les Managers ne se croient pas à l’abri des vents du changement. Eux aussi auront à se pencher sur leur métier à réfléchir sur leurs prérogatives. Ils devront s’adapter aux nouveaux paradigmes, sous peine d’être relégués au cimetière des éléphants. Ils devront avoir la capacité de comprendre ces règles du jeu issues, non plus d’un apprentissage dans des Ecoles à formater des Cadres, mais directement issues des bonnes pratiques du terrain, et mises en œuvre par l’ensemble d’une Communauté qui dépasse très largement le cadre de l’entreprise. L’Open Source a ouvert une boîte de Pandore, et un petit génie boutonneux de 15 ans à l’autre bout de la planète peut à lui seul, derrière son petit écran, solutionner un problème qui avalait la force créatrice de dix collaborateurs. Dur pour l’ego !

Ces changements vont essentiellement concerner les cadres au contact direct avec les équipes, mais également les niveaux supérieurs qui devront aussi adopter une façon d’aborder leurs pouvoirs et leurs prérogatives.

Seront également directement impactés, les DRH qui auront pour mission de mettre en pratique ces nouvelles règles dans la sélection des futurs candidats. Le diplôme comptera moins que la réputation numérique, la capacité à comprendre et se mouvoir dans un univers de plus en plus virtualisé et le réflexe d’utiliser les outils collaboratifs, de faire partie de Communautés virtuelles réparties sur toute la planète, la pratique et la débrouillardise plus que la connaissance théorique apprise sur les bancs des écoles. Pour un DRH, embaucher un futur collaborateur lui imposera d’avoir à sortir de ses schémas classiques de recrutement.   

Le déclin du management « vertical » ?

Jusqu’à maintenant, le Manager se positionne dans une dimension hiérarchique, à savoir que son rôle consiste à être la courroie de transmission (et quelquefois le fusible) venant de et allant vers ses N+1, de faire appliquer la Gouvernance et en retour, de les tenir informé de l’avancement des projets ou des travaux. Pour satisfaire son ego, on lui attribue généreusement un budget, mais son pouvoir se limite le plus souvent à dire « non », le « oui » restant une prérogative réservée aux « Executive », la Caste supérieure.  

Schématiquement, cette organisation est représentée sous forme de pyramide, dans laquelle les strates hiérarchiques sont horizontales et chaque niveau dument borné. Passer de l’un à l’autre est synonyme d’une ascension dans la pyramide, avec à la clé, plus de responsabilités (et de salaire, bien sûr…), de budget, la gestion de, non plus une équipe, mais de Managers d’équipes, puis de Managers de Managers d’équipe, etc… La réussite se mesurant au nombre d’étages franchis durant sa carrière. L’avantage, si on peut dire, de cette organisation était un certain confort intellectuel, avec un objectif simple à imaginer (mais pas toujours à atteindre), celui de « monter » dans la hiérarchie. Rien de choquant là-dedans, c’est le Système qui l’exige et tout le monde s’en contente sauf les sempiternels oiseaux de malheur, frustrés et aigris ou bien conscients de leur incapacité. L’inconvénient de ce découpage fonctionnel est que les Managers sont souvent plus préoccupés à maintenir ou faire évoluer leur position dans la pyramide que par un souci de donner à leur équipe tout ce qui pourrait la faire avancer de manière plus efficace. En plus, ça se bouscule au portillon, la nouvelle génération, celle des jeunes loups qui lorgne sur les places à prendre, se heurte à celle des vieux renards qui ne tiennent pas spécialement à s’effacer devant ces paltoquets. 

D’où, de nombreuses strates managériales, des décisions venant d’en haut qui se diluent dans les méandres de l’organisation, et inversement, des informations cruciales ou des idées pertinentes qui ne remontent jamais aux décideurs, due à des petits conflits d’intérêts personnels, des jalousies, de la « guerre des services ». D’où des actions de la base ralenties en attendant que Mesdames et Messieurs les Managers aient enfin réglé leurs différents et fumé le calumet de la paix. On privilégie le process ou l’ego plutôt que le résultat. 

Un exemple qui illustre bien cela, a été dans la première décennie 2000, au moment du déploiement de la virtualisation des serveurs et de l’automatisation des tâches de la production informatique dans le SI d’une grande entreprise. Un clic de souris ou un script dans un flux d’orchestration pouvait générer le déploiement d’un serveur en quelques minutes … mais l’organisation en place imposait qu’il faille attendre le GO émanant de chacun des comités managériaux, d’investissement, de validation d’architecture, d’exploitabilité, de sécurité, etc…  Qui se renvoyaient la balle, chacun attendant la décision de l’autre pour se prononcer. La conséquence était qu’une action de déploiement qui prenait moins d’une heure devait quelquefois attendre des jours, voire des semaines avant de pouvoir être lancée… On voit bien que l’organisation en place et les process qui avaient été instauré ralentissaient considérablement l’action elle-même, et chacun sait bien que mettre en place des outils pour automatiser n’a de sens que si toute l’organisation se met au diapason. Ce n’est pas à l’outil de s’adapter à l’organisation.     

Pour apporter un peu de fraîcheur dans un univers qui en manque tant, voici une nomenclature, non exhaustive, de certains traits de caractère qu’on retrouve dans le management « legacy », c’est-à-dire les grandes entreprises et les administrations. Mais, pas de jaloux, certain des travers pointés dans la liste qui suit sont aussi existant dans des start-ups. Pour la petite histoire, chaque catégorie est du vécu en quarante ans de vie en entreprise. Rassurez-vous, aucun nom ne sera cité, mais je suis certain que ceux qui liront ce texte ont dû croiser un ou plusieurs des quelques spécimens décrits. 

  • Le Sanguin : Toujours sous pression, cocotte-minute à deux doigts de l’explosion, grossier, s’emporte jusqu’à en hurler, ne manifeste aucun respect pour les salariés qu’il insulte sans vergogne. En règle générale, détesté de ses collaborateurs.
  • Le Dictateur : Souverain incontesté auto-proclamé, ne souffre d’aucune remise en cause de sa politique, est toujours sûr d’avoir raison, même contre tous, bourré de certitudes. C’est lui qui décide, un point c’est tout. En général, finit par se retrouver seul, personne ne souhaitant travailler avec un tel personnage.  
  • La Diva : Reste cloitré dans son bureau, n’est jamais disponible sauf à des horaires indécents (avant 8H00 ou après 20H), ne s’intéresse qu’à ce qui peut le différencier de ses collaborateurs (budget, communication, gloriole, …). Passe le plus clair de son temps en réunions, même celles dans lesquelles il n’a rien à faire, mais du moment qu’une huile y participe, il ne peut se permettre de ne pas y assister. Il parle « Business » et « stratégie », plus que de projet et a une très haute estime de lui-même et de sa fonction. Affiche un certain mépris pour les tâches « techniques » qu’il juge dévalorisantes. Autre trait, ne répond jamais aux mails sauf quand ils viennent du haut, et ne répond jamais aux questions de ses collaborateurs, lui, il attend des réponses. 
  • Le Lézard : Animal à sang froid, vous scrute par-dessus ses lunettes de son regard de caméléon prêt à fondre sur sa proie, ne dit rien, ou très peu, mais cela suffit à terroriser n’importe quel collaborateur. Peut avoir un certain charisme. 
  • Le Has been : Auréolé d’un passé glorieux, est resté bloqué sur ses succès antérieurs. Souvent réfractaire aux changements, devient rapidement dépassé pour ses équipes, voire radoteur.  
  • Le Je sais tout : Met un point d’honneur à être plus performant techniquement que ses collaborateurs. Du coup, laisse peu d’initiatives, tend à vouloir tout comprendre et tout contrôler, et in fine, nuit au bon fonctionnement de l’équipe et son efficacité.  
  • Le Besogneux : Très scolaire, procédurier, plus préoccupé par la forme que par le fond. Pour lui, seul compte le process, plus que le résultat. Administratif, paperassier et chronophage, il ralenti considérablement son équipe avec des réunions et du reporting incessants.
  • Le Mafioso : Se base sur un réseau de fidèles, qui seront largement récompensés pour peu qu’ils suivent aveuglément le « Capo ». Malheur aux autres… En fin stratège, ayant lu Sun Tzu et Machiavel, met en place un système qui oblige tout le monde à passer sous ses fourches caudines en positionnant ses lieutenants aux bons endroits. Très apprécié par ses fidèles, … moins par les autres.  
  • La Girouette : Bon marin, il sait prendre les vents venus d’en haut et n’hésite pas à virer de bord, au grand dam de son équipe qui finit par ne plus très bien savoir quelle direction prendre.
  • L’Adjudant (ou le Sportif) : Voit son équipe comme une unité militaire ou une équipe de foot, est toujours dans une logique de conflit, de compétition, utilise souvent un langage guerrier ou à connotation sexuelle, harangue ses collaborateurs tel le « sous-off » à l’instruction ou bien l’entraineur sur un terrain.
  • Le Raptor : Prédateur toujours en chasse, à l’affut de tout ce qui pourrait le mettre en valeur, prompt à vous dépouiller de votre projet, mais surtout pas pour le faire, juste pour en contrôler le budget et la communication (“… un beau projet comme ça, il faut un Manager de mon calibre…”) 
  • Le Mégalo : Se croit investi d’une mission divine, et parle de l’Entreprise comme si elle lui appartenait en propre (… Oui, beau projet, mais combien ça ME coûte…et combien ça ME rapporte ?). 
  • Le Carriériste : Politicard, toujours à rôder dans l’entourage des Dirigeants, seule compte sa carrière, chaque poste occupé n’étant qu’une étape vers le suivant, délaisse très souvent son équipe, normal, n’a en tête que sa carrière. S’entoure toujours de collaborateurs ternes qui ne risquent pas de lui faire de l’ombre.
  • Le Chouinard : toujours en train de se plaindre de tout, rien ne va, on n’y arrivera jamais… ne stimule pas particulièrement son équipe.
  • Le Flic : mentalité de “tchékiste” (T’as pas entendu ce qu’il a dit le chef !!!), délateur, n’hésitant pas une seconde à démolir ses collaborateurs. En général, récolte ce qu’il sème et on ne se bouscule pas pour aller chez lui.
  • Le “Winner” : façon Tapie dans les 80′, look cool, langage “djeun”, santiags ou baskets sur le bureau, boucle d’oreille et tatouages, mais qui sous ses airs sympas, se révèle un épouvantable prédateur qui finit par vous dévorer. On les trouve essentiellement dans les petites structures, (start-up, cabinets de conseils) dont ils sont en général les fondateurs et directeurs.
  • Le Gaulois : la moustache qui se veut gauloise, mais qui n’est que flicarde, le regard qui se veut de braise, mais qui n’est que sanguin, sûr de son charme irrésistible, plus préoccupé par son image auprès du beau sexe que des succès de son équipe (avatar typiquement masculin).
  • Le Vampire : S’approprie le travail de ses collaborateurs (passe-moi tes slides, je monte chez le DSI) sans aucun scrupule…et au grand dam de celui qui l’a vraiment fait, d’où, frustration du dit collaborateur qui se voit dépouillé des fruits de son travail 

Certes, cette liste, un tant soit peu caricaturale, pointe plus des travers managériaux, dont les seniors au long de leur carrière ont dû croiser quelques spécimens. Certains se payant même le luxe de cumuler plusieurs de ces caractéristiques. Bien entendu, et ce, dans un souci d’égalité des sexes, il va de soi que ces caractères ne sont pas l’apanage des seuls mâles blancs hétérosexuels. Hormis le « Gaulois » typiquement masculin, les autres sont comme les anges, ils n’ont pas de genre, de race ou de religion. 

Mais bien entendu, il faut également parler des formidables qualités rencontrées chez certains, et de l’engouement qu’ils peuvent susciter au sein de leur équipe. A ceux-là, je tire mon chapeau et les remercie de la passionnante aventure qu’ils m’ont fait vivre. 

Le Manager du futur ?

Contrairement à ses prédécesseurs, et malgré l’adage qu’on prête à Lao Tseu (on lui en prête beaucoup, pourquoi pas celui-là) qui dit « offre toujours les fruits de ton travail à ton chef, tu lui éviteras d’avoir à se l’accaparer et ça lui apportera la bonne conscience et la sérénité »,  le Manager du futur ne se définit plus comme au-dessus de ses collaborateurs, c’est-à-dire qu’il met de côté ses considérations hiérarchiques pour se concentrer sur un seul objectif, qui est celui du résultat. Sa réussite passe par le succès de son équipe, et pas par sa capacité à se mouvoir dans l’écosystème managérial. Il ne cherche pas à se parer des plumes de ses collaborateurs, mais au contraire, va mettre en avant leurs qualités et leur rôle incontournable dans le succès de la mission. Il a bien intégré que son succès repose sur son équipe et en général, l’équipe lui en est reconnaissante. S’il doit aller présenter les travaux à sa hiérarchie, il prendra avec lui le collaborateur qui a réellement effectué le travail et qui sera mieux à même d’en expliquer les tenants et les aboutissements.

Son rôle principal sera de faire en sorte que son équipe puisse avancer sans contraintes, de lever les blocages et d’éviter tant que faire se peut tout ce qui pourrait dévier ou ralentir le projet. Il n’est plus totalement un acteur dans une logique verticale, dans une chaîne de commandement, mais un vecteur de la réussite de l’objectif. Il est plus un « Leader » qu’un « Manager ». Pour faire une analogie, il est comme le capitaine d’une équipe sportive. Il est sur le terrain, participe activement à la partie, assume son rôle de capitaine, mais n’est qu’un élément dans l’équipe au même titre que les autres et en partage le seul objectif : gagner. 

Il a la culture du résultat, n’hésite pas à contourner ou à bousculer les processus en place qu’il juge chronophages, ou n’allant pas dans le bon sens et donne à son équipe les tous les moyens pour réussir la mission. Il n’est plus un « chef » au sens commun du terme, mais un acteur du projet avec un rôle bien défini, mais qui peut changer d’un projet à l’autre. Il peut être Leader dans un domaine technique et apporter sa connaissance, il peut s’appuyer entièrement sur les compétences de son équipe et se focaliser sur ce qui est susceptible de freiner l’équipe. Il travaille en confiance, connait la valeur et les domaines de compétences de ses collaborateurs, et laisse l’équipe se mettre en place, chacun amenant naturellement ses connaissances et ses qualités pour en faire un tout. Il identifie par avance les facteurs de blocage ou de ralentissement. Ceci ne signifie pas qu’il renonce aux tâches qui lui incombent, gestion de l’équipe, du budget, entretiens, auxquelles il reste toujours assujetti étant donné sa position mais ne les considère plus comme une fin en soi, mais comme un passage obligé. 

Il connait et sait utiliser les outils numériques et collaboratifs à sa disposition, et laisse à l’équipe le choix des composants techniques pour la réalisation de l’objectif.   

Présenté de cette manière, on voit bien la distance qui sépare le management « traditionnel » d’un management dit « agile ». Quel Manager accepterait de partager son pouvoir et ses prérogatives au profit de son équipe ? Voir de remettre en question son propre rôle ou sa position dans l’organisation. Le vent du changement pose clairement toutes ces questions, et sans une gouvernance forte capable d’insuffler cette culture aux Managers ce concept restera lettre morte, et la situation restera à l’identique, la seule différence notable sera que le discours managérial intégrera toute la nouvelle sémantique, … mais pas la pratique. 

Management vs Leadership

Comme évoqué plus avant, la position de Manager, si elle jouit de certaines prérogatives, ne doit pas être une fin en soi. Si on s’en tient à l’étymologie, manager signifie gérer. La plupart de celles et ceux qui occupent cette fonction se comportent effectivement comme des petits boutiquiers qui vont essayer de dépenser le moins possible la poignée de piastres que la Direction leur a généreusement concédé. Leur réussite passe par la gestion rigoureuse de leur budget et leur politique consiste à essayer d’en obtenir toujours plus, le sentiment général étant que plus le budget alloué est conséquent, plus le Manager est « puissant » … C’est un peu vrai, du moins, ça l’a été, mais aujourd’hui, les temps changent. On peut très bien faire quasiment sans coûts, des réalisations qui engageaient des sommes importantes, tant en ressources humaines que matérielles. Encore une fois, l’Open source et son univers peuvent tout à fait répondre aux problématiques posées sans qu’il soit nécessaire d’engraisser des sociétés tierces ou des fournisseurs. La jeune génération l’a très bien compris et sait parfaitement utiliser toutes les cordes offertes par ces nouvelles opportunités. Alors dans la mesure ou les Managers verront leur budget se réduire comme peau de chagrin, que restera-t-il de leur prérogative ? Juste être des gardiens de troupeau préposés aux entretiens de progrès, à la gestion des agendas (congés, absences) et des notes de frais (dans la limite du budget accordé, bien entendu). Nous avons la chance de vivre un métier en constante évolution, ce qui a été adulé et porté aux nues un jour se voit relégué aux oubliettes quelques mois après, de nouvelles technologies, concepts, perspectives s’offrent chaque jour à ceux qui ont un esprit ouvert. Travailler dans les TIC reste un des rares domaines dans lesquels on a la chance de pouvoir évoluer, d’apprendre et de s’enrichir tout au long de sa carrière. Aujourd’hui, le Manager doit laisser place au Leader, à celui qui sera capable d’identifier les futures tendances, de voir loin et bien, d’anticiper les choix de solution, d’écouter ses collaborateurs, et surtout, d’avancer malgré les embûches et les difficultés. Un tel manager aura la confiance de son équipe, et sans cette confiance, la qualité du travail s’en ressentira fortement.  

© Eric S.

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