Gilles Kepel, expert?

Gilles Kepel. © C. Hélie. Gallimard

Pour la petite histoire, il est à préciser que cet article a été originellement une lettre envoyée personnellement à Monsieur Gilles Kepel. D’autre part, ce dernier figure dans la liste de diffusion du courriel envoyé par l’auteur de cet article, Meïr Ben Hayoun, à sa liste de diffusion. 

La grande interview: Gilles Kepel est l’invité de Sonia Mabrouk

Monsieur Gilles KEPEL

Mon nom est Meïr BEN HAYOUN, de Jérusalem, Israélien originaire de France depuis 45 ans, journaliste de mon état. Militant sioniste, je suis le représentant francophone du parti Otzma yehoudit dont le chef de file est le ministre de la sécurité interne, Itamar BEN GVIR. Cela fait des années que je vous écoute avec beaucoup d’intérêt, précisément depuis les remous du 11 septembre 2001. Vos interventions sur l’univers arabo-musulman ont toujours été extrêmement enrichissantes.

Depuis le 7 octobre dernier, vous êtes fréquemment sollicité par les médias pour commenter la crise actuelle en Israël, récemment sur Radio J. Or vous vous contentez d’approximations, voire de désinformation patente, sur la société israélienne et sur la vie politique de notre pays.

Certes, Israël n’est pas votre champ d’études ni d’expertise, mais tout de même. Un universitaire de votre niveau, mondialement réputé, peut-il s’exprimer dans un domaine qu’il ne maîtrise pas très bien sans être conscient de son ignorance?

D’autre part, même si Israël n’est pas votre domaine, depuis sa création, les bouleversements que l’Etat juif a engendrés au Moyen-Orient dans le monde arabo-musulman ne vous permettent pas d’ignorer cette société au point de vous accommoder de telles lacunes dans chacune de vos observations. Et surtout, quand de surcroît, cela met en relief vos a priori assez sommaires par le biais desquels vous vous délestez de l’objectivité dont vous vous réclamez par ailleurs.

Je donnerai quelques exemples afin de ne pas vous laisser sur votre faim, ni de vous induire à imaginer que vous auriez été pris en grippe sans raison.

 Quand vous affirmez de façon assez péremptoire que le dispositif de défense du pourtour de la Bande de Gaza a été dégarni pour complaire aux habitants de Judée-Samarie, vous ne savez aucunement comment les choses fonctionnent.

 Au préalable, ces Juifs pionniers ne sont pas des colons, juif étant en français une déformation du mot judéen. Vous qui êtes arabophone, mieux que quiconque, vous êtes en mesure de le saisir. Un Juif, un yehoudi à l’origine, est un citoyen de la terre de Yehouda, de la Judée en français. Alors je vous en prie, un Juif est en légitimité absolue en Judée Samarie en tant que citoyen d’un peuple lié à sa terre plus que tout autre peuple au monde. Faites aussi l’effort de mentionner correctement la désignation géographique de notre terre. En revanche, votre pays, la France, possède toujours des colonies appelées de façon édulcorée DOM-TOM, situées à des milliers de kilomètres et à plusieurs fuseaux horaires de l’Hexagone. Je ne crois pas que vous désignez du nom de ‘colons’ les Français des Antilles ou de Polynésie. S’il y a des colons sur notre terre, ce sont les colons arabes dits “palestiniens” qui par leur expansionnisme insatiable ont envahi les terres de dizaines de peuples autour de la Méditerranée dont entre autres, la terre d’Israël. D’autre part, vous n’êtes pas sans savoir que la Terre d’Israël comprenait l’Israël d’aujourd’hui, avec la Judée Samarie, ainsi que la Jordanie actuelle trois plus spacieuse. On ne vous entend pas rappeler ces fondamentaux qui sont des données de culture universelle risquant de ruiner ce discours biaisé que vous reprenez en chœur avec tous les autres commentateurs. Vous vous fournissez tous chez le même grossiste en sémantique qui cherche falacieusement à criminaliser le lien du peuple juif avec sa terre.

Recrudescence du terrorisme au début de l’année juive -l’horreur du lynchage de Ramallah début octobre 2000

Pour en revenir à la Judée-Samarie, depuis toujours, les fêtes juives du début de l’année hébraïque sont propices aux attaques ennemies et à une intensification de l’activité terroriste, l’exemple le plus frappant étant la Guerre de Kippour. Pour cette raison, quel que soit le gouvernement en place, tous les ans lors de ces célébrations juives qui durent trois semaines depuis Rosh Hashana jusqu’à Simhat Torah, ce que visiblement vous ignoriez jusque récemment, Tsahal renforce son dispositif aux frontières Nord et Sud ainsi qu’en Judée Samarie qui de surcroît a été le théâtre de dizaines d’attaques terroristes ces derniers mois avant le 7/10, par exemple à Hawara, entre autres.

Char d’assaut de type Merkava IV

D’autre part, le dispositif de défense en Judée Samarie ne comprend pas de char d’assaut. Par conséquent, aucun char d’assaut n’a été transféré du pourtour de la Bande de Gaza vers la Judée Samarie. A moins que vous ne confondiez un char d’assaut de type “merkava” avec un véhicule tout terrain de transport de troupes à l’épreuve des balles. Si le dispositif autour de la Bande de Gaza a été allégé, il faut chercher ailleurs, et non pas affirmer ce que vous ignorez, ni n’avez vérifié.

Forces israéliennes en opération à Jénine au Nord de la Samarie

Voici donc un début de réponse très schématique : cela tient au fait que les grosses huiles de l’armée et des services de sécurité ont considéré que le Hamas était dissuadé pour les années à venir. De même, pour ces hauts responsables, le Premier ministre est un “alarmiste”, un “paniqueur”, un empêcheur de tourner en rond, comme souvent cela a été diffusé par les détracteurs de sa politique en citant anonymement des sources militaires et des sources de la défense. Et c’est entre autres la raison pour laquelle, ni le Chef d’État-major ni le Chef du renseignement militaire n’ont désiré le réveiller au milieu de la nuit du 6 au 7/10 alors que la situation l’exigeait. Par conséquent, votre première assertion sur le dégarnissement du pourtour de la Bande de Gaza pour complaire aux habitants de Judée Samarie, suffit à elle seule à fissurer tout votre argumentaire. C’est une énormité indigne d’une personne de votre réputation.

Autre sujet de politique israélienne interne. Votre affirmation selon laquelle le Premier ministre a intérêt à poursuivre cette guerre pour se préserver d’aller en prison, laissant entendre que la poursuite des combats suspend les procédures judiciaires à son encontre. Pardonnez-moi de vous le dire en termes si familiers, sur ce point, vous êtes carrément à côté de vos pompes. Le procès du Premier ministre interrompu effectivement lorsque la guerre a éclaté le 07/10 a repris précisément deux mois après, le 7 décembre. Aujourd’hui cela fait déjà quatre mois. Et vous devriez savoir que le système juridique en Israël n’est point complaisant ni avec un Premier ministre, ni avec un Président, surtout s’ils sont de droite. S’il y a condamnation, le Droit israélien investit la Conseillère juridique du Gouvernement, loin de faire la vie facile à l’exécutif, au contraire, pour déclarer son “empêchement” et le démettre de ses fonctions. C’est un processus beaucoup plus implacable et rapide que pour un Chef d’Etat en France ou aux Etats-Unis.

 Sur le procès de Netanyahou en l’espèce où, vous prenez pour argent comptant qu’il est coupable et qu’il devra par conséquent purger une peine de prison, vous en savez encore moins. Depuis plus de deux ans que son procès a débuté et alors que le Parquet a pesé de tout son poids et de toute sa réputation dans l’inculpation de Netanyahou, après l’audition de cinquante témoins à charge, pas un seul n’a confirmé la thèse du Parquet. Si bien que les juges, au début certains que pour l’histoire d’Israël, ils seraient ceux qui condamneraient Netanyahou, ont demandé au Parquet d’effacer les chefs d’inculpation pour faits de corruption. Ceci alors que les témoins de la défense n’ont pas encore commencé à comparaître à la barre. Vous n’êtes pas davantage au courant des centaines de malversations dans cette procédure, par la police, par le Parquet, les écoutes illégales, les intrusions informatiques dans les téléphones par des logiciels de guerre cybernétique en principe à ne faire emploi que pour la défense nationale et non dans des procédures civiles. Des effractions gravissimes qui normalement devraient mener leurs auteurs devant les Assises. Comme vous ne connaissez pas l’hébreu, vous pouvez suivre cela dans la presse israélienne francophone si vous manifestez un tant soit peu d’intérêt pour ces sujets, et recueillir ainsi plusieurs sons de cloche pour vous faire une idée qui soit fondée, et l’exprimer en conséquence.

Il faut se mettre à jour Monsieur Kepel si vous prétendez connaître ce dont vous parlez. Le ton sirupeux et se voulant docte avec lequel vous avez exposé vos vues sur les antennes ne peut camoufler votre préoccupante méconnaissance du dossier.

Itamar ben Gvir dans un vaste programme d’armement des équipes d’intervention civile des localités périphériques d’Israël

Quand vous évoquez avec un mépris consommé le ministre Itamar Ben Gvir, sur ce point précisément, vous faites fi de ce que vous affirmez lorsque vous déplorez avec raison la confiance excessive des preneurs de décision avant le 07/10. En effet, Itamar Ben Gvir est le seul ministre, je dis bien le seul, à avoir exigé – déjà bien avant la formation de ce gouvernement en janvier 2023- de reprendre les éliminations ciblées et d’anéantir totalement le Hamas. En l’espèce, en mai 2023, suite aux éliminations ciblées des chefs du Djihad islamique lors de l’Opération “Flèche et arc”. Itamar BEN GVIR estimait que le distinguo entre le Djihad islamique et le Hamas, soi-disant revenu à de meilleures dispositions, n’avait pas lieu d’être. Or l’establishment de la défense (Tsahal, Shabak et Mossad) s’est levé comme un seul homme contre les propositions d’Itamar Ben Gvir, les qualifiant d’aventurières et d’irresponsables. Heureusement que dans son domaine, la sécurité interne, Itamar Ben Gvir s’est démené jour et nuit pour prévenir, réarmer et multiplier les groupes d’intervention civile et renforcer la police qui était en déconfiture, ce qui a permis que cette razzia abominable ne fasse pas tache d’huile dans le secteur arabe israélien en Galilée, dans le Néguev et à Jérusalem où les forces djihadistes et les armes de guerre illégales pullulent.

Dr Michael Ben Ari; “Il n’y a pas de Gaza et nous. C’est, ou Gaza, ou nous!”

Vous brocardez la “conceptsia” israélienne qui a toléré que le Hamas soit financé par le Qatar. Or la cohérence de votre discours aurait exigé que vous félicitiez des gens comme le ministre Itamar Ben Gvir ou le docteur Michael Ben Ari fondateur du parti Otzma Yehoudit, et de façon générale la lucidité des “messianistes”. En 2018, après un round de tirs de missiles sur Israël par le hamas, le docteur Ben Ari avait précisément prévenu du danger provenant de la Bande de Gaza. En ces termes traduits en français par mes soins : “Je me trouve ici à la frontière entre l’Etat d’Israël et un Etat qu’Israël a érigé [en référence à l’abandon de la Bande de Gaza par le Gouvernement Sharon en 2005], l’Etat de Gaza, l’Etat du hamas. Rappelons-nous tous, le hamas, la seule chose qui l’intéresse, la seule chose à laquelle il est occupé, c’est l’extermination de l’Etat d’Israël. C’est cela qui les occupe : production de missiles, creuser des tunnels et porter atteinte à l’Etat d’Israël par tout moyen possible. C’est la seule chose qui les occupe. On ne fuit pas Gaza! Celui qui fuit Gaza, Gaza le poursuivra!

Les horreurs engendrées par des décennies de palestinisme

Nous n’avons donc pas attendu le 07/10 pour prendre acte du caractère nazislamiste exterminateur du Hamas qui, vous le savez très bien, est une émanation et une expression on ne peut plus enracinées et populaires de la Bande de Gaza. Nous n’avons pas attendu le 07/10 pour nous insurger contre le fait que l’appareil militaro-politique essayait de gérer ce mal et de le maintenir supportable au lieu de le combattre sans merci et de l’éliminer totalement. Nous les Juifs “messianistes”, n’avons pas attendu que 1400 personnes soient horriblement assassinées, des bébés décapités et rôtis dans des fours, des femmes enceintes bâillonnées éventrées pour leur retirer leur embryon, des femmes et des hommes violés en tournantes et leurs organes génitaux mutilés à vif avant d’être mis à mort par des modes d’exécution inimaginables, nous n’avons pas attendu ces atrocités sans précédent pour appeler non seulement à ne pas permettre les fonds de passer dans la Bande de Gaza, mais à la réinvestir jusqu’au dernier centimètre carré et non seulement à anéantir le nazislamisme, mais à le déraciner complètement, comme on le fait avec les mauvaises herbes.  Songez-y quand vos lèvres prononceront encore sur le ton péjoratif qu’on vous connait, le terme “messianiste”.

David Ben Gourion proclamant la Création de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948

Une autre de vos erreurs qui n’a pas été relevée par votre intervieweur de Radio J, une erreur monumentale, sur l’apparition de l’Etat juif sur la scène internationale. Ce n’est pas l’ONU qui a “créé” l’Etat d’Israël comme vous l’avez affirmé. L’ONU certes a reconnu en plénière le plan de partage le 29 novembre 1947. C’est le peuple juif par des efforts surhumains qui a décidé de mettre un terme à sa condition diasporique, trois ans à peine après la Shoah, après 1900 ans d’exil, une épaisseur de temps inconcevable, dans un concours de circonstances inouïes et défiant les Lois de l’Histoire, par le biais du Mouvement sioniste et par la voix de son dirigeant, David Ben Gourion. C’est le peuple juif uniquement qui a érigé l’Etat d’Israël le 14 mai 1948. A cet égard, l’ONU n’a d’ailleurs jamais créé d’Etat.

Il y a encore beaucoup d’autres sujets sur lesquels vous avez sombré dans des écueils grossiers, mais par miséricorde pour votre personne, je m’abstiendrai de vous charger davantage.

Il est toutefois effarant de constater comment dans une interview de seulement une demi-heure sur Radio J, vous avez multiplié en rafales les inexactitudes sur Israël. C’est à se demander si c’est ainsi que vous approfondissez les sujets que vous entendez traiter. Peut-être nous sommes-nous laissés jeter de la poudre aux yeux par vos interventions depuis le 11 septembre 2001 et  n’avions-nous pas à notre disposition les connaissances suffisantes pour valider vos propos sur l’univers arabo-islamique. Désormais, il faudra prendre avec force précautions vos propos, même là où vous êtes censés être un expert.

Quand de surcroît, vous publiez un livre alors que les événements ne sont pas terminés, que la guerre suit son cours, vous avez congédié le recul nécessaire, la circonspection et le sérieux qui sont de mise face aux évènements actuels. J’allais oublier le titre hystérique et surtout racoleur de votre livre : Holocaustes, au pluriel, insinuant lourdement qu’il y aurait symétrie entre la riposte israélienne et l’abomination nazislamiste du 07/10. C’est assez bas de votre part de laisser entendre cela et de camper dans la posture de l’innocent objectif. On est en droit de se poser la question si votre livre vaut le papier sur lequel il est imprimé.

© Meïr Ben Hayoun, Jérusalem

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