Auschwitz à l’épreuve des mots. Richard Prasquier

A Auschwitz, dont je reviens avec le voyage du Crif, j’ai fait plus de vingt voyages.

Je n’ai pas connu l’époque où les communistes prétendaient que là avaient été tués 3 millions d’antifascistes de toutes nationalités. J’ai connu les luttes contre les négationnistes, les confusionnistes amalgamistes, les partisans antisémites du Carmel et la ténacité des anciens déportés.

 Auschwitz,  ce trou noir d’humanité, est un lieu d’histoire exigeant, mais aussi un lieu de confrontation avec l’actualité et de questionnement avec soi-même. Qu’aurais-je fait  à cette époque si j’avais été Allemand? 

La phrase “Plus jamais ça” est vaine, puisque “ça” a eu lieu au Rwanda devant un monde inerte, mais je pensais que “ça” ne concernerait plus jamais des Juifs. Puis est survenu le 7 octobre. Ce voyage à Auschwitz s’est fait sous le spectre de cette journée maudite.

La phrase d’Albert Camus: “Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde”, est si souvent répétée qu’elle est devenue un poncif, mais il faut lire le texte magnifique dont elle est issue, une réflexion sur la manipulation des mots. Or, Auschwitz est aussi le creuset d’une guerre des mots.

Qu’on les appelle massacre, pogrome ou razzia, les assassinats du 7 octobre répondent aux critères du génocide. Les terroristes étaient venus avec l’intention de tuer. Ils ont violé, torturé, transformé en marchandise d’échange ceux qu’ils pensaient être des Juifs, puisque c’est le nom qu’ils donnent aux Israéliens.

Cependant ce qualificatif de génocide, c’est à Israël qu’il est appliqué aujourd’hui. Faut-il rappeler que le nombre de victimes n’intervient pas dans la définition, mais que l’intentionnalité y est primordiale? 

Il y a eu 30 000 victimes à Gaza, si on admet les chiffres du Hamas, dont un statisticien américain vient de montrer qu’ils ne peuvent pas être véridiques. Beaucoup sont des civils, victimes collatérales qu’on a cherché autant que possible à éviter dans une guerre en partie souterraine d’une difficulté inédite.  Alors que la CIJ n’a pas encore statué sur le fond de la plainte, le fait qu’elle ait accepté de l’étudier suffit pour déclarer qu’Israël a commis un génocide. Il n’est pas considéré comme coupable parce qu’un jugement a été émis, mais parce qu’une accusation a été portée. Aujourd’hui, ce n’est pas une opinion, c’est une diffamation. 

Une visite d’Auschwitz Birkenau est un antidote à cette accusation honteuse car elle enseigne ce qu’a été un vrai génocide. Encore faut-il que le guide, dans ce lieu d’une grande complexité, s’attarde sur ce qu’on voit le moins, l’élimination sans même qu’ils soient entrés dans le camp, de un million d’individus envoyés directement du train vers la chambre à gaz. Une visite isolée de Auschwitz 1, qui est un lieu de souffrance, mais de vie, contribue à la confusion. Peu de personnes vont à Treblinka, Belzec ou Sobibor, où le seul travail consistait à tuer et à se débarrasser des corps. Qui fait  une visite sérieuse ne peut plus, sauf perversité indécrottable, prétendre que “la véritable Shoah, c’est la Neqba”. Malheureusement, ceux qui le disent font rarement ces visites. Josep Borrell en aurait besoin, lui qui vient de qualifier Gaza de cimetière à ciel ouvert…

Un autre mot ambigu est celui de “camp”,  à l’origine un terme militaire. L’expression de “camp de concentration” date du début du XXe siècle, de la guerre britannique contre les Boers en Afrique du Sud.  Depuis 1945, comme la grande majorité des déportés survivants, les résistants non-juifs venaient de camps comme Buchenwald, Dachau, Dora ou Ravensbruck où les souffrances étaient grandes et la mort  fréquente, la confusion s’est installée entre camps de concentration et camps d’extermination. Elle implique aujourd’hui une bonne dose d’ignorance ou de mauvaise foi, qui a permis au simple mot “camp” utilisé à dessein sans qualificatif de faire roder la suspicion du génocide.

Faut-il parler aussi du mot “famine”?  C’était la souffrance la pire qui tenaillait  les déportés. C’est devenu une alerte répétée depuis des mois par les ONG et les autorités politiques internationales. Le  fait qu’Israël ne s’oppose pas au passage de l’aide humanitaire, qu’une partie majeure de celle-ci est captée les gangs locaux et le Hamas, que les accusations d’utiliser les regroupements de foule pour tuer des Gazaouis se sont révélées des faux, tout cela n’y fait rien: Israël est accusé de provoquer la famine, même si des enquêtes laissent des doutes sur l’omniprésence de celle-ci.

Le voyage se terminait par la visite de la première chambre à gaz, près de laquelle fut érigée la potence où fut pendu le 16 avril 1947 le lieutenant colonel Rudolf Höss,  commandant du camp. Il voyait en face de lui la Kommandantur où il avait donné ses ordres et un peu à gauche, la maison où il avait avec sa famille passé de si agréables  années. Le réalisateur juif britannique, Jonathan Glazer,  en recevant un  Oscar pour son film “Zone d’intérêt” qui décrit la vie  des nazis à  Auschwitz,  s’est autorisé à dire que en tant que Juif, il refusait que l’Holocauste soit détourné par “une occupation qui a mené à une guerre impliquant tant d’innocents”. Le public a applaudi car une posture pacifiste et humanitariste fait toujours recette, mais le Président de la fondation des survivants américains de l’Holocauste lui a envoyé une lettre cinglante: “Si la création, l’existence et la survie de l’État d’Israël en tant qu’État juif équivaut dans votre esprit à une ‘occupation’, alors vous n’avez évidemment rien appris de votre propre film’. 

Plutôt que de lire la Charte du Hamas, Glazer a préféré surfer sur la vague israélophobe. A titre personnel, mon  mépris lui est acquis.

© Richard Prasquier

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