Francis Moritz. France-Allemagne, une entente de moins en moins cordiale, le piège

Francis Moritz

La France renouvelle et confirme qu’en matière d’aide à l’Ukraine “rien ne peut être exclu, y compris l’envoi de troupes (françaises) sur le champ de bataille“.

Les récents développements démontrent que le partenaire allemand ne partage pas cette position, ce qui semble être aussi le cas d’une majorité de pays européens.

La France et l’Allemagne sont, chacune, imprégnées par leur histoire, leur culture et leur identité. Le chemin parcouru par l’Europe depuis sa fondation laissait penser que nous devenions de plus en plus Européens. Des fondateurs qui étaient six, nous sommes désormais 27 à décider à l’unanimité et bientôt nous serions peut-être plus de trente. On doit constater que le couple germano-français n’est plus le fameux moteur de cette Union. S’Il a existé dans le passé, ce n’est plus le cas aujourd’hui, quelles que soient les déclarations et les poignées de mains devant les médias.

Les faits

L’Allemagne de l’après-guerre, désarmée, avait parfaitement intégré l’Otan et la protection du parapluie américain. D’aucuns avancent même la notion de protectorat.

L’agression russe contre l’Ukraine a été un révélateur et un réveil brutal. L’Allemagne a décidé de se réarmer en vue de devenir la première armée d’Europe, en investissant près de 100 milliards de dollars, très largement par des achats aux États-Unis, au grand dam de la France, une partie restant en Allemagne pour le développement de nouvelles capacités militaires propres. Ce qui ne pouvait que contrarier la France qui s’affiche comme seule puissance nucléaire de l’Union depuis le Brexit et qui prétend, pour cette raison, au leadership militaire.

Or on ne mentionne que peu la présence d’ogives nucléaires américaines, stationnées en Allemagne depuis des décennies, mais aussi en en Belgique, au Pays Bas, en Italie. Quand la France déclare être la seule puissance européenne disposant de la dissuasion nucléaire, ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a en Europe ces 4 autres pays, sous le parapluie américain, qui en disposent. Le fait nouveau est la certification des avions furtifs américains F 35A pour l’utilisation des bombes nucléaires américaines B61-12. Au lieu du Rafale, l’Allemagne a passé une commande de 35 avions américains pour une dizaine de milliards, dans le cadre du partage nucléaire,  ce qui a été une grande déception pour la France, comme le fut l’annulation du contrat des sous-marins par l’Australie.

Ces bombes représenteraient la version la plus moderne, car elles peuvent être contrôlées avec une grande précision et peuvent également être utilisées avec un effet explosif réglable. Ce qui est de nature à lever le tabou souvent invoqué que l’arme nucléaire est dissuasive tant qu’elle n’est pas utilisée. Ce qui laisse le champ libre à une utilisation limitée.

L’Allemagne investit actuellement plus d’un milliard d’euros pour moderniser son site de stockage de Büchel et mettre à niveau les conditions d’utilisation des F35 à venir. La Russie dispose elle-même de plusieurs milliers d’ogives dites moyennes, susceptibles d’être utilisées dans un rayon limité. Accessoirement les États-Unis n’ont jamais ratifié le traité d’interdiction des essais d’armes nucléaires de 1993, tandis que la Russie avait annulé sa ratification. Donc les conditions pour effectuer “des essais” sont réunies. Vu le délai de livraison des avions et des bombes (2026), on peut s’attendre à voir durer le conflit. 

Au plan politique

Le chancelier ne gouverne pas seul, contrairement à la France où le président est élu, avant même les élections législatives ( ce fut Lionel Jospin qui en inversa l’ordre). À ce titre il est également chef des armées et chef de guerre. La vie politique et sa gestion est totalement différente à Berlin de ce qu’elle est à Paris. Chaque pays a ses difficultés, mais l’excédent commercial allemand est auto explicite, il est égal à près de deux fois le déficit français. Ce qui en fait la première puissance industrielle de l’Union.

L’ambiguïté politique et militaire

Il devient très complexe de comprendre si nos dirigeants s’expriment dans le cadre de l’UE ou dans celui de l’Otan. On en vient à devoir interpréter chaque déclaration, pour déterminer s’il s’agit d’ambiguïté stratégique ou liée à la politique intérieure, à la veille de l’élection européenne du 9 juin. L’Otan compte 32 membres et l’UE 27 qui sont dans l’Otan.

Les sujets qui fâchent

Rheinmetall, important fabricant allemand du secteur militaire, depuis mi-2023 construit une usine dans le Bas Rhin pour y produire des pièces pour les avions F35 destinés à l’exportation. Cette coopération avec Washington entre dans le cadre du partage nucléaire.  Cette production libèrera d’autres capacités aux États-Unis. C’est un renforcement de la domination américaine. Dans l’intervalle, diverses sociétés allemandes ont pris pied en Ukraine pour produire du matériel militaire. Cela est facilité par la proximité des ex-pays de l’Est avec l’industrie allemande et ses normes. 

L’Euro-drone

Ce projet développé par l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne est en panne. il arrive trop tard. Il est trop lourd et trop cher. Il ne correspond pas aux besoins actuels et futurs. S’il n’est pas revu de fond en comble, Ce sera le troisième échec en matière de drones.

L’avion Européen

Destiné à remplacer le Rafale en 2040, l’objectif de date avait été l’argument majeur de l’Allemagne pour commander des F35 américains.

L’Allemagne comme centre stratégique en Europe

Elle veut devenir ET la base arrière d’opérations et la plaque tournante pour l’Otan et l’Europe, ET «le pilier fondamental de la défense conventionnelle en Europe”. Le nouveau quartier général de l’Otan sera basé à Ulm. À ce titre Berlin revendique le rôle de leader, heurtant frontalement la position française.

La réalité des armements en Europe

De 2019 à 2023, les entreprises allemandes ont fourni 6,4% des importations d’armes des européens. La part française était de 4,6% (stat. SIPRI Stockholm Arms Transfers Data base) donc pratiquement 90% des achats sont effectués hors Europe avec la part dominante des États -Unis, d’autant que les américains intègrent une partie de leurs propres fournitures dans des entreprises européennes qu’ils contrôlent.

42% des exportations d’armes françaises ont eu lieu vers l’Asie et le Pacifique, 34% vers le Moyen Orient et 9,1% vers l’Europe, où la vente de 17 Rafale à la Grèce représentait la moitié des exportations en Europe. Ce qui explique très précisément l’objectif d’une défense européenne défendue par Paris, qui ne pourrait que profiter au développement de son industrie militaire.

Le piège

Au début du conflit, l’Occident était unanime : l’Ukraine doit gagner la guerre et on mettrait la Russie à genoux. Deux ans plus tard, on commence à dire que la Russie ne peut pas gagner ( mais peut-elle perdre ?) 

La France se dit prête à toute éventualité, les experts ont les plus grands doutes. Son armée a l’expérience de projections sur des théâtres extérieurs. On en connaît le résultat. En revanche, l’armée n’a pas participé à des conflits de haute intensité.  Le message ukrainien reste brouillé. Le culte du collaborateur nazi Stépan Bandera perdure, pendant que des statues à la gloire de Maxime Gorki, Leon Tolstoï ou Anton Tchekhov sont détruites. L’expansion continue de l’Otan devient, elle, un piège qui risque de se refermer sur ses géniteurs. Ceux qui ont le plus à perdre sont d’abord l’Allemagne par son engagement et le débat interne qui tend à une implication de plus en plus proche de la cobelligérance, fusées Taurus obligent, et toute l’Europe au fond. En 2022 on était proche d’un cadre de négociation (médiation turco-israélienne) qui supposait la neutralité de l’Ukraine. Elle fut torpillée par Boris Johnson. 

Les perspectives en Europe

Va-t-on vers une économie de guerre non déclarée, alors que l’inflation à dejà provoqué de nombreuses difficultés, les peuples seront-ils pris au piège des dirigeants qui spéculent sur la guerre, ce qui permet toutes les outrances et pire. 

Qui est prêt à mourir pour Kiev ? la question est posée. L’élection du 9 juin répondra au moins en partie.

© Francis Moritz

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4 Comments

  1. Ce texte souleve plusieurs points .
    La France est complexée par rapport a la puissance economique allemende et pretend depuis 50 ans la ” challenger” , dans ce cadre la capacité nucleaire française semblait un atout maitre , mais l allemagne considere toujours la France comme une puissance secondaire et n acceptera jamais de recourir a une ” protection” française .
    Le couple franco allemand n existe que dans la tete des politiciens français , l allemagne parle aux americains et les considere comme seul partenaire .
    Dans le cadre européen , l effondrement economique français est largement compensé par la puissance allemande , mais jusqu a quand ? Le boulet français semble aujourdhui deranger les allemands car leur economie faiblit .

  2. C’est triste à dire, et je n’aurais jamais cru le faire il y a encore quelques années, mais le gouvernement allemand actuel est moins lâche, moins criminel et inepte que le “nôtre”. Il est heureux qu’avec un dirigeant aussi taré et dépourvu de scrupules que Macron la France soit totalemen isolée. Car elle l’est, et c’est finalement une bonne chose.
    Je n’ai rien d’un germanophile (la création de l’Allemagne en tant que nation est l’une des pires choses qui soit arrivée a l’humanité) mais que le gouvernement allemand est moins lâche vis a vis du Hamas et moins incendiaire vis a vis du conflit de l’est.
    “Qui est prêt à mourir pour Kiev ?” Meme de nombreux Ukrainiens ne le souhaitent pas : ils sont enrôlés de force et envoyés à l’abattoir contre leur gré _ ce qui n’est jamais dit ici.

    • Merci pour vos lectures respectives. Ce texte se veut essentiellement comme un etat des lieux objectif des relations entre les deux pays.

      A propos des difficultés allemandes qui sont réelles, on veut depuis des années montrer à quel point ‘l’Allemagne a des problèmes ” Est ce que ça doit nous rassurer ou nous consoler ? Non. L’Allemagne reste un grand pays industriel qui a ses difficultés. Le sujet est vaste. Mais l’Allemagne n’a pas 3000 milliards de dette et 58 milliards annuellement pour servir les interets de cette dette. C’est aussi une réalité qui pese son poids. Par ailleurs, je n’ai pas voulu aborder dans le detail les origines du conflit entre Kiev et Moscou, car il y a beaucoup à dire. Tout n’est pas entierement noir ou blanc dans ce que sont les motifs de l’invasion russe.Sans aucun doute tous les Ukrainiens ne sont pas désireux d’y laisser leur vie. Je soulève la question, nous concernant en Europe des 27.
      Bien cordialement,

  3. Le “couple franco allemand” est une invention de la classe politique française destinée à faire avaler la pilule aux Français. Énorme imposture depuis l’origine : Debray, à l’époque, avait bien décortiqué la nature mortfiere et totalitaire de la “construction” ou plutôt déconstruction européenne. L’Etat français est non seulement au bord de la guerre civile mais également de la faillite économique : les dirigeants étrangers le savent parfaitement. Il est même possible que la France devienne le point de départ d’une nouvelle catastrophe économique mondiale, d’après certains économistes sérieux. Les autres dirigeants ont bien compris que Macron est un individu très dangereux, mais ils ont peur de trop le critiquer publiquement parce qu’ils craignent de voir imploser l’Euro et lUE.

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