Daniel Sarfati. Rufus

Les agriculteurs assiègent Paris.

Des blindés protègent le marché de Rungis.

Mais je suis paré, j’ai fait le plein de patates, de riz et de pâtes. Il y en a plein mon coffre de voiture.

J’ai prévu de revoir ce soir, en replay, l’intégrale de “L’amour est dans le pré”, pour mieux comprendre les problèmes de la ruralité en France.

Ce qui m’a toujours frappé dans cette émission, c’est que les paysans vont faire leurs courses à l’InterMarché du coin pour y acheter du jus d’orange en briquettes et de la brioche industrielle. Et qu’ils recherchent l’âme-sœur parmi des citadines un peu nunuches, alors que la fermière d’à côté, qui élève des biquettes, est mignonne comme tout.

Ça doit être la faute de l’Europe.

Devant mon immeuble, attendait un drôle du gus.

Un peu dégingandé, un petit bonnet sur son crâne chauve et une unique fleur à la main.

Une silhouette de clown.

Il faisait sombre, je ne distinguais pas bien son visage.

Il a attendu que je fasse le code d’entrée, puis s’est subrepticement glissé derrière moi.

J’ai fait volte-face. Prêt à tout.

Je sais bien que le Hamas n’a pas encore creusé de tunnels dans mon arrondissement, mais je l’ai déjà dit, je suis devenu complètement parano depuis 3 mois.

“Vous cherchez…?”, ai-je interrogé, un brin agressif.

Le gus a sorti un petit carnet de sa poche.

“Euh… C’est marqué là… Mais je n’arrive pas à lire… J’ai oublié mes lunettes…”

Sur la page du carnet griffoné en pattes de mouche, un nom ( celui du voisin du 5ème étage ), une adresse ( la mienne) et des chiffres ( un numéro de téléphone).

Le gus ne devait sans doute pas avoir de portable pour continuer à avoir ce vieux carnet d’adresses.

“Euh… Je suis invité à dîner…”

Il a ri et agité la fleur, une belle orchidée.

“Euh… la fleur c’est pour ça… Je la trimballe depuis tout à l’heure… Ah, ah !”

Oui, c’est au 5ème étage.

La lumière chiche du couloir d’entrée tombait sur les traits de son visage, comme taillés à la serpe. Il avait un grand nez.

“Vous êtes Rufus ? Le comédien”

Le drôle de gus a enlevé son petit bonnet et a incliné son crâne chauve, comme on salue au théâtre.

“Lui-même !”

Plutôt que de voir “L’amour est dans le pré”, j’ai vu le film “Au nom de la terre”, l’histoire d’un paysan endetté qui s’épuise au travail.

Rufus joue le rôle de son père, un taiseux.

Après le film, je me suis demandé si je n’allais pas monter au 5ème, me faire inviter par le voisin pour le café. Mais je n’ai pas osé.

© Daniel Sarfati

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