Depuis Israël, Michel Jefroykin lit la Presse pour nous. “Pallywood” : en plein carnage à Gaza, le mythe des fausses morts palestiniennes

Le maire de Nice, Christian Estrosi, a repris à son compte, sur France 3, l’argument de l’ambassade d’Israël en France selon laquelle le Hamas ferait passer des poupées pour des bébés morts, le 10 décembre.  FRANCE 3 / CAPTURE D’ÉCRAN

De comptes institutionnels hébreux à Christian Estrosi, plusieurs voix pro-israéliennes accusent le Hamas de mises en scène sordides. Une assertion rarement étayée, qui tend à déréaliser le bilan humain de la guerre à Gaza.

De faux cadavres palestiniens filmés pour émouvoir l’opinion internationale ? 

C’est l’idée défendue par la communication pro-israélienne depuis le début du conflit contre le Hamas, le 7 octobre. Cantonnée jadis aux réseaux sociaux, elle s’est fait entendre jusque sur les plateaux télé français. « Vous-même, média, vous passez des images où on voit des mamans qui pleurent avec un bébé en plastique, faisant croire que c’est un bébé mort », s’est ainsi emporté sur France 3 le président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Christian Estrosi, dimanche 10 décembre. L’association De Nice à Gaza a porté plainte pour « propos mensongers et graves », rapporte la chaîne.

A l’origine de cette assertion polémique, la publication le 1er décembre sur le compte Instagram du photojournaliste palestinien Omar Aldirawi de la vidéo d’une mère palestinienne en larmes, son nourrisson dans un linceul dans ses bras, puis la présentation de celui-ci par Al-Jazira. Il s’agirait d’« une poupée » dans une mise en scène digne d’« un spectacle de Broadway », accuse un diplomate israélien. L’auteur d’un message devenu viral sur X jure même que « l’arme secrète du Hamas a été dévoilée : l’industrie de la marionnette ». L’accusation a été relayée par le Jerusalem Post, qui a depuis exprimé ses regrets et supprimé l’article. De l’agence de presse turque Anadolu à la cellule de vérification de France 24, de nombreux médias ont pourtant montré qu’il s’agissait bel et bien du corps sans vie du jeune Muhammad Hani al-Zahar, âgé de cinq mois.

Ces accusations s’inscrivent dans un imaginaire plus large, celui de « Pallywood ».
 Contraction de « Palestine » et « Hollywood », ce mot-valise aux accents conspirationnistes accuse les Palestiniens, et notamment le Hamas, de mettre en scène de manière quasi industrialisée de faux deuils pour émouvoir et manipuler l’opinion publique internationale. « Ce n’est pas un concept scientifique, il ne décrit pas la réalité, avertit Amélie Férey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales. C’est un concept militant, prescriptif, qui induit que les Palestiniens sont des menteurs. Il appartient à la droite israélienne dure. »

Le concept de « Pallywood », héritier de l’affaire Durah

Cette accusation puise sa source au début de la seconde Intifada, avec la mort du jeune Mohammed Al-Durah, en 2000. Les derniers instants de l’enfant avaient été filmés par les caméras de France 2 alors que son père et lui étaient pris dans un échange de feu entre tireurs palestiniens et israéliens. Malgré des interprétations divergentes sur l’origine réelle du tir mortel, l’enfant était devenu le symbole du martyr palestinien, et les images de sa mort avaient été utilisées par la communication du Hamas.

C’est dans ce contexte qu’en 2003, l’historien et militant pro-israélien Richard Landes introduit le fameux concept de « Pallywood ». Vertement critiqué par la gauche israélienne à son apparition, le concept reçoit un accueil enthousiaste de l’extrême droite israélienne, qui se l’approprie et accentue son sous-texte complotiste. Il inspire également l’appareil d’Etat.

Une victimaire du Hamas vise à porter atteinte dans l’opinion publique mondiale à l’image de l’Etat d’Israël », resitue David Colon, historien à Sciences Po et auteur de La Guerre de l’information (Taillandier, 480 pages, 23,90 euros). En réponse, Israël a adapté sa doctrine pour décrédibiliser les images de souffrance des Palestiniens pouvant nuire à sa réputation, qu’elles proviennent des télévisions dans les années 2000, puis des réseaux sociaux, aujourd’hui.

Depuis le début de la guerre contre le Hamas le 7 octobre, la rhétorique de la mise en scène est ainsi très utilisée par les voix israéliennes, y compris les plus officielles. Mi-octobre, l’ambassade d’Israël en France a par exemple accusé les Gazaouïs de faire passer des poupées pour des enfants morts, accusation typique de « Pallywood ». Plus subrepticement, le 13 novembre, le ministère des affaires étrangères israélien a diffusé un récapitulatif vidéo de plusieurs infox relayées par le camp propalestinien.

Ce discours conspirationniste s’appuie sur quelques exemples d’« authentiques » fausses informations émanant de sources palestiniennes (archives décontextualisées, images de Syrie présentées comme palestiniennes, recours à l’intelligence artificielle, etc.), même si celles-ci sont devenues de plus en plus marginales au fur et à mesure de l’avancement du conflit.

Des faux parfois grossiers

Les exemples de manipulation qui circulent sur les réseaux pro-israéliens sont nombreux. Le 11 octobre, un compte dénonçait le « jeu d’acteur » et la « propagande du monde musulman » à propos d’une supposée vidéo de fausses funérailles à Gaza − il s’agissait en réalité de Jordaniens fuyant le couvre-feu imposé lors de la pandémie de 2020. Le 26 octobre, un élu de Neuilly partageait un montage de trois photos d’une fillette couverte de poussière, présentée comme une « manipulation du Hamas » car les images provenaient de la guerre en Syrie. 

Depuis 2018, ces photos sont en effet régulièrement sorties de leur contexte, mais par les mêmes défenseurs d’Israël qui dénoncent ensuite cette récupération. Le 1er novembre, un « patriote » israélien postait ce qui montrait selon lui « les coulisses » de la mise en scène palestinienne, une vidéo d’un homme au sol peinturluré de faux sang. Il s’agissait cette fois du making of d’un film d’horreur tourné en Algérie.

Cet argumentaire a également été déployé pour décrédibiliser un journaliste militant partisan de lutte armée, l’influenceur palestinien Saleh Aljafarawi, qui documente au quotidien les bombardements indiscriminés d’Israël. Face à ses vidéos de détresse devenues virales, les partisans d’Israël, jusqu’au compte officiel de l’Etat hébreu sur X, l’accusent d’être un acteur professionnel. Un montage viral le présente de façon satirique comme tantôt « combattant de la liberté », « pop star américaine », ou « cadavre ressuscité ». Les clichés juxtaposés occultent pourtant le contexte et montrent d’autres personnes, comme un enfant thaïlandais déguisé en sac funéraire pour Halloween.

Ces accusations factices peinent ainsi à convaincre, alors que le bilan du Hamas des morts à Gaza − plus de 18 000 décès depuis le début des représailles israéliennes − est considéré comme fiable par les organisations humanitaires. Mais elles offrent pour les officiels israéliens une réponse commode à l’avalanche de photos et vidéos bouleversantes qui s’accumulent depuis le début des bombardements sur Gaza. « Dans cette guerre, le déferlement d’images est quelque chose de nouveau », souligne Amélie Férey. La rhétorique de « Pallywood » permet ainsi de « désamorcer la force démonstrative d’une vidéo », décrypte Nicolas Hénin, consultant en désinformation et prévention de la radicalisation.

Argumentaire à double tranchant

L’essayiste Marie Peltier, spécialiste des récits complotistes diffusés durant la guerre civile en Syrie, évoque ainsi une « déshumanisation très frappante » et un type de justification qui « appartient aux dictatures ». « Pallywood » rappelle notamment le procédé à l’œuvre dans les sphères prorusses qui voyaient une mise en scène lors du massacre de Boutcha, en Ukraine, ou celui de la Ghoutta, en Syrie.

La comparaison avec la communication russe a ses limites. Israël est entré dans cette guerre après avoir été la cible du plus grand pogrom depuis la seconde guerre mondiale. Et la communication victimaire du Hamas est largement documentée, « tandis qu’aucune mise en scène de ce type n’a jamais, à ma connaissance, été attribuée de manière convaincante à l’Ukraine », tempère David Colon.

Pour Amélie Férey, au final, cette rhétorique déconcertante a surtout une visée interne. « Ce concept répond à un besoin de la population israélienne de s’absoudre de la souffrance causée par l’armée à Gaza, estime la chercheuse. Quand on est saturé d’images d’enfants qui meurent, plutôt que de se confronter à la réalité, il est plus facile de croire que cela est faux. »

© Michel Jefroykin © Par William Audureau 

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/16/pallywood-en-plein-carnage-a-gaza-le-mythe-des-fausses-morts-palestiniennes_6206188_4355770.html

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3 Comments

  1. Au début je ne comprenais pas qui avait rédigé ce tissu de conneries nauséabonde. Mais quand j’ai vu que la source était Le Monde, j’ai tout de suite saisi ! Peut-être devriez vous avertir les lecteurs qu’il s’agit d’un exemple de manipulation de la fachosphere antisémite dont Le Monde est l’un des premiers représentants francophones. La plupart des lecteurs de TJ sont assez intelligents pour y voir clair, mais il faut qd même mettre les points sur les i.

  2. Quel ramassis de propagande !
    Le petit al dura : officiellement 8 ans et environ 35kg tout mouillé se prend 8 balles d une arme de guerre et miracle, non seulement il n a aucune trace de sang mais il est encore vivant a la fin de la scène !
    Pour rappel ces fusils automatiques sont conçus pour mettre hors de combat un combattant adulte avec un seul impact !
    Il faut lire la presse aux ordres du quai d orsay pour y lire de telles âneries.

  3. Ces immondices de la part de l’immonde n’ont rien d’étonnant : j’ai noté avec amusement que ces détraqués n’avaient pas pu s’empêcher de glisser un morceau de propagande anti russe. Il y a quelque temps les médias français mainstream affirmaient que la contre offensive ukrainienne était un succès 🙂
    “Nous mangeons du mensonge à longueur de journée grâce à une presse qui est la honte de ce pays”…Albert Camus

    Vous vous rendez compte que dans ce pays où la désinformation est digne de la Chine les rarissimes medias qui ne soient pas racistes, antisémites et d’extrême droite (comme Cnews) sont ceux qui subissent le plus les foudres du gouvernement alors que les plus immondes brûlots fascistes sont souvent des médias publics ou subventionnes par de l’argent public ?
    De quoi Guillaume Dieudonné Meurice est-il le nom ?…

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