Jérôme Safar. Sonia Devillers. La première génération qui ne doit pas fuir, mais qui a perdu une partie de son histoire

C’est un livre étrange que celui-ci. Sonia Devillers raconte l’incroyable histoire de sa famille. Plus exactement ses grands parents et sa mère, Juifs roumains  échangés dans les années 60 via une filière organisée, contre du bétail et des porcs pour fuire la Roumanie  communiste qui n’avait pas grand chose à envier en termes d’antisémitisme à la Roumanie fasciste des années 30 et 40… 

Le livre donne tout d’abord l’impression d’un récit assez froid, quasiment clinique de la situation des juifs roumains , et donc de sa famille. Les vexations, les agressions physiques mais aussi le déni d’une histoire tragique qui a vu l’une des plus importante communauté juive d’Europe disparaître. Puis à la fin, le livre prend une dimension humaine presque inattendue, la fuite est racontée assez rapidement pour aboutir sur une réflexion forte et touchante de l’auteur sur l’identité et la perte de celle-ci à force de vouloir oublier …

Au delà de cette histoire incroyable de filière bovine pour exporter des juifs, la Roumanie  aura vécu au 20eme siècle dans un continuum antisémite qui rend difficile la distinction entre les fascistes et les communistes qui leur ont succédé, mais une chose est certaine, le pays a réussi à se débarrasser de « ses juifs »par tous les moyens, la déportation ou l’exportation … 

Je ne regarderai plus les juifs originaire de Roumanie  de la même façon après ce livre. 

Pour terminer, j’emprunte à Sonia Devillers les mots qu’elle même a choisi d’emprunter à Georges PEREC: “Je ne sais pas très bien ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence,  une absence, une question , une mise en question , un flottement , une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude,abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil”.  “Une seule chose m’était précisément interdite : celle de naître dans le pays de mes ancêtres et d’y grandir dans la continuité d’une tradition, d’une langue, d’une communauté…”

Ces quelques lignes fortes de l’immense auteur permettent à Sonia Devillers de donner finalement toute la dimension humaine et personnelle à son livre, elle qui est, comme beaucoup, la première génération qui ne doit pas fuir, mais qui a perdu une partie de son histoire. 

Finement ce livre est vraiment bouleversant.

© Jérôme Safar

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