Au cœur de l’été, au cœur de Villerville, on va dîner “Chez Joseph”

Entretien un peu particulier car entre la journaliste et l’interviewé, un lien d’amitié. Mais ça n’empêche pas l’objectivité. Alors un petit tout “du côté de chez Dan”, Entrez avec nous dans ce lieu convivial et heureux, où il fait bon s’asseoir et où bien souvent vos désirs sont devancés avec une assiette de frites maison qui arrive en guise de “bonjour”. “Chez Joseph”, nouveau nom du lieu qui doit sa renommée à celle du film “Un Singe en hiver” et qui garde en mémoire l’image de Joseph Temam, le fondateur, Dan vous reçoit à toute heure et in fine, les copains sont toujours là.

***

Bonjour Dan. Ce que je veux d’emblée te demander, parce qu’après tout les lecteurs ne le savent pas forcément, c’est rapidement, sans faire une parasha, de nous dresser l’histoire de ton restaurant, qui fait partie d’un hôtel bien connu grâce au film d’Henri Verneuil “Un Singe en hiver”, lui-même adapté du roman d’Antoine Blondin, et de nous parler de ton enfance, car tu n’es pas un nouveau venu à Villerville, même si tu es très lié à Israël.

On est arrivé en 1976, j’avais 6 mois et j’étais le dernier d’une fratrie de 4 frères et sœurs. C’était l’année de la sécheresse et ça a travaillé très fort. Je n’ai pas de souvenirs de cette période mais j’ai toujours entendu que cette année-là, lorsque mon père a acheté l'”Hôtel-Restaurant Hôtel des Bains”, il avait fait une saison exceptionnelle qui lui avait permis de refaire tous les travaux en 77 ; il était alors tout seul avec sa femme, donc 2 à gérer tout ça, ma mère était très bonne cuisinière et servait des spécialités normandes, mais on mangeait casher à la maison, ce qu’on a d’ailleurs continué à faire toute notre vie . On a grandi comme ça: on faisait à l’époque 6 mois à Villerville pour la saison et 6 mois à Paris, alternant entre 2 écoles et le Talmud Torah de Belleville le mercredi. Tout ça a duré jusqu’en 80, année du divorce de mes parents : l’hôtel, qui marchait lui aussi très fort, a baissé lorsque ma mère est partie avec nous.

Comment arrives-tu à la restauration ?

J’étais dans le cuir et dans le costume, chez Briony Faubourg Saint Honoré, puis j’ai cartonné en vendant sur les marchés, mais de tout temps on a toujours aidé notre père pour la saison, que ce soit David, Dehlia, Yaelle ou moi. Et puis tout le monde s’est marié et moi j’étais comme eux en Israël où j’ai fait l’armée. Toutefois, même ceux qui avaient fait leur alya revenaient pour la saison: on était et on est resté une famille très liée.

Et puis,  quand mon père a été malade, je suis rentré pour être avec lui. Il y tenait, à son restau, même  malade, alors je gérais, principalement avec Dehlia, jusqu’au décès tragique de ma sœur où, KO, j’ai envisagé de tout arrêter mais où l’idée de transmission a gagné : mon père tenait à ce l'”Hôtel Chez Joseph” vive.

Aujourd’hui, ça fait 2 ans. Je suis seul, aidé par ma compagne, Stéphanie. J’ai continué pour mon père, pour le nom, pour la transmission, on ne laisse pas une belle affaire comme ça, une histoire de famille, qui porte en elle le souvenir de nos chers disparus, de mes parents à ma soeur, qui était réellement pour les villervillais la “si jolie patronne” du restau…

À cette époque, donc, ça s’appelait pas “Chez Joseph”. Aujourd’hui, j’ai tout rénové. C’est cosy. Accueillant. J’ai choisi jusqu’aux lampadaires. On a investi la rue piétonne avec de grandes tables où déjeunent côte à côte ceux qui le désirent et aussi les grandes tablées. Je mets de la musique. Je reçois des chanteurs. J’ai des projets.

Je n’ai pas fait les travaux tout de suite : j’ai fait une saison pour avoir un peu de trésorerie, et je me suis lancé, comme on fait un pari, mais réfléchi : malgré l’inflation, malgré le Covid, malgré tout, je ne regrette rien car grâce notamment aux travaux et à la salle-arrière en cas de pluie, je travaille bien, la partie couverte sauve les mauvaises saisons et permet de recevoir des groupes, ça va des Clubs de foot à des repas conviviaux organisés par le Conseil municipal.

Bien sûr comme tous mes collègues je fais face aux problèmes de personnel et aussi aux aléas dus à la météo, mais encore cette année j’arrive à maintenir mon chiffre d’affaires, et puis il y aura septembre et octobre, la fin août peut être magnifique, le week-end du 15 aout on a cartonné… 

Quelle est ta clientèle ?

La clientèle, elle est surtout celle dite “de passage”, avec, bien sûr, des habitués. À l’époque de mon père, il n’y avait pratiquement jamais personne de Villerville. Peut-être les gens pensaient-ils : Il travaille avec les touristes ? Mon père avait sa méthode, nous n’étions pas toujours d’accord et si je remettais en cause une habitude il rétorquait :  “T’es pas avec moi,  t’es avec les clients, t’es contre moi…” – Sourire- En fils respectueux, je l’ai laissé gérer…

Aujourd’hui tu cuisines…

J’ai appris à l’âge de 16-17 ans. J’ai ensuite aidé de plus en plus mon père à faire les courses, à gérer… Je savais toute la machine, comment ça fonctionnait, des courses aux fournisseurs. Aujourd’hui je propose une cuisine simple, rapide, efficace : ma carte est volontairement faite de quelques bonnes propositions. Devant une carte interminable le client se dit : “Il y a une embrouille, ça ne peut être des produits frais”. Chez moi,  je cuisine devant le client, la cuisine est volontairement ouverte, transparente, à  l’israélienne, et rien ne sort du congélateur. Bientôt je proposerai un plat du jour, pour répondre aussi à la demande des ouvriers sur l’année. Là, pour l’instant, je prends encore mes marques par rapport à l’offre et la demande : je préfère manquer et cesser le service que jeter. Les clients comprennent. Ils savent que je travaille seulement des produits frais et locaux. Par exemple, l’entrecôte que je propose  est une pièce goûteuse et maturée de 300 grammes. J’attends de trouver “le” poulet de choix élevé dans la région. Bio. Chez un éleveur proche.  Mes ardoises proposent des escargots, des moules-frites, une côte de veau normande, des omelettes, une tomate mozza, la tarte normande. Ce que je vends le plus évidemment ce sont les moules, des hollandaises que je préfère aux Bouchots pour leur calibre et sur lesquelles on me complimente.

À savoir: si jamais un fournisseur me déçoit, eh bien j’en change. Je veux le meilleur pour mon client. Je ne me précipite pas pour faire les choses.

Qui t’aide, Dan ?

On se débrouille. Mon neveu est venu. À la plonge une très proche aussi, elle est carrée. Ma compagne prend les commandes et sert. Sa carte, elle la connaît.  Elle a le sourire, elle sait parler. On se connait depuis tout petits. Elle est aujourd’hui en pleine conversion. On s’entend bien, même si dans le feu de l’action mon côté speed ressort… Mais je sais m’excuser. Enfin : j’espère.

Les Villervillais sont là !

Oui. J’ai instauré comme un petit privilège : le café aux Villervillais à un prix dérisoire. Ça n’est pas pour la différence mais pour faire plaisir. J’offre les viennoiseries. L’argent je ne veux pas le faire avec eux. Ils viennent peut-être plus souvent mais ça n’est pas ce que je recherche.

Au final, “Chez Joseph” est fermé Shabbat. Un jour prochain  j’ouvrirai un shawarma à Deauville, un shawarma beau gosse  tu vois, comme ceux de Jérusalem. Je veux aller aussi vers du haut de gamme et avoir le temps de parler à mes clients, sortir de ma cuisine, accueillir, conseiller le vin approprié … J’en ai, des projets !

Sarah Cattan avec Dan Temam

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