Opinion : Daniel Haïk. la guerre civile d’Israël n’aura pas lieu.

Des militants anti-révision bloquent une route lors d’une manifestation contre la réforme judiciaire du gouvernement, près de la Knesset. Chaim Goldberg/Flash90

Destruction du Temple, il y a 1955 ans ; expulsion des Juifs du Gouch Katif, il y a 18 ans ; fracture interne en 2023…

Réflexions sur une période unique


Une autre explication, douloureuse, de la clause de raisonnabilité

David Hatouel était l’un de ces 10 000 habitants expulsés du Gouch Katif, dans la bande de Gaza, il y a 18 ans au lendemain du jeune de Ticha Beav. Il aurait aujourd’hui de très bonnes raisons de lutter en faveur de l’abolition de la clause de raisonnabilité. Et voici pourquoi : pendant des décennies, l’axe dit de “Kissoufim” était la route d’accès principale reliant l’Etat d’Israël au Gouch Katif, le bloc d’implantations juives du sud de Gaza, évacué en août 2005. Au début des années 2000, durant la Seconde Intifada, les terroristes palestiniens transforment cet axe en “stand de tir”, et ciblent de nombreux conducteurs israéliens à partir de bâtiments situés en bordure de la route.

En 2002, après un attentat meurtrier, Tsahal annonce aux résidents palestiniens qu’il s’apprête à démolir ces bâtiments dangereux tout en précisant qu’ils seront pleinement dédommagés. Le député arabe israélien Mohamed Baraké dépose alors un recours contre cette démolition.

La vice-présidente de la Cour suprême de l’époque, Dorit Beinish, fait fi des recommandations sécuritaires formelles de l’armée et lui interdit de démolir ces maisons. Motif : Il ne serait pas raisonnable de détruire les habitations de civils palestiniens, même pour des raisons de sécurité.

Le 2 mai 2004, Tali Hatouel, l’épouse de David et leurs quatre filles sont en route vers Ashkelon. Tali doit rejoindre son mari et aller voter contre le plan d’évacuation du Gouch Katif présenté peu avant par Ariel Sharon. Des terroristes dissimulés derrière les bâtiments en question ouvrent le feu en direction de leur véhicule. Après avoir grièvement blessé Tali et ses filles, ils s’approchent du véhicule et les achèvent à bout portant.

15 mois plus tard, au lendemain de Ticha Beav, le Gouch Katif sera évacué, dans la douleur. Dorit Beinish deviendra ensuite présidente de la Cour suprême. Quant à David Hatouel, immense de dignité dans sa douleur, après avoir pleuré les siens, il reconstruira un nouveau foyer… Pour des milliers d’anciens habitants du Gouch Katif, il ne fait aucun doute que, si la clause de raisonnabilité avait été annulée à temps, Tsahal aurait détruit les bâtiments et Tali Hatouel et ses quatre filles seraient toujours vivantes.

La guerre civile d’Israël n’aura pas lieu

Le premier livre de la Torah, la Genèse, est ponctué de conflits ardus entre frères : Caïn qui tue Abel, Isaac face à Ismaël, Jacob qui affronte Esaü, et Joseph qui est menacé de mort par ses frères avant d’être vendu à des nomades. Comme s’il y avait, dans l’ADN du peuple juif, un instinct fratricide qui le poussait à s’autodétruire ! Un instinct qui a jailli dans l’histoire avec le schisme entre les royaumes de Juda et d’Israël, et qui a atteint son paroxysme à la veille de la destruction du Temple, lorsque les zélotes-radicaux juifs ont préféré mettre le feu aux granges de blé de leurs frères à Jérusalem, plutôt que de les laisser en profiter pour se nourrir et combattre le pouvoir romain.

Au lendemain du vote par la Knesset de l’annulation de la “loi sur la raisonnabilité”, et à l’approche du Tisha Beav, beaucoup d’Israéliens de tous bords ressentent, cette année, un profond malaise et une réelle anxiété. Et ils redoutent de voir se développer, sous leurs yeux, une version modernisée de ce que Flavius Joseph a appelé “La Guerre des Juifs”. Ce sentiment est certainement douloureux, mais il n’est pas obligatoirement négatif. Car, en effet, il peut, et même doit, conduire les différentes composantes de la société israélienne vers une véritable introspection.

Il doit nous conduire à tirer les leçons d’un exil douloureux de près de 2000 ans. Il doit rappeler aux Israéliens que leur État a déjà su, il y a 75 ans, se préserver d’une guerre civile après l’épisode de l’Altalena, qu’il a déjà surmonté de graves crises telles que celle des réparations allemandes dans les années 50, de l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995, et de le désengagement du Gouch Katif en 2005.

Ce sentiment doit, au bout du compte, nous conduire à surmonter nos craintes pour aller au-devant de l’autre, de celui qui ne partage notre avis et nos convictions. Il doit nous conduire vers ceux qui, depuis six mois, ont prouvé leur sincère volonté de préserver le prestige de cet État d’Israël qu’ils ont contribué à construire et qu’ils continuent à défendre, mais aussi vers ceux qui ont toujours cru que le bulletin de vote qu’ils déposaient dans l’urne était l’expression la plus forte d’une démocratie israélienne pétillante.

On raconte que Joseph a été vendu par ses frères pour quelques sicles… et en échange de chaussures. Pourquoi des chaussures ? Parce que, dit-on, les frères ont préféré vendre leurs chaussures plutôt que de les utiliser pour marcher vers leur frère en détresse. Depuis le vote de la loi, lundi, par la Knesset, de plus en plus d’Israéliens qui mesurent le danger, ont semble-t-il entamé un “Tikoun”, une réparation et marchent les uns vers les autres en tentant de créer des ponts ! Les initiatives de dialogue se multiplient, les accolades filmées sur les réseaux entre partisans et opposants à la réforme prolifèrent

C’est un début, fragile et timide, mais tout de même un début porteur d’espoir. Il ne vient pas des politiciens engoncés dans leurs certitudes. Il vient du peuple, des forces vives et modérés du peuple israélien. Car cette volonté de créer des ponts, la voie médiane, celle de la pondération, doit se démarquer des extrémistes et radicaux des deux bords. Elle doit aussi persuader les médias de cesser d’attiser les tensions pour commencer à jouer un rôle plus constructif, plus positif.

En 2005, les habitants du Gouch Katif avaient tenté le dialogue lors d’une opération “porte ouvertes”. Sans rencontrer de réel succès. Aujourd’hui encore, il faut tenter à nouveau d’aller l’un vers l’autre. Il faut persévérer sans désespérer, mais dans le respect mutuel. Ce n’est qu’ainsi que l’État d’Israël évitera un dramatique conflit interne.

L’enseignement optimiste du Rabbi Akiva

Le Talmud relate l’histoire suivante : plusieurs années après la destruction du Second Temple, plusieurs grands sages juifs sont de retour à Jérusalem dévastée. Ils arrivent sur le Mont des Oliviers et, en voyant le Temple détruit, éclatent en sanglots. Parmi eux, seul Rabbi Akiva, l’un des plus célèbres d’entre eux, ose rire à pleine gorge. Les rabbins s’étonnent : “Mais comment pouvez-vous rire alors que des renards se promènent sur l’emplacement saint du Temple ? Et Rabbi Akiva de répondre : “Je ris parce que, de la même manière que les prophètes ont prédit cette destruction, d’autres prophètes ont prédit qu’un jour Jérusalem sera reconstruite, et alors, jeunes et personnes âgées se promèneront dans ses grandes artères !”

L’optimisme de Rabbi Akiva devant le Temple détruit et la résilience de David Hatouel face à sa famille décimée dans le Gouch Katif : deux valeurs qui sont aussi fortement gravées dans l’ADN d’Israël que la démocratie. Et qui, il faut l’espérer, en cette journée de deuil national de Ticha Beav, permettront aux Israéliens de se sortir de la mauvaise passe qu’ils traversent actuellement et d’entrevoir des lendemains meilleurs.

© Daniel Haïk

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