Le Thriller de l’été. “Liquidation à Pôle Emploi”. -18- Judith Bat-Or

« Parce que tu crois que je sais pas que t’es qu’un p’tit planton de merde ! Et pas un commandant ?! braille Laurence en sortant.

– Fais gaffe, le planton de merde, il peut quand même te coller un outrage à agent », hurle l’autre en retour.

Au silence dru, pétrifié, qui suit leur échange de cris, le gardien de la paix, semeur de troubles en l’occasion, mesure les retombées de son altercation avec la « déjantée ». Lui, d’ordinaire si discret, à la limite du transparent, a créé l’événement. Une manière d’exploit dans un commissariat où l’événement est l’ordinaire.Des regards ulcérés le dardent de tous côtés. Derrière le comptoir, face à lui, les visiteurs mal assis en ont oublié leurs ennuis. Et semblent réfléchir à une solution de repli. Quant à ses collègues, dans son dos, ils se taisent, ce qui en dit long.

« C’est vrai, si les vieux s’y mettent, prend-il tout ce monde à témoin, on n’y arrivera jamais. »

Aucun hochement de tête ou autre signe d’adhésion ne vient le réconforter. Il est temps d’abuser de son autorité.

« Au suivant ! aboie-t-il sur son public médusé. Le numéro 22 ! On n’est pas là pour rigoler. »

Et là-dessus, chacun retourne à son ticket.

***

Laurence a détalé vers le centre commercial pour échapper à la flicaille en se fondant dans la foule des convalescents et chômeurs, missionnaires, vieillards ou fugueurs, qui y promènent leur âme en peine les matins de semaine. Se fondre, façon de parler. Plongé dans n’importe quel milieu, Laurence remonte à la surface.Alors pourquoi se fatiguer à courir comme une dératée ? D’autant que visiblement, personne ne l’a poursuivie. Sur cette constatation, presque déçue, elle ralentit et va s’asseoir sur un banc. Elle a besoin de réfléchir.De question en question, auxquelles elle n’a pas su répondre, le policier l’a acculée à une douloureuse conclusion qu’elle a contestée à grands cris – elle n’allait pas avouer des torts devant les forces de l’ordre. Mais maintenant, face à elle-même, elle ne peut plus nier : ses soupçons ne reposent sur rien que son imagination. Malade, l’imagination ? Pire encore, tous les éléments confirment la théorie d’Émile, la désignant, elle justement, comme seul problème dans cette affaire. Elle, l’amie encombrante, dont Zaza se protège, terrée entre ses quatre murs. Aussi, en disparaissant de la circulation, Laurence permettrait à Zaza de retourner à ses fleurs et son joli potager. De respirer, revivre, et se porter à merveille.Enfin, Laurence s’incline. C’est toi qui décides, ma Zaza ! Et maintenant, debout ! se commande-t-elle mollement. Assez perdu de temps ! Elle a du pain sur la planche. Sa Mamie Galère à lancer. Plein de destins à aiguiller. De bonheurs à sauver. Une belle vie à croquer. D’ailleurs pour recommencer cette journée du pied droit, elle va s’offrir un thé avec plein de gâteaux, dégoulinant de miel. Rien ne vaut une orgie sucrée pour se booster le moral.Et maintenant, debout, vraiment ! se répète-t-elle sans entrain malgré ces promesses gourmandes. Son cœur pèse des tonnes dans son ventre. Impossible de se motiver. Pourtant, les bonnes décisions, même les plus hasardeuses, ont le pouvoir magique de lever les difficultés, de libérer, d’alléger. Comme quand au milieu de la nuit elle a sauté de son lit, résolue à abandonner son couillon de mari, son confort, son ennui.Elle se souvient encore de sa sortie du brouillard. Sa fatigue de trente ans, miraculeusement envolée. Et cette délicieuse fraîcheur ! Plus tard, en errant dans les rues, tirant sa valise à roulettes, qui faisait un boucan d’enfer, elle s’est senti pousser des ailes. Elle a foncé avec confiance dans l’avenir, dans l’inconnu. Sans peur ni retenue. Et elle a eu raison. Jamais elle n’a été aussi épanouie. Depuis, les pièces de son puzzle se sont parfaitement imbriquées pour donner naissance à la vie dont elle n’avait osé rêver. Doit-elle en déduire qu’au contraire cette sensation de lourdeur lui signale une erreur ? Et qu’en dépit des évidences – ou seulement des apparences ? – la bonne décision aujourd’hui serait de se fier à la voix de son intuition ? À cette pensée, d’un coup, l’énergie lui revient. J’ai eu peur, s’avoue-t-elle.

***

Alors, elle lui dit quoi, la voix de son intuition ? Laurence attend ses instructions. Elle se concentre. Silence radio. Une direction, au moins ? Même pas. Putain, l’intuition, grouille ! monte-t-elle sur ses grands chevaux. Sans résultat, évidemment. À chacun son boulot. L’intuition vous met sur la piste. Et après, vous vous débrouillez. Il ne lui reste qu’à s’accrocher, contre vents et marées, Émile, Hugo et policiers, à son intime conviction et passer à l’action. Ils verront, ces couillons, que c’est elle qui avait raison. Et ils regretteront. Foi de Laulau, ils regretteront ! Elle va sauver Zaza. De son fils et de ses légumes. Zaza dans un potager, c’est la meilleure de l’année ! Pourquoi pas l’enterrer vivante ? Quelle bande de… s’échauffe-t-elle, incapable de trouver de mot assez fort pour ces ânes, égoïstes et dominateurs. Elle aurait bien « salaud pourri », mais c’est un peu réducteur.Et maintenant, la question est de savoir quelle action. Sachant qu’elle n’a pas les moyens d’organiser un raid sur la maison de Zaza. Elle s’imaginerait pourtant bien le révolver au poing, en casque et gilet pare-balles, sautant d’un hélicoptère, accrochée à une corde, pour se laisser tomber, souplement, dans le jardin. Dommage, elle aurait aimé. N’empêche qu’elle a repris espoir. Son cœur est déjà plus léger. Il y a une solution. Et elle la trouvera. Tiens bon, Zaza, Laulau arrive !Déjà, la situation est moins désespérée que si Zaza s’était évanouie dans la nature, s’encourage-t-elle, optimiste. Rien que la localisation aurait coûté des semaines. Tandis que dans le cas d’une séquestration, on n’a qu’à repérer les lieux : les issues, les systèmes d’alarme, y compris voisins et voisines. Elle devra vérifier les horaires de Hugo, qui part sans doute le matin pour ne rentrer que le soir, puisqu’il travaille dans un bureau. Excellente marge de manœuvre. Finalement, cette histoire, c’est presque du gâteau.Mais si Zaza était droguée ? Ligotée ? Ou blessée ? Ou les trois à la fois ? Mieux vaut se préparer au pire. Pour entrer ce sera pareil. Ensuite, une fois, près d’elle, elle la rassurera en coupant ses entraves – surtout ne pas oublier d’emporter des ciseaux. Elle enlèvera son bâillon et la serrera dans ses bras, car bien sûr, la pauvre chérie éclatera en sanglots. À cette pensée, l’émotion saisit Laurence à la gorge. Les larmes lui montent aux yeux – elles sont bien toutes les deux ! Allez, on se secoue, renifle-t-elle bruyamment avant de continuer. Après, elles appelleront les flics.Il fera moins le fier, cette espèce de Hugo, avec ses airs de jeune premier, quand la police rappliquera pour l’arrêter à son bureau et qu’on lui passera les menottes devant ses collègues. À cette idée, Laurence jubile. Ce fils ingrat paiera. Elle le promet à Zaza. Ensuite, elles partiront, ensemble, autour du monde. Ce sera leur revanche. Exactement. Voilà ! Et ça fera les pieds à ces sceptiques accusateurs. Ces collaborateurs !Après cet excellent briefing, elle se sent remontée. Il ne lui reste qu’à s’y coller. Ce qui la réjouit. Car elle déteste l’inaction, les pauses pour cause de réflexion. Et maintenant, c’est parti ! déclare-t-elle l’ouverture officielle des hostilités, en bondissant de son banc. Et s’éloigne d’un pas allant. Elle a eu chaud quand même. Elle était à deux doigts de se laisser abattre. Contente d’en avoir réchappé, elle pile au milieu du trottoir pour inspirer profondément – important la respiration pour s’oxygéner le cerveau ! – les bras en l’air grand écartés. 

« Eh ! tu te crois où, là, narvali ? brame le piéton derrière elle en se massant le nez, que la menotte de Laurence vient de heurter de plein fouet.

– Et toi, ta gueule, Ducon, réplique celle-ci belliqueuse, en se tournant vivement vers le mauvais coucheur. T’as qu’à regarder où tu vas, petit merdeux de mes deux ! » ajoute-t-elle pour sceller son sort – après tout fichu pour fichu.

En effet, elle n’en mène pas large. Car le merdeux de ses deux la domine de trois têtes et fait son triple de largeur. Il pourrait l’écraser d’une main. Pourtant, tellement surpris, il passe sa route en bougonnant un « vas-y, toi » dégoûté.

« Fallait pas me chercher », lui lance Laurence en mode roquet. 

Elle le regarde qui s’éloigne balançant tranquillement le torse à quinze mètres au-dessus de ses jambes de colosse. Quand t’es bâti comme ça, t’as rien à prouver à personne, en conclut-elle admirative et envieuse à la fois avant de réaliser à quel point elle-même est petite, vulnérable, impuissante. Et soudain, elle se ratatine. Son super scénario ne passera pas l’épreuve du feu. Elle n’y arrivera jamais seule. Elle n’aime pas se l’avouer, mais elle a besoin d’un coup de main. Ou d’un grand coup de paluche ! Mais oui, c’est ça la solution. Elle a besoin d’un associé. Quelqu’un de baraqué. Pour le côté sportif de son opération. En balèze, dans ses relations, elle aurait Dominique. Non, pas question, trop compliqué, rejette-t-elle en toute hâte cette candidature spontanée. En l’invitant dans cette histoire, elle l’introduirait dans sa vie. Plus moyen après ça de se débarrasser de lui. Mieux vaut le laisser orbiter à la périphérie. Surtout ne pas créer de lien ! se rappelle-t-elle sa devise.D’ailleurs pour cette mission, un exécutant suffirait. Un gars obéissant. Capable de rentrer par effraction dans une maison et de la protéger. Elle pourrait le payer. Les bons comptes font les bons amis. Un peu comme un employé. Seulement où dénicher cette sorte d’employés ? Elle pourrait mettre une annonce. Coller des affiches sur les arbres. C’est ça, ou dans le journal ! se tourne-t-elle en dérision. Cherche, pour exfiltration, cambrioleur professionnel. Contrat auto-entrepreneur. Si elle demandait à Ferid de lui recommander quelqu’un. Il a tellement de relations ! Petites frappes et bras cassés. Sauf qu’il adore Luciole et risque de tout déballer, rien que pour se faire mousser. Donc, non, pas Ferid non plus. Qui parmi ses amis ne correspond pas au profil gringalet à lunettes ? À part Dominique, personne. Elle est vraiment mal entourée.Ok, tu l’auras voulu. Et tu le regretteras, se prédit-elle menaçante, en oiseau de mauvais augure. Tant pis, Zaza le vaut bien.

 © Judith Bat-Or

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