Karin Albou. À voir demain sur RMC Story : “Sarah Halimi, un crime antisémite et impuni”

Il était une fois Sarah, une belle dame au sourire tendre et discret, au regard  doux et rêveur, qui avait encore beaucoup d’années à vivre avant de devenir une vieille dame. Elle aurait pu jouir paisiblement de sa retraite et de sa famille, continuer à aider les gens autour d’elle comme elle le faisait depuis toujours. Mais dans la nuit du 03 avril 2017, cette femme de soixante-cinq ans, médecin et ancienne directrice de crèche, fut sauvagement assassinée par son voisin, à son domicile, dans le 11ème arrondissement de Paris. Ainsi résumée, sa fin tragique pourrait ressembler à un sordide fait divers. Mais voilà : cette femme était juive et son assassin fut jugé irresponsable par la justice française. 

Un documentaire, “Sarah Halimi, un crime antisémite et impuni”, enquêtant sur les circonstances de cet assassinat, sur les méandres juridiques et les défaillances policières de cette affaire -la mort de Sarah étant devenue ‘l’affaire Sarah Halimi’- sera diffusé le 02 Juillet à 21h30 sur la chaîne RMC story. Il est réalisé par le cinéaste et documentariste François Margolin, ayant déjà fait œuvre de mémoire aux côtés de Claude Lanzmann, à qui il a consacré un documentaire cette année. On a beaucoup lu sur l’affaire Sarah Halimi, mais l’intérêt de ce film (et de tout objet filmique) c’est qu’il nous permet de voir. Il nous emmène, en enquêteur scrupuleux, sur les lieux du crime, nous replonge dans la réalité des faits, interroge leur déroulement et les conclusions de la justice ayant opté pour “une irresponsabilité pénale de l’assassin pour troubles psychiques”Le film, à la différence des écrits nous permet d’être face à des images et de constater, de manière irréfutable des faits concernant les défaillances de cette affaire : d’une part certains dysfonctionnements de la police pouvant pénaliser toute femme victime d’un féminicide, d’autres part certaines défaillances juridiques. 

Nous voyons  le visage de Sarah, son regard franc et vibrant, qui nous interpelle d’outre-tombe. Le film rappelle d’abord la femme exemplaire qu’était Sarah Halimi puis esquisse un bref portait de son voisin assassin, Kobili Traore, un français de 27 ans, délinquant récidiviste, déjà condamné vingt-deux fois, pour violences, agressions, vols et trafic de stupéfiants, à qui la police a  donc eu affaire à maintes reprises sans qu’il soit question d’un quelconque trouble psychique. Son addiction au cannabis – il fumait une quinzaine de joints par jour depuis quinze ans- ne fut pas repérée comme pouvant déclencher des troubles psychiques et l’amener à commettre les faits suivants : Kobili Traore, sous l’emprise d’une force démoniaque d’après ses dires, va chez ses voisins et cousins maliens, les Diarra. Il se change, fait ses ablutions, récite des sourates du Coran. Les Diarra préviennent la police, s’enferment (volontairement) dans une pièce. Six policiers arrivent rapidement dans l’immeuble, pour la tentative de séquestration des Diarra. Traore les séquestre, mais ce n’est pas eux qu’il menace et agresse. Traore utilise leur balcon pour sauter sur celui de leur voisine Sarah Halimi. Il la frappe pendant quinze à vingt minutes, sur le balcon, en ponctuant ses coups de “Allahou Akbar” puis la défenestre en hurlant : “J’ai tué le Sheitan du quartier”. 

Le film nous permet de voir le quartier où habitait Sarah à Paris, ce quartier de la rue Jean-Pierre Timbaud bien connu pour avoir abrité différents courants radicaux, la librairie et la mosquée salafiste Omar que fréquentait Kobili Traore. Nous voyons leur immeuble de la rue Vaucouleurs, la porte d’entrée par laquelle la police a pénétré les lieux, nous voyons ce balcon du troisième étage par lequel l’assassin est entré et duquel il a jeté dans le vide le corps de Sarah Halimi. La porte a été visiblement forcée  – l’image fait preuve, c’est une évidence que nous ne pouvons que constater dans le film comme l’avait fait la police– mais cela n’a pas constitué pour la justice un élément renforçant l’intentionnalité de l’acte. La juge a  supposé au contraire que la porte fenêtre était entre ouverte au moment où Traore s’est introduit chez sa victime. Autre élément troublant : le long balcon de Sarah Halimi, donne sur une courette et un terre-plein, offrant différentes hauteurs. Sur les quatre mètres que faisait le balcon, il y avait seulement un mètre, où elle pouvait tomber de trois étages. Traore a traîné Sarah à l’endroit du balcon le plus élevé avant de l’y jeter. Là non plus l’intentionnalité n’a pas été retenue dans le fait de choisir la partie du balcon la plus haute, la plus probable pour un homicide volontaire. Tristement un témoin soulève que l’autre partie du balcon donnant sur le terre-plein l’aurait laissée en vie, et nous voyons effectivement, grâce au film, le mètre vingt, par lequel elle aurait pu tomber sans être fracassée à terre. 

Nous voyons aussi deux voisins de Sarah témoigner, seulement deux car les autres ont refusé par peur de représailles : une jeune femme rappelle que Sarah se sentait menacée par son voisin Traore qui l’avait plusieurs fois agressée verbalement, la traitant de sale juive et qu’elle envisageait même de déménager à Créteil ou de partir vivre en Israël. Quelques jours avant les faits, Sarah s’était plainte de menaces, avait confié sa peur à une amie voisine et policière. Des témoins ont vu Traore assommer violemment Sarah, lui donner durant quinze minutes des coups répétés sur le parapet du balcon, la massacrer à poings nus. L’un deux a enregistré la scène. Elle hurlait. L’image la plus saisissante du film est celle de la chemise de nuit de Sarah  portant les traces des coups et blessures qu’elle a reçus, témoins de son calvaire. Car ce vêtement, souillé de violences fait office de trace. A la fois de l’existence de Sarah, de la présence de son corps sous cette chemise, et de la fragilité de son être,  seul face à la violence.

Car, bien que six policiers aient été sur place, Sarah était seule face à son assassin. Ils ne sont pas intervenus, sont restés dans la courette, avançant qu’ils ne l’avaient pas entendu crier. Pourtant elle a crié pendant quinze minutes. Le film nous montre la configuration des lieux où s’est rendu la police, la petite cour intérieure où donnaient son balcon et les balcons voisins, ceux des témoins qui ont appelé le 17 pour prévenir qu’une femme était en train de se faire tabasser. Quatre ans après les faits, une commission parlementaire a été créée, interrogeant les modalités d’intervention de la police et de la justice, pointant leurs dysfonctionnements. Des membres de la commission parlementaire se sont rendus sur place, accompagnés d’un expert judiciaire et ont crié comme l’a fait Sarah. Nous entendons leurs cris, absolument audibles depuis la cour intérieure de l’immeuble, nous imaginons ses cris à elle. Les six policiers, prévenus pour la tentative de séquestration des Diarra, étaient arrivés sur les lieux, bien avant que Sarah ne soit jetée par la fenêtre. De la cour, ils ont donc forcément entendu ses cris mais prétendent le contraire. Ils prétendent aussi ne pas avoir pu intervenir car ils ne pouvaient entrer sans forcer la porte des Diarra, chez qui l’assassin se trouvait avant de sauter sur le balcon de Sarah Halimi : or, une voisine leur avait jeté de sa fenêtre les clefs de l’appartement des Diarra.

Que s’est-il passé pendant ces minutes où Sarah Halimi aurait pu être sauvée ? Pourquoi six policiers appelés pour une séquestration restent dans la cour et n’interviennent pas lorsqu’une femme se fait tabasser sur le balcon d’à côté ? D’autant que la commission parlementaire a démontré que les policiers savaient que l’assassin n’était pas armé. Certains intervenants du film avancent que la police, traumatisée par les attentats du 13 Novembre et ne sachant s’il s’agissait ou non d’un attentat, était en attente de renforts et de matériel. Le futur assassin avait peut-être une ceinture explosive, avance l’un d’eux. A cela le président de la commission d’enquête rétorque : “à 04 :30,  la conférence radio – la salle de commandement de l’état major- indique aux policiers qui sont sur place, aux primo-intervenants, arrivés à 04 :24 : « si c’est des appels au secours et une tentative de séquestration, vous tentez en cas de nécessité de casser la porte”.  …  ça c’est des échanges qui sont dans des PV d’auditions ! …  Et dans un autre échange, un policier indique : “On nous confirme : pas d’armes”. (Extrait de la commission d’enquête).

De plus, les voisins de la rue Moulin joli, parallèle à la rue de Vaucouleurs, ont indiqué aux policiers qu’ils pouvaient se rendre sur le balcon de Sarah: “On peut effectivement se rendre à pied très facilement, à partir d’un terre-plein d’en face, sur le balcon de madame Halimi. Malheureusement aucun policer présent à la salle de commandement ou à l’état major, ne fait le rapprochement à la même heure dans le même quartier, à la même minute entre les appels pour la séquestration supposée des Diarra et les appels du massacre de Sarah Halimi”.  Une voisine témoigne : “Je faisais les cents pas dans le salon. Ne voyant pas la police j’ai rappelé une seconde fois. Je ne peux pas dire le temps précis qui s’est écoulé entre mes deux appels. J’ai à nouveau expliqué à la police le motif de mon appel et j’ai entendu l’opérateur dire à sa collègue : c’est pour le  différend familial  rue Vaucouleurs. Le terme différend familial m’a interloquée et mise en colère. Mais on m’a dit qu’ils étaient au courant. Après le témoin dit : « je pensais que les policiers étaient dans le jardin mais qu’il était dangereux de monter à l’étage. Donc j’ai appelé une troisième fois la police pour leur dire que si les policiers voulaient voir ce qui ce passait dans l’appartement de l’agresseur ils pouvaient venir chez moi”.  Et ça, c’est avant qu’elle soit défenestrée, pendant que Sarah Halimi était en train de se faire taper !” (Extraits de la commission d’enquête).

En somme Sarah s’est retrouvée seule face à un assassin armé de ses seuls poings. Cette femme qui a passé sa vie à aider les autres, comme le souligne l’une des intervenantes du film, a été seule et sans soutien au moment de son assassinat, ainsi que les quelques secondes suivant sa mort,  lorsque son corps inanimé gisait sur le sol de la courette. Quatre ans après les faits, une policière auditionnée lors de la commission parlementaire explique qu’elle voulait aller voir le corps pour lui porter éventuellement les premiers secours mais qu’elle craignait n’être plus protégée. Si elle avait avancé “elle aurait été exposée”, explique t-elle. En résumé, en écoutant les auditions de la commission, on constate qu’il n’y a pas eu transmissions des appels des voisins alertant qu’une femme se faisait frapper sur son balcon, que cela fut traité de « différend familial » et que rien n’a été fait pour arrêter cette violence. En somme les violences exercées sur une femme n’ont pas été considérées de manière suffisamment grave pour que la police, pourtant sur place, intervienne. 

Le film permet de voir aussi des extraits de la commission parlementaire de 2021, interrogeant la justice. La juge d’instruction Anne Ihuellou y explique pourquoi elle n’a pas demandé une reconstitution sur les lieux du crime alors que la Défense était d’accord pour le faire. Elle était surchargée de travail, rétorque-t-elle et n’avait pas le temps “de faire salon”. Par contre, lorsque le premier psychiatre, le Docteur Zagury a conclu à une simple altération du discernement de l’assassin- une bouffée délirante due à la consommation de cannabis- la juge a trouvé le temps de demander une deuxième expertise psychiatrique. Il paraît qu’en général ce sont les parties qui demandant une contre-expertise. Cette deuxième expertise, menée cette fois par le docteur Bensussan, aboutit  à des résultats à l’opposé de ceux de Zagury : elle conclut au rôle mineur de la prise de cannabis mais à l’abolition totale de jugement causée par l’existence d’une grave pathologie psychiatrique : une schizophrénie. Au delà d’une bataille d’égos entre ces spécialistes, ce qui peut sembler pour les profanes un ergotage juridique entre altération et abolition, est fondamental pour déterminer la responsabilité de l’assassin.  Une troisième expertise fut demandée par la famille : elle confirme la thèse de l’abolition du discernement tout en refusant l’existence d’une schizophrénie. L’assassin est donc pénalement irresponsable.

La juge Anne Ihuellou n’a pas non plus jugé nécessaire d’auditionner l’entourage de Kobili Traore, d’étudier sa téléphonie, ce qui aurait permis de reconstituer son emploi du temps avant les faits et de questionner sa supposée irresponsabilité. Il a en effet pris soin d’apporter des  vêtements chez ses voisins, il s’est rendu à la mosquée  Omar, a fait ses ablutions, s’est changé, comme s’il se préparait à un rituel. Il a vu chez des amis un film de super héros justicier au titre macabre « The Punisher » auquel, dans sa logique il semble s’être identifié puisqu’il a réduit Sarah à une abstraction menaçante diabolique, le Sheitan. Le documentaire nous montre des extraits de PV d’auditions de Kobili Traore où il explique ce que signifie le Sheitan mais qu’il ne se souvient de rien, ni d’avoir prononcé ce mot ni être passé à l’acte. Il ne faut pas être docteur ès-stupéfiants pour savoir qu’il est peu probable que le cannabis cause de telles pertes de mémoire ou de si fortes hallucinations (comme le ferait le LSD). Il aurait été, en tous cas, assez approprié, d’enquêter sur ces préparatifs de Traoré qui semblent indiquer une intentionnalité.

Finalement, après une année de combat des avocats de la famille de la victime, la cour a retenu en appel le caractère antisémite du crime. Nous sommes donc face à un assassin antisémite mais irresponsable. Cet oxymore soulève des questions éthiques : dans le cas du racisme et de l’antisémitisme, la folie dégagerait-elle de toute responsabilité ? L’Histoire, témoin et réceptacle de la folie des hommes, a engendré des dictateurs fous, auteurs de terribles génocides et il serait impensable d’envisager que la folie de leur œuvre génocidaire, les exonère de toute responsabilité. 

Dans les procès précédents – celui de l’Hyper-Cacher ou de Toulouse – où la circonstance aggravante d’antisémitisme n’avait pu être retenue, il n’y avait aucune possibilité de juger les assassins, morts en martyrs en même temps que leurs victimes. Ils ont cruellement manqué à la justice, réduite à se rabattre sur leurs complices, associés ou “petites mains”. Voilà que nous avons un assassin qui n’est pas mort en martyr, qui est bien vivant mais qui est absent car soustrait à la justice et déclaré irresponsable … On pourrait imaginer l’émoi de la France si par exemple Salah Abdeslam -qui n’a tué personne- avait été jugé irresponsable à cause de sa consommation de cannabis et coulait des jours paisibles à l’hôpital psychiatrique, sans se soigner réellement comme le fait Traore, puisqu’il n’est dangereux que lorsqu’il fume. Fort heureusement cette décision de la cour de cassation du 14 Avril 2021 confirmant l’irresponsabilité pénale de l’assassin est assez impopulaire. Selon un sondage réalisé en  2021, l’absence de procès est désapprouvée par 73% des français.

Au printemps 2021, 15 000 personnes  se sont rassemblées au Trocadéro. En réponse, le parlement a adopté une loi, le 24 Janvier 2022,  qui limite l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant de la consommation volontaire, et dans un temps très voisin de l’action, de produits psychoactifs, drogues ou alcool.

La prochaine étape serait la révision de la décision de la cour de cassation et la tenue, malheureusement peu probable, d’un procès. En attendant, il est possible d’honorer la mémoire de Sarah Halimi et de se tenir informé en regardant le documentaire de François Margolin et les extraits de la commission parlementaire, présents dans le documentaire et disponibles aussi en ligne sur le site de l’assemblée nationale. 

© Karin Albou

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4 Comments

  1. Pauvre Sarah Halimi qui a tant souffert ! justice ne lui sera jamais rendue et son assassin est en liberté ! Quelle scandale et quelle honte pour la justice française !

  2. Un crime, un crime anti-sémite et impuni ! Et après ? Rien, pas une seule manifestation. Légalement, une bouffée de canabis justifierait le crime, créant ainsi une jusrisprudence horrible. Au nom de la chose jugée ainsi, nous n’avons droit qu’à nous taire ! Des sacs et des cordes ! Si cela n’est pas revisé, nous n’avons plus notre place dans un pays condamné aux désordres sociaux !

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