Des chercheurs de l’Insee ont montré dans leurs travaux récents que la redistribution en France, lorsque l’on prend en compte l’ensemble des facteurs redistributifs, transferts monétaires et transferts en nature, est très efficace. Mais très coûteuse. Pour continuer à la financer, il ne nous reste pas beaucoup d’options, souligne Pierre Cahuc.
“On dépense un pognon de dingue !” En réalité, cette réplique d’Emmanuel Macron qui a fait florès, n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Les travaux de l’Insee montrent que ce « pognon » diminue bien plus les inégalités que ce qu’indiquent les évaluations habituelles, qui se limitent à comptabiliser les transferts monétaires et suggèrent que le système sociofiscal français est peu redistributif au regard des montants prélevés.
Selon l’Insee, la redistribution provient surtout des transferts en nature, comme l’éducation, la santé et le logement, qui contribuent pour 50 % à la réduction des inégalités, viennent ensuite les prestations sociales monétaires (23 %), les dépenses de consommation collective, comme la police, la justice ou les services d’administration (16 %), et les retraites (10 %).
Au total, les deux tiers de la réduction des inégalités proviennent de transferts en nature et des services publics. Ainsi, le revenu avant prélèvements et transferts des 10 % des individus les plus aisés est 13 fois plus élevé que celui des 10 % les plus modestes. Ce rapport est ramené à 7 avec les transferts monétaires et à 3 avec l’ensemble des transferts.
Des aides sociales locales
En fait, la réduction des inégalités opérée par le système sociofiscal est encore plus importante, car ces évaluations négligent les aides locales accordées par les collectivités territoriales. Ces aides financent l’accès des ménages à bas revenu à la restauration scolaire, aux centres de loisir, aux transports, aux équipements collectifs… Elles sont mal connues, parce que l’administration ne les recense pas systématiquement. Les travaux de Denis Anne et Yannick L’Horty montrent qu’elles sont loin d’être négligeables, notamment pour les familles avec enfants. Par exemple, en 2020 un couple vivant à Paris avec 3 enfants sans aucun revenu d’activité, obtient grâce aux aides nationales un revenu annuel de 20.770 euros qui passe à 31 875 € avec les aides locales.
Cette redistribution massive constitue une extraordinaire réussite de l’Etat providence, un véritable trésor national que peu de pays ont réussi à créer. Mais elle a une contrepartie : quand le revenu du travail (au sens du coût du travail) augmente de 1 euro, on gagne en moyenne 43,5 cents, tandis que 56,5 cents sont prélevés par le système sociofiscal, via la hausse des prélèvements et la baisse des prestations.
Ce taux marginal de taxation, proche de 60 %, s’applique approximativement à tous les niveaux de salaire . Ce chiffre, qui ne tient compte que des transferts monétaires nationaux et néglige donc les transferts en nature, les services publics et les transferts locaux sous-estime considérablement les gains à travailler.
Peu de marge de manoeuvre
Il est ainsi très clair, qu’en France, travailler rapporte beaucoup plus aux autres qu’à soi-même. C’est sans doute la raison essentielle pour laquelle il devient de plus en plus difficile de convaincre les Français de travailler plus. Par ailleurs, le taux effectif de taxation des revenus du capital, bien plus élevé que celui de nos principaux partenaires commerciaux, avoisine aussi 60 %. Ceci laisse peu de marge de manoeuvre pour trouver d’autres sources de financement à un Etat excessivement endetté et confronté au défi de la transition énergétique.
Dans ce contexte, le front syndical, qui a organisé la résistance à la réforme des retraites en laissant croire que nous pourrons continuer à tout financer sans travailler plus, met en danger la pérennité de notre Etat providence. Il est peu probable que cette stratégie soit gagnante à terme.
© Pierre Cahuc
Pierre Cahuc est professeur à Sciences Po, économiste, chroniqueur aux « Echos »
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