Jacques Neuburger. Libération d’Auschwitz, le 27 janvier 45. Je me souviens

Libération d’Auschwitz: 27 janvier 45, il y a soixante-dix-huit années. 
Le mois de janvier à toujours été période de commémoration de cette période de souffrances abominables, indicibles et de la plus inimaginable volonté pensée, préméditée, organisée, planifiée extermination de tout un peuple, toute une culture, toute une civilisation, un mode de vie, un mode d’être, jusqu’à en effacer toute trace, et ceci en maint lieu avec la participation active et non contrainte, volontaire aussi de nombreux éléments de la population locale, les voisins prêtant plus que main forte à la mise à mort criminelle des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, des grands-mères, des bébés.

LA RÉALITÉ

Car c’est une réalité qu’on ne peut traiter à la légère. Pas du tout. Ce sont larmes de sang. C’est au delà des larmes. Au delà.

Car nous avons tous en mémoire par exemple ces êtres presque plus que morts, décharnés et cependant vivants, portant l’horreur dans leurs yeux enfoncés dans leurs orbites, à peine roulés dans leur couverture, enfin ce qui leur tenait lieu de couverture, sur les bas-flancs de Buchenwald, par exemple. 

Et lorsque l’on voit par exemple se promener, sur Facebook ou ailleurs, ces clichés composés par les “communicants” d’alors des armées russes ou americaines pour témoigner de la joie des internés et déportés d’avoir été libérés, joie réelle évidemment, celle du sentiment de la fin de son propre calvaire et joie de voir écrasé l’abominable système nazi, mais clichés “bidouillés” après coup, comme ces photos de mariés devant la Tour Eiffel une semaine après le mariage, clichés nous présentant des déportés déjà presque joufflus, insouciants, guillerets presque, c’est insupportable. 

Il en est de même lorsque l’on voit circuler, sans précision, ces photographies émanant des services de propagande nazis voulant montrer comment par exemple les camps qui étaient en réalité de la mort auraient été des sortes d’aimables lieux de rééducation: certains clichés représentent même des malheureux qui furent suppliciés dès le lendemain.

C’est insupportable.
Insupportable. 
Odieux.
Je n’ose pas penser quelle aurait été la réaction de mon père, de ma mère en découvrant telle impudeur, telle impudence.

Je ne veux pas parler ici “famille”. 
Mais c’est temps de témoignage. Alors j’y vais de mon témoignage. 
Parce que si nous ne voulons pas que cette mémoire se banalise il nous faut témoigner.
Je ne veux pas vous donner à porter ce que je porte de plus lourd en mémoire…
Mais je me souviens.

Je me souviens.
Je me souviens de F. que j’ai bien connue: jeune fille elle fut asservie dans les pires conditions, les plus humiliantes conditions, à Auschwitz et elle y subit des expériences médicales. Après son retour elle mit dix ans, d’intervention chirurgicale en intervention chirurgicale à pouvoir enfin avoir un unique enfant.

Je me souviens.
Je me souviens de Madame C., que j’ai connue. Toujours souriante, aimable, gentille, compatissante, intelligente, dévouée, avec un sourire éternel, comme immobile, figé, en un visage figé, à quatre vingts ans elle gardait un visage figé de jeune femme: son bébé avait été piqué au coeur par le monstrueux docteur tortionnaire d’Auschwitz, dans ses propres bras. Son bébé, son enfant, dans ses bras. Peu de gens le savaient, elle n’en parlait jamais, je crois qu’elle mit plus de vingt ans, au moins, à en parler à son mari, à ses enfants car elle s’etait remariée après la guerre. Je la vois encore un jour à la synagogue, au fond de la synagogue, debout, le regard comme froid ou perdu, bras croisés, femme de plus de 80 ans, très droite, et comme toisant la téva.

Je me souviens.
Je me souviens de Monsieur et Madame K. Monsieur K. était revenu l’un des quinze seuls survivants de son camp. Je ne veux pas faire d’erreur alors je ne dirai pas les noms des camps où ils furent l’un et l’autre: je crois me souvenir que Madame K avait été à Birkenau et Monsieur K dans un tout autre camp. C’étaient des voisins de mes parents. 
Monsieur K et Madame K avaient l’un comme l’autre été mariés “avant guerre”, comme on disait alors, ils avaient l’un comme l’autre eu chacun cinq enfants.
L’un et l’autre chacun cinq enfants.
Cinq.
Non seulement leurs conjoints mais leurs enfants, chacun leurs cinq enfants, avaient été assassinés. 
“Après guerre”, ils s’étaient retrouvés, ils se connaissaient depuis longtemps, ils se sont mariés, c’étaient des gens très gentils, je les vois encore devant mes yeux, ils avaient un stand à l’entrée des puces à la porte de clignancourt, ils y vendaient des chaussures. Ils avaient ensemble deux enfants, nés plusieurs années après guerre, je crois que Madame K avait pas loin de cinquante ans lorsqu’elle les à mis au monde.

Je me souviens.
Oui, je me souviens…

© Jacques Neuburger

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1 Comment

  1. D’anciens scientifiques criminels de guerre nazis sadiques ont trouvé asile auprès des gouvernements alliés en échange de leurs services. D’autres ont fait carrière en RFA dans les Affaires, la politique…Ce que les bâtisseurs de l’Eurofascisme savaient parfaitement mais voulaient dissimuler au public.

    Juste une petite précision : Auschwitz libéré…par l’Armée Rouge.

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