Rika Zaraï : La dernière interview. Jérôme Enez-Vriad

© Jacques Benaroch/Sipa

Rika Zaraï m’avait gracieusement reçu chez elle en 2017, avenue Mozart, au dernier étage d’un immeuble d’époque, dans un magnifique appartement-terrasse avec vue sur Paris. C’était pour une interview restée inédite, l’une des dernières qu’elle ait donnée, jamais publiée car prévue pour un livre sur Israël que tous les éditeurs m’ont refusé. Voici cet entretien.

     De Rika Zaraï, on m’avait dit qu’elle ne recevait plus, n’accordait pas d’interview et vivait recluse Villa Montmorency, quartier cossu et privé de l’ouest parisien.          J’arrivai donc sur le perron d’une résidence. Double porte vitrée avec un faux air des années folles. Une lointaine sirène de police emplissait l’espace. Il y avait dans ce hurlement le bruit d’une machine à remonter le temps sortie des Voyages extraordinaires de Jules Vernes. J’allais rencontrer l’un des visages de mon enfance – celui des Numéro 1 de Mariti et Gilbert Carpentier – dont la simple apparition suffirait à tourner définitivement une page de ma vie.

          L’accueil fut chaleureux. Dès les premiers mots, je redécouvrais l’accent israélien. J’écoutais. Sage. Attentif. Notais scrupuleusement les réponses et oubliais mes questions sitôt après les avoir posées, tant Rika Zaraï appuyait la valeur de ses propos. Ainsi, commença-t-elle par la remise en cause du vouvoiement.

          « Tu es ici pour évoquer Israël, en hébreu le vouvoiement n’existe pas, nous allons donc nous tutoyer… »

          « Dans un premier temps, je définirais Israël comme une source d’amour, un endroit exceptionnel qui m’a vu naître, une émotion continue et indissociable de ma judéité. Ensuite, il est essentiel de rappeler que Dieu a choisi le peuple d’Israël. Ata Bechartanu – « Tu nous as choisis », est une incantation attestant aux Juifs l’attribution de connaissances. La justice est la première d’entre elles. Nous, enfants d’Abraham,      devons être respectueux d’un enseignement à léguer. Les Juifs ont un devoir de transmission. Tu sais, Jérôme, donner envie aux gens d’apprendre n’est pas chose facile lorsque c’est pour palier l’injustice des hommes. 

          « Être juive c’est donc appartenir au sentiment que je viens de décrire, et être Israélienne c’est avoir une relation directe avec la terre de mes ancêtres, vouloir s’y investir corps et âme, faire son service militaire sans rechigner, montrer l’exemple, ne pas charger l’État, être civique, moral et honnête.

          « Certes, l’investissement est différent à concurrence de chacun.  Dans mon cas,    la notoriété fut un élément supplémentaire. Je suis fière à ma modeste échelle d’avoir fait évoluer la conscience des Français envers Israël. Il faut dire que l’histoire de ce pays est unique. Israël est le seul État créé au XXe siècle sans existence préalable. Tout était à faire. Institutions, infrastructures, langue, culture, politique, défense, nous n’étions rien et sommes devenus incontournables en une génération. Aujourd’hui, la sécurité israélienne est prise pour exemple, on vient s’y faire soigner du monde entier, et l’économie proche-orientale s’écroule sans Tel-Aviv.

          « La paix ? Mon Dieu ! Je n’ai pas de solution miracle. Je crois « en » la paix mais plus « à » la paix. Trop d’événements se sont produits. Pour une réconciliation, il faudrait que les deux parties en sortent vainqueurs, ce qui dorénavant semble impossible à court ou moyen terme. Les tensions sont trop vives. Un jour, peut-être. C’est mon souhait le plus cher. Si les gens savaient combien il est facile de faire la paix ! La plupart ne passeraient pas leur vie en guerre contre tout le monde. L’espérance a toujours raison*.

          « Vois-tu, j’ai chanté la paix sur tous les continents. Une paix d’union. Une paix de (ré)conciliation. Où en est Jérusalem aujourd’hui ?  Quel pays, quel peuple accepterait la scission de sa capitale ? Le calvaire de Jérusalem ressemble à celui du capitaine Dreyfus. Tout le monde devine son innocence mais personne ne veut l’admettre. Jérusalem, j’y suis née.  Il suffirait de peu que les armes aient la sagesse d’une paix universelle, et que l’on chante tous ensemble.

          « Je n’ai jamais imaginé quUn mur à Jérusalem aurait une telle résonnance avec le temps. Comme toutes les choses qui font date, son histoire relève d’un enchaînement de circonstances banales qui, mises bout à bout, finissent par générer une situation remarquable. J’avais le play-back musique en attente des paroles. Pierre Delanoë est arrivé avec le texte que l’on connait, tellement approprié à mon ressenti que j’eus l’impression qu’il l’avait écrit pour moi. Un jour où je le lui confessais, il attesta qu’effectivement, Un mur à Jérusalem m’était destiné dès la première ligne. La chanson fut mise en face B du 45 tours Alors je chante et, avec le temps, c’est elle que les gens retiennent au détriment du succès de l’époque. »

          Puis elle s’est tue. Tout était là. Comme avant. Même regard audacieux. Même visage. Mêmes rondeurs expressives. Rika Zaraï est identique mais différente. L’âge ne serait donc pas le naufrage annoncé, plutôt une submersion de maux dont il faut tant bien que mal s’extraire chaque jour. Envers et contre tout. Envers et contre soi.  

          Sur son bureau, le bouquet de tulipes que je venais de lui offrir commençait à s’épanouir. Mon regard glissa derrière la baie vitrée, sur la découpe nette et dentelée d’un nuage plus lourd que les autres.

          Restait la dernière question. La même pour toutes mes interviews. Si tu avais le dernier mot, Rika…

          « Si j’avais le dernier mot, je te dirais ceci… « Je viens de te découvrir et je te trouve formidable. »

*Clin d’œil au titre de ses Mémoires parues en 2006 chez Michel Lafon.

Jérôme ENEZ-VRIAD

© Juin 2022 J.E.-V. & Tribune Juive

Illustration :  © Jacques Benaroch/Sipa


Jérôme Enez-Vriad. Photo Matthieu Camile Colin

Jérôme Enez-Vriad, Producteur et chroniqueur culturel, est auteur, notamment de Berlin : La frontière de nos jours, et Shuffle: journal devenu roman

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4 Comments

  1. De cette interview , je ne retiendrais qu’une phrase qui prend tout son sens , Le calvaire d’Israël ressemble à celui du capitaine Dreyfus. Tout le monde devine son innocence mais personne ne veut l’admettre.J’ai pris le droit de remplacer Jérusalem par Israël

  2. Un immense Merci pour la publication de cet échange avec Rika.
    Une reconnaissance éternelle à cette grande Dame, symbole de son peuple et ambassadrice de son pays, en permanence attentive au bonheur et au bien-être des autres.

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