Annick Perez. Reine, ma mère. Sa manière de dire “Mabrouk” ou “bnina”

Ma mère, je savais bien qu elle avait qq chose de spécial , son amour sans les gestes, sa force de caractère, son insolence aussi et sa manière de dire “Mabrouk” quand elle me coupait une robe ou “bnina” quand j’avais mal.

Elle disait des mots en arabe , en hébreu, en anglais pour des occasions où le français aurait été banal. J aimais bien “Bnina”, c est quand j avais été opérée. Je souffrais, c était mieux que le Dafalgan le “Bnina” de Maman.

Nicotte aussi parfois. Ou bien quand elle disait “Tu pourrais porter un sac de pommes de terre tu le porterais bien”.

Je plaisais à Maman, j étais fière de ça.

Elle habitait des endroits chics , l’Ile St Louis, la Place des Vosges, elle adorait déménager.

Sauf que là elle habite Regavim pour toujours. Elle ne déménagera plus. Elle habite Sous un arbre. Où il fait quand même soleil.

Ma fille Sasha est allée la voir avec Morgan aujourd hui. On a fait un FaceTime. Ils ont filmé l’arbre et le soleil sous l’arbre. Aucune ombre. Sasha avait porté des fleurs blanches et deux roses rouges de la part de ses deux bébés , Ambre et Carla.

Les bébés n ont pas le droit d aller au cimetière chez les Juifs. Pourtant il me semblait qu un bébé qui sait marcher peut y aller. Je comprends pas trop.

Maman donc est au soleil , même à l ombre. Bizarre non? En tous cas, Elle est dans le sens de la grande porte en fer forgée, bien en face comme dans un carosse.

D’ailleurs elle s’appelle Alice Pariente. Reine, c est vraiment son nom. Reine. Même Elisabeth ll ne s appelle pas Reine.

Je ne savais pas qu’on pouvait aimer autant sa mère, j’avais pas fait attention à ça, c’était normal d’avoir une mère, et je savais pas qu’on souffrait autant.

Plus que pour une opération.

Parfois, j ai envie de l’appeler, j’oublie qu’elle répond plus. Avant , quand elle répondait pas trop longtemps , j’appelais les pompiers. J’ai toujours été comme ça. Inquiète. Elle sortait en riant avec son discman dans les oreilles: “Mais j’ai pas entendu Tu es folle ma fille”.

Ensuite elle parlait avec les pompiers et leur servait un Coca. Elle était belle ma mère. Alors les pompiers rigolaient avec elle. Je n’ai jamais vu un homme résister à son charme. Mince , ça ne va pas plaire à Carole Rousseau cette phrase…

La semaine prochaine c’est son anniversaire de décès, je devrais être à Regavim normalement.

Anniversaire de décès. Il y a bien un autre mot mais il est en hébreu et je ne sais pas écrire l’hébreu.

Regavim donc mais en haut , assez loin du kibboutz. J’en parle dans Une Nuit à Carthage de ce kibboutz. Son amoureux du Mossad, Neldo, est toujours en vie. Vous savez la grande histoire d’amour entre Tunis et Regavim. La gamine de Beausite et l’envoyé du Mossad. Il va bien .

J’aimerais mettre un banc sous l’arbre de Maman comme Yossi. Mais peut-être qu il n’y a pas d’arbre, que je l’ai inventé. Parce que je veux qu il y ait un arbre qui fleurit . Qui ne cesse jamais de fleurir près de Maman.

© Annick Perez


Née à Tunis, Annick Perez est peintre et écrivain. Elle est l’auteur de Celui qui ne fut pas choisi (M. Hagège, 1998), Des yeux trop noirs (M. Hagège, 1999), Je cherche Goldie (Michalon, 2002), Luka (Fayard, 2005) et You’re beautiful. Une Nuit à Carthage ( Balzac Editions). Le Petit étranger ( Balzac Editions).

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