Pourquoi comparer les musulmans d’aujourd’hui avec les juifs d’hier est inacceptable

Par Barbara Lefebvre

Publié le 03/07/2017 à 15:37, mis à jour le 13/12/2021 à 19:52

The minaret of a mosque is seen in Creteil near Paris, France June 29, 2017 after a man was arrested after trying to drive a car into a crowd in front of the mosque. REUTERS/Gonzalo Fuentes

FIGAROVOX/ANALYSE – Lors de son meeting, le 11 décembre 2021 à Perpignan, Anne Hidalgo a estimé que «le langage des années 30» contre les juifs est aujourd’hui appliqué aux musulmans. Dans un texte publié en juillet 2017, Barabara Lefebvre s’opposait à ces comparaisons fallacieuses. Nous le republions à cette occasion.

Barbara Lefebvre, professeur d’histoire-géographie, elle a publié notamment Élèves sous influence (éd. Audibert, 2005) et Comprendre les génocides du 20è siècle. Comparer – Enseigner (éd. Bréal, 2007). Elle est co-auteur de Les Territoires perdus de la République (éd. Mille et une nuits, 2002).Les analogies historiques venimeuses

On s’indigne, à raison, que le prédicateur Hani Ramadan ait déclaré très récemment via Twitter que «le nazisme n’a pas disparu: il a seulement remplacé le juif par le musulman». Mais pourquoi n’a-t-on rien entendu lorsque les autorités de la Grande mosquée de Paris ont tenu des propos identiques? L’islam «modéré» de son recteur bientôt en retraite a lui aussi le goût de la captation victimaire au mépris de l’histoire. Dans sa «Proclamation de l’islam en France» rendue publique en mars 2017, inspirée par le politologue Thomas Guénolé inventeur du mot islamopsychose – énième néologisme pour décrire les ténèbres dans lesquels sont plongés les Musulmans de France – Dalil Boubakeur déclare en préambule que la Grande mosquée de Paris «s’alarme du fait que l’islamophobie et l’islamopsychose françaises soient de nos jours assurément comparables en gravité à l’antisémitisme français de la fin du XIXe siècle».

Pourquoi n’entend-on rien quand Edwy Plenel s’empare du sujet juif pour dénoncer la situation de parias dont les Musulmans – il emploie toujours l’article défini pour marquer qu’il s’agit d’une catégorie générale d’êtres – seraient victimes en France? Ainsi avait-il capté il y a quelques temps un beau texte de Zola sur l’antisémitisme datant de 1896 (avant l’affaire Dreyfus) intitulé «Pour les Juifs» pour dresser une analogie avec cette haine antimusulmane que Plenel décèle dans une large partie du monde intellectuel et politique français.

Plenel est le gourou de cette gauche qui ne s’intéresse aux couches populaires que quand elles sont musulmanes.

Ce livre, Pour les Musulmans, reprend tous les poncifs de l’islamogauchisme dont Jean Birnbaum a brillamment rappelé les origines idéologiques et les corruptions tant sémantiques qu’intellectuelles. Plenel est le gourou de cette gauche qui ne s’intéresse aux couches populaires que quand elles sont musulmanes, cette gauche qui dénonce les «paniques identitaires» et ne voit que paranoïa et racisme dans le combat idéologique que mènent les adversaires de l’islam politique. Le déni du réel n’a pas ici la candeur de ceux qui veulent vivre paisiblement comme des autruches, au contraire, cette gauche morale et inquisitrice a ses cibles, ses obsessions: traquer (jusqu’au prétoire si besoin) les mal-pensants qui osent voir et dire ce qu’ils voient pour paraphraser Peguy.

En 2011, Marwan Muhammad, tout à son œuvre de victimisation pour provoquer le ressentiment de l’éternel humilié musulman, s’était aussi prêté à cette analogie: «c’est l’histoire d’un pays qui chaque jour bascule un peu plus dans l’islamophobie. Ce pays, ce n’est pas l’Allemagne des années 30. C’est la France des années 2010. Cette façon de nommer un culte, cette façon de nommer des croyants, cette façon de les stigmatiser et de dire qu’ils posent problème et qu’ils mettent en péril l’identité du pays, c’est exactement la manière dont on stigmatisait les Juifs au début du siècle dernier. C’est pas dans l’Allemagne des années 30 qu’on mitraille des mosquées». N’en jetez plus, la coupe est pleine.

On comprend aisément que les adeptes de l’islam politique incarnés en Europe occidentale par les frères Ramadan aient des difficultés à entrevoir les subtilités de l’histoire, eux les petits-fils et héritiers ‘spirituels’ d’Hassan al-Bâna fondateur de la Confrérie des Frères Musulmans d’inspiration fasciste. Leur agenda politico-religieux, calqué sur celui de leur illustre grand-père en version 2.0, fonctionne sur l’identitarisme islamique, le complotisme victimaire, la vindicte perpétuelle pour laver les humiliations dont les Musulmans sont victimes quand les Infidèles chrétiens et/ou Juifs ont le malheur de les dominer en politique ou au combat.

En matière de nazisme et d’antisémitisme, Ramadan sait de quoi il retourne : les proximités idéologiques et financières entre la Confrérie et le IIIè Reich ont été démontrées par nombre d’historiens.null

Rien d’étonnant donc. En matière de nazisme et d’antisémitisme, Ramadan sait de quoi il en retourne: les proximités idéologiques et financières entre la Confrérie et le IIIè Reich ont été démontrées par nombre d’historiens, avec le mufti de Jérusalem Al-Husseini comme intermédiaire zélé avec les autorités de Berlin, puis après la guerre avec Sayid Qutb, le prolifique Goebbels islamique. Laissons le donc à ses tweeteries.

Mais pourquoi les propos de Boubakeur inspirés par Guénolé, de Plenel, Muhammad, de Todd et consorts ne sont-ils pas interrogés? Jamais il ne leur est demandé d’expliciter cette comparaison historiquement, factuellement. En quoi la situation des Musulmans qui vivent en France aujourd’hui est-elle comparable à celle des Juifs à la veille de la disparition de près de la moitié du peuple juif? Parce que c’est ce qu’on entend en creux dans ce type de comparaison: un génocide se prépare contre les Musulmans de France. Rien que ça! Qui le prépare intellectuellement, politiquement, concrètement? On compte sur les vigies de l’«islamopsychose» pour débusquer les planificateurs du génocide qui vient.

Ces vigies de l’islamophobie-islamopsychose n’ont pas dû lire beaucoup de livres d’histoire quand ils convoquent ce sujet sur un ton grave. Dans la France des années 1890-1900, puis des années 1930, le climat était tout autre qu’en 2017: les publications antisémites étaient nombreuses et les formations politiques fondées sur l’obsession antijuive actives, ayant pignon sur rue et imprégnant une large part de la droite française. L’antidreyfusisme en fut une illustration. La gauche révolutionnaire n’était en outre pas épargnée par l’antisémitisme au nom de l’anticapitalisme.

Où sont les journaux appelant à la haine antimusulmane et à leur exclusion totale du corps civique ?null

Quelle nouvelle affaire Dreyfus, pourraient-ils bien nous sortir de leurs chapeaux? Songent-ils aux caricatures publiées par Charlie Hebdo ou au pitoyable débat sur le projet de déchéance de la nationalité pour les terroristes? Où sont les journaux appelant à la haine antimusulmane et à leur exclusion totale du corps civique? Où sont les revues comme Le Grand Occident, Le Réveil du peuple, la Libre parole ? À moins que Le Figaro qui ouvre ses colonnes à Zemmour ou Polony ne soit dans le collimateur de ceux qui osent se réclamer de Zola et du dreyfusisme, comme Plenel, pour exercer leur vindicte? À moins que Causeur qui laisse s’exprimer librement Finkielkraut soit un journal fasciste préparant les masses à l’extermination des Musulmans de France? À moins que La Revue des Deux mondes qui publie Caroline Fourest ou Elisabeth Badinter n’annonce rien moins que le retour de la peste brune?

En France aujourd’hui, des Musulmans sont, à ma connaissance, libres de se constituer en association pour exprimer et revendiquer leur vision identitaire singulière comme en témoignent le CCIF ou le PIR. Ces associations ‘antiracistes’ souvent rejointes par la LDH ou le MRAP, qui trouvent des alliés bienveillants au Bondy Blog ou dans la Revue du crieur, exercent une vigilance de tous les instants au point d’entraver la liberté d’expression commune quand il s’agit de critiquer l’islam politique ou de dénoncer l’antisémitisme transmis comme une vulgate dans nombre de familles musulmanes, cet «antisémitisme déjà déposé sur la langue, dans la langue» comme l’a dit Smaïn Laacher.

Il serait temps que ces analogies malsaines soient combattues par tous ceux qui ont à cœur de faire vivre le débat d’idées dans le champ démocratique antitotalitaire.

Il serait temps que ces analogies malsaines soient combattues par tous ceux qui ont à cœur de faire vivre le débat d’idées dans le champ démocratique antitotalitaire. Il est insensé qu’une autorité religieuse représentative comme la Grande mosquée de Paris, que des personnalités associatives ou médiatiques, ne trouvent pas d’autres arguments pour défendre leur cause que la comparaison avec le sort funeste des Juifs de France il y a un siècle. Il va falloir que la ritournelle de la menace d’un «retour aux heures sombres de notre histoire» cesse de servir à tous les amalgames, en particulier au service de certains antisémites de l’idéologie indigéniste qui n’aiment rien tant que se comparer à ceux qu’ils honnissent. Ne leur en déplaise, il n’y a pas de palmarès victimaire dont il s’agirait de déloger les Juifs de la plus haute marche du podium. Ce palmarès n’existe que dans leur fantasme.

Les Juifs n’ont jamais proclamé avoir l’exclusivité du statut de victime de l’Histoire. Ils témoignent de leur vécu, pour éviter que cela n’arrive à d’autres, et accessoirement à eux de nouveau s’il leur est encore permis d’espérer. L’histoire des Juifs est longue en temps et en kilomètres parcourus. Elle leur a donné une certaine intuition du réel, et surtout aux Juifs d’en bas: ceux du ghetto, du mellah ou de la cité des ‘quartiers populaires’. Cette invention du palmarès victimaire vient précisément des antisémites qui ne supportent ni la survie du plus ancien peuple de l’Antiquité occidentale, ni sa résilience, et moins encore sa renaissance nationale. Les Juifs ont des existences individuelles dans le pays où ils vivent, mais qu’ils le veuillent ou non, ils ont aussi un destin collectif, l’histoire l’a montré depuis l’expulsion d’Espagne jusqu’à la Shoah. Leur incroyable capacité à faire vivre cette double identité, particulière et universelle, est vécue comme un outrage par ceux qui en sont incapables. Et cela déchaîne toutes les haines, toutes les rancunes.

Mais, une question s’impose à ces donneurs de leçon d’histoire comparée: quelle ‘religion’ (si tant est que l’identité juive se résume à une religion) est victime d’attaques ciblées en France actuellement? Sébastien Sellam, Ilan Halimi, Jonathan Sandler, Arieh Sandler, Gabriel Sandler, Myriam Monsonego, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, Sarah Halimi: tous sont morts, ici en terre de France, coupable de n’avoir commis qu’une ‘faute’, être juifs. Ciblés et assassinés parce que juifs par un concitoyen se revendiquant de son islamité.

Dans l’article 24 de la proclamation de la Grande mosquée de Paris, il est écrit que le djihad guerrier « n’est autorisé qu’en situation de légitime défense contre un agresseur ».null

Voila où est la mission d’un représentant de l’islam en France et de ces personnalités qui invoquent l’histoire pour l’instrumentaliser politiquement: déraciner la haine antijuive ancrée chez de nombreux Musulmans de France qui prend le plus souvent la forme du complotisme. Ne serait-ce pas plus utile que leur dire qu’ils vivent dans un pays où se développe l’air putride annonçant leur génocide? D’ailleurs, dans l’article 24 de la proclamation de la Grande mosquée de Paris, il est écrit que le djihad guerrier «n’est autorisé qu’en situation de légitime défense contre un agresseur».

On ne comprendrait pas qu’averti de la survenue prochaine d’un plan d’extermination, le musulman ne considère pas légitime de s’en prendre, par avance, à ses supposés bourreaux! Pour avancer sur le chemin de la raison, il faudrait qu’ils admettent que la «question juive» tient une place centrale dans la pensée islamique, que la concurrence avec la matrice juive est un impensé de la civilisation musulmane dès l’islam des origines. Ils ne peuvent pas continuer à trier dans le texte coranique ce qui les arrange: invoquer le Coran mecquois, pour satisfaire les non-Musulmans qui attendent une parole de paix, pour faire oublier le Coran médinois qui appelle à tuer ces «chiens de yahoudi» en prenant modèle sur les actions de Mohamed dont le premier acte de guerre fut d’exterminer les tribus juives de l’oasis de Khaybar. Or la règle de l’abrogation veut qu’en cas de paroles contradictoires, les versets médinois – ceux de l’islam militaire, hégémonique et intolérant – prévalent sur les versets mecquois – ceux de l’islam spirituel et respectueux des autres religions.

Point essentiel: il faudrait des savants de l’islam qui cessent de penser les Juifs comme des falsificateurs de la parole divine ainsi que le Coran les décrit en racontant qu’Ezra aurait volontairement falsifié la Torah lors de son passage à l’écrit pour substituer Ismaël à Isaac dans l’épisode de la ligature et dès lors capter l’héritage abrahamique et la primauté de l’Alliance divine. Ezra (4è siècle avant JC), figure centrale de la tradition juive, est aussi accusé par l’islam d’avoir ouvert la voie à l’insoumission envers Dieu en favorisant l’avènement du débat exégétique rabbinique ouvrant sur l’univers talmudique. L’interprétation talmudique étant considérée comme blasphématoire pour l’islam, alors qu’elle est le cœur vivant du judaïsme.

Par cette vision coranique du peuple juif falsificateur et menteur, les germes de l’antijudaïsme plantés par l’islam des origines ont fait florès.null

C’est sur cette seule base (‘les Juifs avec et après Ezra ont falsifié la Torah’) que le Coran leur dénie le droit d’être souverains sur leur terre, sinon aucun verset coranique ne remet en cause «le don» de la terre d’Israël au peuple juif. Mais par cette vision coranique du peuple juif falsificateur et menteur, les germes de l’antijudaïsme plantés par l’islam des origines ont fait florès, enrichi par l’antisémitisme européen il y a un siècle.

Autre point de divergence sensible qui mériterait attention: du point de vue théologique et philosophique, la morale juive accorde au libre arbitre de l’individu une place prépondérante, l’être humain peut agir pour le bien ou pour le mal, il est une créature divine dont le rôle est de parfaire l’œuvre de Dieu. La morale islamique considère, elle, que le monde crée par Dieu est parfait, qu’il n’appelle aucune amélioration humaine, que sa parole ne supporte aucune interprétation, seule la soumission totale de l’humanité à Dieu verra s’accomplir la mission confiée à Mohamed. Quand l’islam acceptera qu’il puisse exister un espace où la responsabilité morale de l’individu est entière, que l’exil est un état dans lequel le Musulman peut vivre sans se perdre aux côtés de populations différentes de lui, que l’obsession de l’unicité ne peut que produire le mal absolu, alors peut-être que les racines de la haine antijuive seront arrachées, car ces trois éléments (responsabilité morale de l’individu, possibilité de l’exil, et acceptation de la diversité humaine) sont au cœur de l’antinomie autant que de la réconciliation de l’islam avec le judaïsme, et peut-être de l’islam avec un monde qui n’est que diversité et multitude.

La France laïque et démocratique n’est-elle pas le pays idéal pour réaliser enfin la véritable Nahda dont le monde musulman a besoin, au moment où son apparente force incarnée par la terreur jihadiste, masque peut-être davantage les préludes de sa chute et de sa fin?

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1 Comment

  1. Cette complète inversion des rôles et cette permanente réécriture de l’Histoire et des faits ne date pas d’hier. C’est le discours que j’ai toujours entendu depuis l’arrivée au pouvoir de Mitterrand au pouvoir cad ..Depuis quasiment ma naissance. Ces mensonges répétés tous les jours pendant des décennies ont ramolli les cerveaux et rendu possible ce genre de révisionnisme historique presque banal aujourd’hui.

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