Benoît Springer et Xavier Thomas. Procès des Attentats du 13/11/2015. Jour 30. “Mon fils, ma parcelle d’éternité”

La douleur des épouses, des mères, des pères, des enfants, des frères, des sœurs

René

René est le père de Pierre-Yves, assassiné au Bataclan. Le beau-père d’Anne, assassinée au Bataclan. À la barre, il exprime sa colère sourde à l’égard de l’État et des différents responsables politiques, et soumet calmement des interrogations déjà formulées par d’autres parties civiles. Si le Bataclan était une cible, pourquoi rien n’a été fait ? Pourquoi les soldats de l’opération Sentinelle ne sont-ils pas intervenus ? Pourquoi n’ont-ils pas donné leurs armes aux policiers présents sur les lieux ? « Sentinelle, dont on nous disait que cette opération devait protéger les Français, mon fils n’a pas été protégé par Sentinelle, il n’a pas été secouru, il y avait pourtant huit soldats au Bataclan, ils ont reçu l’ordre de ne pas intervenir, ni même de prêter leur arme, ils sont restés arme au pied, c’est insupportable de se dire ça. Je voudrais savoir qui a donné cet ordre, qu’on nous donne une vraie explication, que celui qui a donné cet ordre vienne nous donner ses raisons qui sont peut-être bonnes, mais que pour le moment on ne connaît pas. »

Il ajoute : « Je pense qu’on devrait se pencher sur ces aspects, parce que des individus comme ceux à ma gauche il y en a encore des dizaines de milliers dans notre pays, et il ne faut pas se faire d’illusions, des attentats, il y en aura d’autres. » Il conclut : « Qu’on s’occupe des problèmes dont je viens de parler, c’est tout ce qu’on peut faire pour les victimes. »


Aurore

Aurore vient à la barre avec sa fille Agathe. « Emmanuel et moi nous nous sommes rencontrés jeunes et nous nous sommes construits ensemble, nous avons construit ensemble. Pendant 30 ans on a juste été heureux. » Emmanuel est parti au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 avec leur fils, Wilfried. Wilfried est rentré chez lui, « maculé de sang, avec encore des morceaux de chair sur lui. » Sans son père. Aurore a appris le décès de son mari le lendemain, à l’École militaire. « Vous hurlez, on vous file un cacheton, ensuite, à la maison, il faut annoncer à vos enfants que leur père est mort. » Au sujet des accusés : « Ils n’auront jamais ma haine, mais, en revanche, je ne leur pardonnerai jamais d’avoir brisé tant de vies au nom du néant. Leurs cerveaux sont vides. » Wilfried, lui, est resté « cloîtré » pendant cinq ans dans sa chambre, avant de reprendre ses études, il y a un an. « C’est pas encore ça, mais c’est une grande victoire. »


Stéphane

En préambule, Stéphane tient à s’excuser pour les « répétitions », « mais je suis aussi profondément persuadé que la pédagogie se nourrit de répétitions ». Qui était Hugo, assassiné à 23 ans ? « Lorsqu’il avait 8 ans, Hugo jouait au tennis et il venait de gagner une compétition. Le soir, je le trouve en pleurs, il dit : « Le petit garçon qui a perdu, il était très triste. » On a appris deux choses ce jour-là : il ne ferait jamais de tennis de compétition et aurait une vie tournée vers les autres. (…) Hugo n’était ni mieux, ni pire que les autres adultes de son âge, mais c’était mon fils, ma parcelle d’éternité. » Vers la fin de sa déposition, Stéphane choisit de citer Paul Valéry : « Il y a deux visions possibles du monde, la vision qui morcelle, la vision celle qui unit. » Avant de conclure : «  Devenu adulte, je sais quelle vision Hugo avait choisie. C’est lorsqu’il n’y a plus d’espoir qu’il convient justement d’espérer.  »


Aurélie

Le 13 novembre 2015, Aurélie était enceinte de son deuxième enfant et n’a donc pas accompagné son mari Mathieu au Bataclan. À 5 heures du matin, un premier appel annonce à Aurélie que Mathieu est vivant, « sans égratignure », précise-t-on. Pourtant, Mathieu n’est pas rentré cette nuit-là. L’annonce de son décès n’interviendra que le samedi, à 22 heures. « Je comprends ce soir-là que la vie sans Mathieu commence. Mon fils de trois ans est tout de suite entré dans le deuil, il a tout de suite fait la liste des choses qu’il ne fera plus avec son papa. » Le 16 mars 2016, elle accouche d’une petite fille. « Cette nuit-là était aussi belle que la nuit du 13 novembre était horrible. » Depuis cette nuit-là, Aurélie a la conviction que tous les trois, ils seront heureux. « Nous, ils ne nous tueront pas. »

Avec le début du procès, Aurélie explique avoir pris conscience de la dimension collective de son deuil et du 13 novembre. « Je suis prête à m’attaquer à mon traumatisme. Je suis venue au procès pour comprendre, le premier jour je n’étais pas sûre de rentrer dans le palais. En m’approchant, j’ai constaté que tout était calme. La salle était pleine et j’ai vu ces nuques, ces corps, ces personnes qui se sont approchés de la même douleur que moi, je touchais du doigt pour la première fois la dimension collective de mon histoire. Le premier jour, j’ai eu peur. Mais je suis revenue le lendemain, et le jour d’après aussi. Quasiment tous les jours en fait. Et, petit à petit, j’ai compris. Je viens ici pour entendre ce qu’il se dit , et c’est souvent très dur , mais je repars plus souvent encore galvanisée par ce qu’il s’y passe. »


Alice

En fin de journée, Alice, 13 ans, l’une des deux filles de Manu, assassiné au Bataclan, décrit avec ses mots ce que ça fait de perdre son père à 6 ans : « J’en ai marre, marre de devoir expliquer pourquoi je suis brune alors que ma sœur et ma mère sont blondes, de devoir dire sur chaque fiche de présentation que mon père est décédé. » Sa grande sœur Émilie, 16 ans, prendra ensuite sa place à la barre, Me Reinhart à ses côtés. À la fin du témoignage, l’avocat demande au président de prononcer quelques mots. « Émilie a dit qu’elle se sentait responsable, ce serait bien, monsieur le président, de dire quelque chose à ce sujet. » Jean-Louis Périés : « Vous êtes une victime, vous n’êtes responsable de rien. On va étudier si ceux qui sont dans cette salle [les accusés] ont pu participer de près ou de loin à ces actes, c’est ça qu’on va évoquer. Vous vous êtes victime, c’est tout. Et merci d’avoir eu le courage de venir à cette barre. »


Aymeric


Newsletter spéciale procès du 13 novembre 2015

Trois nouveaux dessinateurs, venus de la BD et de l’illustration, Benoît Springer, Corentin Rouge et Emmanuel Prost, suivent le procès historique des attentats de novembre 2015.

Tous les jours, vous retrouverez sur le site de Charlie leurs dessins et leurs croquis de l’audience du jour et chaque fin de semaine sur charliehebdo.fr, vous pourrez lire le compte rendu de la journaliste Sylvie Caster.

Ne manquez pas ces rendez-vous pour suivre ce moment historique, comme si vous y étiez.

Merci à Charlie Hebdo

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