La Turquie va-t-elle encore impunément frapper les Kurdes en Syrie ?

DERRIÈRE LES LIGNES : La Turquie pourrait chercher à agir directement contre des cibles kurdes en Syrie, offrant éventuellement à la Russie et au régime d’Assad des gains dans la région d’Idlib en guise de récompense.

Ave Occidentalis Morituri te Salutant?

Par JONATHAN SPYER   4 NOVEMBRE 2021 20:50

Un combattant rebelle syrien soutenu par la Turquie prend une photo lors d'une manifestation contre l'accord sur des patrouilles conjointes russes et turques sur l'autoroute M4 dans la province syrienne d'Idlib l'année dernière.  (crédit photo : REUTERS/KHALIL ASHAWI)

Un combattant rebelle syrien soutenu par la Turquie prend une photo lors d’une manifestation contre l’accord sur des patrouilles conjointes russes et turques sur l’autoroute M4 dans la province syrienne d’Idlib l’année dernière.(crédit photo : REUTERS/KHALIL ASHAWI)

Que se sont dit Poutine et Erdogan à Sotchi?

Un certain nombre de médias régionaux ont publié ces derniers jours des articles concernant une opération militaire turque possiblement imminente dans le nord-est de la Syrie. Une telle incursion est-elle probable ?

Les informations et les rumeurs font suite à un sommet entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président russe Vladimir Poutine dans la station balnéaire de Sotchi le 29 septembre. Le sommet est intervenu après une escalade des tensions entre les forces turques et russes en Syrie les jours précédents. 

Kurdish YPG Fighters
CC YPJ.

Russie et régime Assad veulent le départ des Américains

Le 26 septembre, après des déclarations de Poutine critiquant la présence de « forces étrangères » en Syrie, des avions russes ont effectué des raids sur des zones contrôlées par les Turcs et leurs milices rebelles dans les provinces d’Idlib et d’Alep.

L’objectif stratégique souvent déclaré de la Russie en Syrie est la réunification du pays sous le régime nominal de la dictature du président syrien Bashar Assad. La référence de Poutine aux « forces étrangères » vise à faire comprendre que tandis que les forces russes et iraniennes opèrent en Syrie à l’invitation du dictateur, d’autres éléments non syriens, tels que les déploiements turcs et américains, sont là sans la permission d’Assad.

En réponse à l’escalade russe, Erdogan a renforcé la présence militaire turque le long des lignes de front. Cela a conduit à son tour à une présence accrue des forces du régime syrien. Le sommet du 29 avait pour but de réduire les tensions. Aucune déclaration commune n’a suivi, mais on cite Erdogan comme déclarant que les pourparlers s’étaient concentrés sur la recherche d’une « solution finale et durable » à la question syrienne (Erdogan sait choisir ses mots!).

Les milices turques subissent des embuscades en Rojava

Dans le même temps, des tensions se sont accumulées ces dernières semaines sur un autre front en Syrie – entre la Turquie et l’Administration autonome du nord-est de la Syrie contrôlée par les Kurdes. La Turquie affirme que l’organisation kurde YPG a multiplié les attaques transfrontalières ces dernières semaines.Des combattants des Unités de protection du peuple kurde (YPG) en formation dans un camp militaire de Ras al-Ain, le 13 février (crédit : REUTERS)Des combattants des Unités de protection du peuple kurde (YPG) en formation dans un camp militaire de Ras al-Ain, le 13 février (crédit : REUTERS)

Erdogan a décrit une attaque contre la ville d’Azaz sous contrôle turc le 11 octobre comme représentant la « goutte d’eau finale ». Le président turc a déclaré que « nous n’avons plus aucune patience à l’égard de certaines régions de Syrie qui ont la qualité d’être la source d’attaques contre notre pays (Azaz se trouve en terroire autrefois kurde de Syrie)… Nous sommes déterminés à éliminer les menaces provenant d’ici, soit avec les forces actives là-bas, soit avec nos propres moyens.

Echanges de mauvais procédés à Idlib?

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a déclaré le 13 octobre que la Turquie « ferait le nécessaire pour sa sécurité » suite à la recrudescence des attentats.

L’idée débattue est que la Turquie pourrait chercher à agir directement contre des cibles kurdes en Syrie, offrant éventuellement à la Russie et au régime d’Assad des gains dans la région d’Idlib en guise de récompense. 

Un rapport publié lundi par le site Middle East Eye a suggéré qu’en échange de la destruction du canton de Kobani, la Turquie autoriserait un contrôle conjoint turco-russe sur l’autoroute stratégique M4, qui relie Alep à la côte.

Le Nord-Syrien, un pays-tampon à saisir pour Ankara

Selon des informations parues dans les médias pro-gouvernementaux turcs, traduites par le site Internet al-Monitor, les dirigeants des groupes armés islamistes syriens alignés sur la Turquie ont déjà été informés à Ankara des « tactiques et stratégies pour une quatrième campagne militaire en Syrie ». (La Turquie a déjà mené trois campagnes contre les Kurdes en Syrie : Opérations Bouclier de l’Euphrate en 2016, Rameau d’Olivier en 2018 et Printemps de la Paix en 2019.)

Les zones cibles potentielles d’une telle offensive seraient Tel Rifaat et Manbij, à l’ouest de l’Euphrate, et Ain Issa et Tal Tamr, à l’est du fleuve. 

Tel Rifaat, une enclave kurde isolée alimentée par un territoire contrôlé par le régime, est la zone la plus vulnérable. Son contrôle renforcerait la position rebelle turque et islamiste dans le gouvernorat d’Alep.

Points faibles pour la résistance kurde

Une autre cible possible pour une offensive turque serait de frapper simultanément contre Manbij et Ain Issa, dans le but de relier les forces pro-turques au sud de Kobani contrôlé par les Kurdes. Ce dernier point chaud a été le théâtre d’une bataille majeure contre Daech en 2014.

Cependant, des facteurs diplomatiques doivent sûrement compliquer toute décision turque de mener une offensive. Ain Issa et Tal Tamr sont situés à l’est de l’Euphrate. Cette zone fait partie de la zone d’opérations contre l’Etat islamique, telle que définie par les États-Unis et leurs alliés. 

Erdogan a profité du désintérêt de Trump pour les Kurdes

Il existe un précédent pour l’activité turque à l’est du fleuve. L’opération Printemps de la Paix a créé une zone de contrôle turc à l’est de l’Euphrate à la suite de l’annonce par le président américain de l’époque, Donald Trump, du retrait américain de la Syrie en octobre 2019.

Mais toute nouvelle offensive turque dans la région ne pourrait avoir lieu qu’avec l’accord ou l’assentiment des États-Unis. Beaucoup peut dépendre de la capacité ou du désir du président américain Joe Biden de faire comprendre au président turc qu’aucune nouvelle avancée dans la zone détenue par les Forces démocratiques syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis et par les forces américaines elles-mêmes ne sera tolérée.

Mais si les objections américaines s’avéraient suffisamment dissuasives à l’encontre de toute poussée turque d’Ain Issa ou de Tal Tamr, toute action à l’ouest de l’Euphrate sera également soumise à des considérations diplomatiques. Le YPG kurde à l’ouest du fleuve opère en dehors du cadre des SDF et n’est pas protégé par les États-Unis. Mais à l’ouest du fleuve se trouve le fief russe (en partenariat avec le régime Assad). 

Mouvements de troupes sans décision claire

Par conséquent, à moins que la Russie n’accorde l’autorisation à toute incursion turque, il est difficile de voir comment une telle opération pourrait avoir lieu. Pour cette raison, le sommet de Sotchi du 29 reste d’un intérêt central.

A CE JOUR, selon des sources médiatiques arabes, le renforcement des forces dans la région détenue depuis Printemps de la Paix se poursuit. Un article de Kamal Sheikho publié mardi dans le journal Asharq al-Awsat a noté que des membres de l’« armée d’Al-Sharqiya soutenue par la Turquie, de la faction Suleiman Shah, de la neuvième division et d’autres formations de l’« armée nationale syrienne » fidèles à la Turquie , est arrivé vendredi dans la ville frontalière de Tal Abyad avec la Turquie, au nord de Raqqa, après avoir traversé le territoire turc depuis les zones du « Bouclier de l’Euphrate » dans la campagne d’Alep.

Simultanément, les forces du régime mènent des manœuvres au sol dans la zone de Tal Tamr, face à la zone contrôlée par la Turquie. Les manœuvres à grande échelle sont appuyées par des avions russes. Les forces russes et du régime ont pu se déployer dans certaines parties de la zone contrôlée par les FDS depuis l’opération Printemps de la Paix en 2019, lorsqu’elles ont été invitées par les forces kurdes afin d’empêcher les incursions turques plus profondément en Syrie.

Rien de tel qu’une bonne guerre pour relancer la fibre nationaliste

La prise de décision d’Erdogan se déroule sur fond de difficultés économiques et politiques pour le leader turc. À l’approche des élections de 2023, le président turc pourrait voir une nouvelle « victoire » contre les forces supposées “associées au PKK” en Syrie comme une perspective tentante. Comme d’habitude dans la Syrie brisée en 2021, les questions clés affectant cette décision concernent les préoccupations et les désirs des autres acteurs internationaux sur le sol syrien. 

Le régime d’Assad est en grande partie hors de la course.

Il n’est pas encore clair si les bruits de sabre actuels entraîneront un déplacement réel des forces fidèles turques hors de leurs zones de contrôle actuelles. Les jours à venir décideront du sort de ce territoire. Ouvrons l’oeil.

Johanatan Spyer avec des combattants des YPG Kurdes : Ave Occidentalis Morituri te Salutant?

jpost.com/middle-east

Considérant le combat global d’Israël pour sa propre survie, les aspirations autonomistes des Kurdes peuvent apparaitre lointaines, malgré la fraternité instinctuelle qu’on peut ressentir envers ce peuple, si semblable au nôtre.

En réalité et d’un point de vue défensif, il est clair que le Kurdistan au sens large constitue une des “frontières stratégiques” d’Israël et de l’Occident contre les poussées djihadistes sunnites, autant que contre le pont terrestre iranien jusqu’aux portes du Golan. Mais la position à défendre est des plus “inconfortables”.

Techniquement, cela paraît assez “simple” : tant que les YPG kurdes ne disposeront pas de dispositifs militaires adéquats pour faire face (missiles antichars, voire aviation légère, artillerie lourde…), ils resteront démunis face à des puissances moyennes à grandes, comme l’armée turque appuyant ses supplétifs islamistes.

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