Bon
Jeudi
Je possédais un texte écrit par mon père et corrigé par celui qui l’a tapé qui sommeillait depuis longtemps sur une étagère de ma bibliothèque.
Je me suis enfin décidée à confier ce témoignage sans prix au Mémorial de la Shoah qui va l’intégrer aux milliers de récits de ces juifs mutilés, martyrisés, déchiquetés, qui ont puisé on ne sait où la force de rassembler les morceaux épars d’une vie que les nazis ont tenté de broyer.
Et qui ont réussi ce prodige de redevenir des hommes accomplis cachant leurs cicatrices sanguinolentes sous leur costume de mari, de père, de citoyen .
Ce texte qui évoquait les épreuves, les douleurs, les pérégrinations, les cris muets d’horreur, les lacérations de la chair, je ne l’ai jamais lu en entier.
Découvrir que Papa chéri a été cet humain en charpie, cet enfant qui appelait sa mère gazée à Auschwitz, était une souffrance que ma lâcheté – appelons-la comme ça- ne m’a jamais laissé achever.
Trop de larmes , de révolte, d’impuissance à effacer cette abomination de mon amour filial infini…
Alors hier, puisqu’il l’avait écrit et souhaitait donc apporter sa pierre à l’édifice des témoignages des rescapés, j’ai remis ce document au Mémorial qui l’ajoutera au livre immense que constituent ces histoires personnelles qui ont créé l’Histoire dans ce qu’elle a de plus immonde, de plus inhumain.
J’ai mis longtemps à approcher ce livre, à en parler, à le toucher même, à lui rendre l’hommage qu’il méritait…
Papa a rejoint les anges, il a enfin retrouvé sa mère tant pleurée, et il doit être heureux aujourd’hui de voir que son témoignage ne restera pas enterré à jamais, que le sang et les larmes dont il est inondé servira à faire connaître l’Histoire aux générations futures, qui découvriront comment un petit juif polonais de vingt ans lacéré par une imprévisible difformité historique a retrouvé un statut d’homme d’honneur, accueilli par cette France qui a échangé sa chaleureuse hospitalité contre des années de travail et d’amour partagé..
Voilà Papa.
J’ai transmis.
Mes filles en sont heureuses.
Merci Annie de m’avoir aidée à franchir le pas.
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
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