Charles Melman. La Soif des altérés du discernement

Il n’est pas certain que l’information donnée au public sur le meurtre d’une petite mémé juive défénestrée en plein Paris dans le silence et l’inaction de l’entourage, puis l’acquittement du coupable, permette à quiconque d’exercer son discernement. Nous voilà tous dès lors bénéficier d’indulgences et être libérés de toute responsabilité, au moins morale, les juges y compris, dans une affaire dont la cause serait tout simplement une lacune de la législation – à réparer au plus vite, hein ! car on est bons bougres.

Mon discernement altéré me laisse-t-il encore la possibilité pourtant de faire deux remarques ?

La première est que le terme de « discernement » est particulièrement inapte pour rendre compte de l’engagement d’un sujet dans une action coupable. Dans notre cas par exemple le meurtrier discernait parfaitement le texte de référence qui pouvait lui indiquer son action, et loin de le rendre confus le cannabis n’a fait que contribuer à lever les inhibitions ordinaires. Le toxique n’a pas altéré, rendu autres son comportement et son jugement, il les a magnifiés, rendu le discernement sublime.

La seconde remarque est, elle, marquée par un certain effroi. À l’occasion d’un projet de loi pour contrôler la pratique des psychothérapies, j’avais pu alors, naïf, être frappé par la discordance complète entre la réalité des enjeux et l’information qui en était donnée au public censé devoir être protégé. Il est impressionnant cette fois-ci, bien différente cependant, de voir une collectivité s’organiser dans le consensus d’un mensonge partagé. Et, ce qui peut paraître grave, non pas bêtement à propos d’un antisémitisme traditionnel mais dans l’espèce de soumission spontanée qui semble déjà régler les étapes successives de cette affaire.

Est-il civique de se taire, ou est-ce un devoir de le contester ?

© Charles Melman

P.S. Je passe ici, comme on le voit, sur le fait que si le pouvoir de discernement nous vient de l’Autre nous sommes tous des altérés du discernement, voire abolis de cette faculté lors de radicalisme idéologique ou religieux.

Source: L’ALI. 30 avril 2021

L’ALI est l’ « Association Lacanienne Internationale » qui réunit des psychanalystes qui poursuivent le travail de Freud et de Lacan dans 17 pays. Fondée en 1982 par Charles Melman, Marcel Czermak, Claude Dorgeuille, Jean Bergès et quelques autres, l’A.L.I. est reconnue d’utilité publique.

Merci à notre Collaborateur Nadège Juliette

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