Natacha Devanda. Les directeurs d’hôpitaux et le serment d’hypocrites

Hypocrites, les médecins ? Certains semblent l’être en tout cas : pile, ils publient des tribunes anxiogènes sur la situation de l’épidémie de Covid en France ; face, ils militent pour la suppression des lits en réanimation

Fin mars, 41 directeurs médicaux de crise ont publié dans Le Journal du dimanche une tribune alertant sur le risque imminent de tri des patients Covid et non Covid. Le point de rupture de l’hôpital était atteint avec cette « médecine de cata­strophe ». Une situation que ces professionnels ne pouvaient décemment plus taire sans se parjurer devant Hippocrate, qui n’en demandait pas tant. Honte donc à ce gouvernement qui ne les écoute pas, ou si peu. Avec un tel argumentaire, la tribune a été abondamment reprise dans les médias, amplifiant le climat anxiogène qui plane depuis un an.

Cette conscience professionnelle a-t-elle ébouriffé les convictions du jeune épidémiologiste Macron jusqu’à expliquer son récent changement de politique sanitaire ? Qui sait ? D’autres, en tout cas, n’ont pas hésité à dire le mal qu’ils en pensaient. La Fédération hospitalière de France s’est désolidarisée (gentiment) d’une prise de position dont la « véhémence est de nature à inquiéter les malades et leurs familles ».


Pour avoir une lecture politique nettement plus énervée, il fallait tendre le micro à Christophe Prudhomme, médecin urgen­tiste de son état, qui annonce sans détour la couleur : « Les signataires sont des Ponce Pilate, des hypocrites qui veulent se dédouaner. » Mais encore ? Ces pleureurs d’un jour pourraient-ils être les fossoyeurs de l’hôpi­tal depuis toujours ? Oui, ils pourraient. « L’initiateur de la tribune, le Pr Bruno Riou, a milité pour faire fermer les lits de réanimation ouverts durant la première vague du Covid. Son argumentaire était alors le même que celui du gouvernement : l’hôpital a tenu grâce à l’ouverture de lits de réanimation provisoires, grâce aux TGV sanitaires… Aberrant. »

Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), praticien en Seine-Saint-Denis et militant CGT, Christophe Prudhomme dénonce une nomenklatura médicale qui défend ses intérêts particuliers au détriment du collectif.  « Cet hiver, ce monsieur [Bruno Riou], qui est aussi doyen de la plus grande faculté de médecine de France, a refusé de doubler le nombre d’internes en réanimation. Chaque année, seulement 74 réanimateurs sont formés, pour l’ensemble du territoire. Tout ça pour préserver sa spécialité, les anesthésistes-réanimateurs, face à une spécialité plus récente de médecine intensive et réanimation. »

Le beau monde médical ressemble à l’arrière-cour d’un boui-boui
Guerre de pouvoir entre mandarins, rancœurs contre des politiques pour des postes convoités non obtenus… Le beau monde médical ressemble à l’arrière-cour d’un boui-boui. « Depuis trente ans, on subit les politiques de fermeture de lits. Jusqu’à présent, ça n’avait pas ému les grands professeurs de médecine. Pis, si aujourd’hui on manque de médecins en formation, c’est à cause d’eux ! Quand les budgets rétrécissent, ceux qui veulent continuer à dévorer le gâteau préfèrent être le moins nombreux possible autour de la table », explique, écœuré, le Dr Christophe Prudhomme.


Bilan du régime sec depuis des décennies ? Fermeture d’hôpi­taux de proximité, fermeture de 100 000 lits, hémorragie de personnel… En France, entre 120 000 et 150 000 infirmières diplômées n’exercent plus leur métier. Une bonne nouvelle dans ce marasme : les 10 000 lits de réanimation promis-juré-craché par Macron. Provisoires ou pérennes, ces lits ? Connaissant le zozo, tout porte à croire qu’il s’agit plutôt de passer la crise sans remettre en cause l’austérité.

Sauf que, mi-mars, la Cour des comptes a publié un rapport pointant le manque flagrant de lits de réanimation en France, de personnel dans les unités de soins critiques. « La Cour des comptes, c’est pas Mme Plus, grince l’urgentiste. Mais voilà qu’elle se met à parler comme la CGT. Les 10 000 lits promis doivent être pérennes, parce que l’hiver prochain on en aura ­encore besoin. Si Emmanuel Macron pense pouvoir les fermer sans faire de vagues, il se trompe. Pour tout vous dire, il est mort… politiquement, j’entends. »

Source: Charlie Hebdo 7 avril 2021

https://charliehebdo.fr/2021/04/societe/directeurs-dhopitaux-le-serment-dhypocrites/

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