Valérie Toranian. La justice se paye Sarkozy

L’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, lors de la commémoration des 75 ans de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, le 8 mai 2020 à Paris.
Photo Romain GAILLARD/Pool/ABACAPRESS.COM.

C’est la revanche des petits pois. Nicolas Sarkozy, qui a toujours entretenu des rapports particulièrement houleux avec les juges, avait qualifié en 2007 les magistrats du siège d’élites issues du même moule, de « petits pois », tous de même calibre et sans saveur. Les juges en étaient verts d’indignation. Ils étaient moins bégueules lorsqu’il s’agissait d’afficher leurs bêtes noires sur le mur du local du Syndicat de la magistrature (Sarkozy en faisait partie) : on se souvient du fameux « mur des cons », pêle-mêle photographique de personnalités révélant la dérive militante de magistrats de gauche censés rendre une justice sereine et impartiale.

Les petits pois ont rendu leur jugement dans l’Affaire Bismuth et la sauce du Tribunal correctionnel de Paris est particulièrement salée. Trois ans de prison dont deux avec sursis pour l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et le magistrat Gilbert Azibert, tous trois jugés coupables de corruption et de trafic d’influence. Les prévenus ont fait appel du jugement. Mais c’est un coup de tonnerre. Non seulement dans la vie politique française puisqu’un ancien président de la République est condamné à de la prison ferme. Mais plus grave, c’est une décision de justice incompréhensible qui s’appuie sur un dossier plus que fragile. S’agissait-il de rendre justice ou de se payer Sarkozy ? Si l’entreprise consistait à déboulonner l’ancien président, c’est une faillite morale de la justice et particulièrement du Parquet national financier.

« Le Parquet national financier semble avoir perdu toute retenue. Il met sur écoute au hasard, lance ses filets, en priant pour qu’une conversation puisse valider sa thèse de “pacte de corruption”. »

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », écrivait La Fontaine dans « Les Animaux malades de la peste ». Selon la sensibilité politique de votre juge, les jugements de cour vous seront bienveillants ou sévères, pourrait-on écrire dans une version réactualisée de la célèbre morale. Nicolas Sarkozy doit être traité comme tout justiciable, cela va de soi. Mais l’a-t-il été ?

Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert étaient poursuivis pour avoir eu « l’intention » de commettre des faits de corruption qui ne se sont pas matérialisés. Gilbert Azibert n’a jamais pu connaître par avance et encore moins orienter les décisions de la Cour de cassation dans une procédure concernant Sarkozy dans l’affaire Bettencourt (il voulait récupérer les agendas présidentiels) : la décision lui a même été défavorable. Pas de poste honorifique à Monaco non plus pour le magistrat supposé corrompu. Mais en droit pénal, l’intention de commettre le délit suffit à le caractériser. Encore faut-il avoir des preuves d’un pacte de corruption pensé et élaboré par les trois prévenus. Or, des preuves, le Parquet national financier n’en a pas. Et sans preuves, les délits de trafic d’influence et de corruption s’effondrent. Voilà pourquoi pendant des années, de façon secrète, le Parquet national financier va déployer des moyens gigantesques pour tenter de confondre l’ex-chef d’État. En multipliant les écoutes, les auditions. Avec des méthodes frôlant l’illégalité. Sans informer la défense des procédures en cours.

Créé en 2013 par Christiane Taubira, sous la présidence de François Hollande, suite à l’affaire Cahuzac, le Parquet national financier semble avoir perdu toute retenue. Il met sur écoute au hasard, lance ses filets, en priant pour qu’une conversation puisse valider sa thèse de « pacte de corruption ». Il se procure les factures de téléphone détaillées (fadettes) des cabinets d’avocats Dupond-Moretti, Temime, Lussan, Canu-Bernard, Haïk ou encore Veil Jourde. Il géolocalise les portables de certains d’entre eux pour identifier une supposée « taupe » qui aurait renseigné Sarkozy. Une atteinte sidérante aux droits de la défense. « Pour moi, il s’agit clairement d’une dérive, même si la démarche n’est pas illégale. Éplucher les relevés téléphoniques d’un avocat ou d’un magistrat, je ne l’aurais jamais fait. On peut l’envisager si l’intéressé est impliqué dans la procédure, mais, pour cela, il faut des éléments de preuve », rappelle le Juge Van Ruymbeke, dans les colonnes du Point.

« On a jugé Nicolas Sarkozy non pas comme un prévenu classique mais comme un ancien président clivant, haï par certains, adulés par d’autres et dont certains pensent qu’il pourrait « sauver » la droite de la débâcle pour la prochaine élection présidentielle. »

Au bout de six ans, cette enquête préliminaire sur les écoutes est close. Elle n’a rien donné malgré tous les efforts déployés. Mais c’est sur la base de ces écoutes que le procureur va requérir de la prison ferme contre Nicolas Sarkozy et les deux autres prévenus. Comment expliquer de telles incohérences ? Comment expliquer que la Cour de cassation, en rupture avec sa propre jurisprudence, ait rendu le 22 mars 2016 un arrêt pour valider les écoutes entre avocat et client ? Et pourquoi, trois mois plus tard, rend-elle un autre arrêt dans une autre affaire invalidant cette fois-ci des écoutes entre avocat et client ? La justice semble changer sa lecture du droit lorsqu’il s’agit de Nicolas Sarkozy…

Certes la tâche de la présidente Mée, magistrate réputée et respectée, n’était pas aisée. Si elle relaxait les prévenus sur la base d’un dossier trop fragile, on aurait accusé la justice d’être laxiste avec les puissants. Mais en se rangeant (par solidarité corporatiste ?) à l’avis du Parquet national financier, elle n’a pas rendu service à la justice. On a jugé Nicolas Sarkozy non pas comme un prévenu classique mais comme un ancien président clivant, haï par certains, adulés par d’autres et dont certains pensent qu’il pourrait « sauver » la droite de la débâcle pour la prochaine élection présidentielle.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Nicolas Sarkozy a droit à une justice équitable. Et ce jugement, comme les méthodes du Parquet national financier, donnent vraiment l’impression que la justice marche sur la tête.


© Valérie Toranian

Source: La Revue des deux Mondes 1er Mars 2021

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