Charles Rojzman. A propos du Rwanda et de la violence collective

Depuis quelques années, je forme à la Thérapie Sociale des personnalités de la société civile rwandaise ainsi que des animateurs  de processus de réconciliation qui font se rencontrer des personnes accusées de génocide et sorties de prison  et des rescapés contraints désormais de vivre ensemble.

Loin de trouver insignifiante la question des responsabilités des acteurs et des spectateurs du drame de 1994, je voudrais plutôt m’interroger sur les causes profondes de ces violences collectives qui , aujourd’hui encore, déciment cette région des Grands Lacs africains (plusieurs  millions de morts en 20 ans),  et sont à l’oeuvre dans d’autres contrées.

Les violences collectives se préparent longtemps à l’avance, avant de se déchaîner par l’effet d’un changement de régime politique.  La période d’incubation peut durer plusieurs décennies : un climat de méfiance entre communautés, des haines accumulées, des populations qui se côtoient sans s’estimer et se respecter, tout cela peut constituer un potentiel explosif  de violence.

Les apparences peuvent tromper :  Sarajevo et Beyrouth furent des villes autrefois célébrées comme des modèles de cohabitation interculturelle. Les juifs ont vécu pendant plusieurs siècles plus ou moins paisiblement au sein du monde arabe, en Irak, au Yemen et en Afrique du Nord. Hutus et Tutsis ont pu longtemps vivre ensemble, unis par des liens de famille, de commerce  et d’amitié.

Une détérioration de la situation économique, des changements sociaux trop rapides, une désorganisation politique, un manque de confiance entre le peuple et ses dirigeants, tous ces facteurs créent autant de besoins accrus d’identité, de lien social, de narcissisation individuelle et collective.

L’absence de satisfaction de ces besoins a pour conséquence la recherche forcenée d’une identité de groupe, fût-elle fabriquée artificiellement, et la création de boucs émissaires qui  permettent de donner une cause simple au malheur des individus.

Des révoltes peuvent survenir alors, légitimées par le refus d’un pouvoir tyrannique ou incapable, la peur parfois  d’ennemis réels ou imaginaires. A ces révoltes populaires succèdent souvent des révolutions conservatrices et rétrogrades, comme ce fut le cas dans de nombreux « printemps arabes » et dans le passé européen, avec la montée des fascismes.

Loin d’aboutir à un développement de la conscience individuelle et de l’esprit critique, de telles révolutions manifestent à la fois un rejet rebelle de l’autorité et une soumission aveugle à des leaders charismatiques qui entrainent les populations dans des impasses très destructives.

La haine est le résultat d’un sentiment de victimisation et d’une revanche contre une humiliation parfois réellement vécue. Le risque est grand de voir apparaître des théories complotistes qui visent à donner une explication sécurisante aux malheurs du monde dans une époque de chaos et d’incertitude. C’est aussi le moment de la résurgence des communautarismes ; le retour de la religion dans ses formes les plus fanatiques et superstitieuses et des rêves millénaristes d’un monde meilleur et purifié.

Dans tout mouvement de masse qui prétend être révolutionnaire, il existe des éléments positifs qui reflètent la réalité et des éléments négatifs d’ordre pathologique. Les personnes saines d’esprit qui ont réellement une aspiration à une vie démocratique, qui souhaitent la création d’espaces de liberté et de créativité et sont soucieux d’une société plus juste et plus égalitaire,  subissent une intoxication collective de la part de révolutionnaires professionnels ou d’idéologues  religieux qui transposent leur vision folle et manichéenne du monde et de la société  dans une recherche hallucinée  de pouvoir et de domination.

Gardons-nous d’expliquer tous les printemps des peuples, toutes les révoltes populaires, toutes les indignations avec une grille de lecture exclusivement idéologique et trop déconnectée des réalités émotionnelles  qui affectent les peuples et leurs dirigeants.

L’exemple du Rwanda nous invite à prévenir dans la mesure du possible ces violences collectives en comprenant  les mécanismes permanents qui peuvent conduire aux pires massacres quand les circonstances requises sont réunies.

© Charles Rojzman

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