Jean-Marie Bénard. Le monde de Claude Sautet a disparu

Peu désireux d’attraper la Covid-19, je reste cloîtré chez moi. À longueur de journée je regarde films et séries. À force de “binge-watcher” les séries (notre nouveau mode de consommation frénétique des images et des sons), je me suis retrouvé amené à regarder les films sur un rythme comparable.

En ce moment, je suis immergé dans un marathon Claude Sautet. Je regarde deux films par jour, depuis quatre jours.
Si, comme moi, vous aimez les films de Claude Sautet, vous savez que beaucoup de séquences – souvent les plus importantes – se déroulent dans les bistrots. Les bistrots, vous savez, ces lieux où les gens se réunissaient, buvaient des coups ensemble, s’embrassaient, rigolaient, se congratulaient avec force claques dans le dos, et parfois s’engueulaient violemment, voire se giflaient. Ou se foutaient carrément des coups de poings dans la gueule.

N’ayant pas, comme tous mes concitoyens, mis les pieds dans un bistrot depuis bientôt un an, je regarde les films de Claude Sautet avec sidération. Le monde qu’ils racontent m’est devenu aussi étranger que celui des Sentinelles, cette tribu qui vit sur une île de l’archipel indien d’Andaman-et-Nicobar et refuse tout contact avec le monde extérieur. Ces embrassades, ces ruptures, ces trahisons, ces réconciliations, cette vie grouillante dans laquelle tous se débattent, nos héros mais aussi tous ceux qui traversent l’écran, au premier comme à l’arrière-plan, tout cela a acquis, en onze mois, un caractère d’exotisme et d’étrangeté totalement inattendu – et inquiétant.

Le plus inquiétant, d’ailleurs, ce n’est pas que ce monde ait disparu, c’est qu’il pourrait bien ne jamais réapparaître. L’isolation à laquelle nous avons été forcés de nous soumettre a probablement radicalement transformé notre rapport au monde, et je ne sais pas combien de dizaines d’années il faudra, dans le meilleur des cas, pour que les humains se retrouvent autour d’un verre à se taper sur le ventre pour une bonne histoire juive ou une engueulade à caractère politique.

Oui, le monde de Claude Sautet a disparu. Et c’est bien embêtant, parce que ce monde-là, c’est la vie.

© Jean-Marie Bénard

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