Antoine Desjardins. La concierge outragée. Apologue

François Chauveau, illustrateur des Fables de La Fontaine (1613-1676)

Ne cachez pas ce sein que je saurai voir/Théâtre de l’offense et du blasphème/Pulsion scopique/

Beaucoup de gens qui se disent offensés par ceci ou cela et notamment quelque blasphème ou quelque outrage,  sont allés avec délice à la rencontre et à la recherche, active, de l’objet de leur tourment.

Ils auraient pu détourner la tête, ne pas ouvrir un journal, ne pas l’acheter, bref ne pas se précipiter avec gourmandise dans le lieu de leur cauchemar.

Chaque chose a son lieu, dont il est loisible de s’écarter.

J’ai ouï parler d’une vieille bigote en son immeuble, qui pour pouvoir être choquée avec délice et tout à loisir par la vision de voisins se livrant à des turpitudes, montait à quatre pattes sur une commode, creusait son dos arthritique comme fait un chat qui va bondir, penchait la tête jusqu’au torticolis et, à certaines heures par elle soigneusement déterminées, pouvait assister, (en jetant son regard par un angle de fenêtre que nul n’eût pu atteindre en arpentant normalement le salon de son appartement) à un spectacle obscène qui la jetait hors d’elle et la mettait en fureur.

Comme elle avait porté plainte, la police vint. Elle expliqua aux agents incrédules la gymnastique invraisemblable à quoi il fallait se livrer pour assister aux ébats impudiques que, disait-elle, on lui infligeait…

Le préjudice moral que lui faisait subir des voisins pervers s’exhibant était, selon elle, avéré.

Les policiers rirent et s’en allèrent, après avoir fait mine de prendre la plainte de cette vieille folle.

Personne ne lui dit jamais que la perversité était de son fait et qu’elle avait, à son insu (la pauvre n’avait pas de psychanalyste) transformé l’offense en secrète jouissance, au fond ardemment recherchée.

Cette fiction pour faire comprendre que celui qui ne veut pas être offensé a presque toujours les moyens de ne pas l’être, dans un pays de libertés, et que celui qui pousse des cris d’orfraie est plus souvent qu’on ne pense tout à la volupté de son horreur.

© Antoine Desjardins

Antoine Desjardins est professeur de Lettres, coauteur du livre Sauver les lettres: des professeurs accusent (éd. Textuel), membre du Comité Les Orwelliens. 

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