Gérard Biard. Les offensés ont bon dos

Chassez le spirituel, il revient au galop sur son cheval ailé. Il y a quelques semaines, alors que s’ouvrait à Paris le procès des attentats de janvier 2015, Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), avait surpris tout le monde en défendant la liberté d’expression et en appelant les musulmans à « ignorer » les caricatures du Prophète. Ce n’était qu’un moment d’égarement. La semaine dernière, interrogé sur l’antenne de France Info le lendemain de l’hommage à Samuel Paty, il est revenu aux fondamentaux : « Les initiatives visant à diffuser lesdites caricatures dans les établissements de l’enseignement pour promouvoir la liberté d’expression doivent être encadrées […]. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution pour expliquer aux enfants la liberté d’expression. Je ne le souhaite pas. » Curieusement, le journaliste chargé de l’interview n’a pas enchaîné par la seule question qu’appelle cette déclaration : de quoi je me mêle ? Les programmes scolaires et les outils pédagogiques sont l’affaire de l’Éducation nationale et de ses fonctionnaires, pas des responsables des cultes.

Confronté aux critiques pour cette sortie qui se torche allègrement avec le principe de laïcité de l’enseignement public, le président du CFCM a concédé « une maladresse ». Non. Il n’a pas été maladroit, il a dit précisément le fond de sa pensée. Sa seule bourde est d’avoir dévoilé ouvertement, et pas franchement au moment adéquat, l’objectif politique qu’il développe en tant que chef religieux : exercer un contrôle sur les citoyens. Or l’éducation est l’un des outils privilégiés pour exercer ce contrôle. C’est une vieille et sale manie théocratique, à laquelle la République a déjà eu à se frotter. L’Église catholique a mis beaucoup de temps à digérer d’avoir été privée de son monopole sur l’enseignement. Certains de ses membres ne l’ont d’ailleurs toujours pas digéré.

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Difficile de ne pas voir un combat commun entre cette énième tentative – il y en aura d’autres, n’en doutons pas – de gagner du terrain dans le champ politique et les éructations du Pacha d’Istanbul et de sa clique de fins lettrés. Les moyens et les mots employés ne sont pas les mêmes. Mohammed Moussaoui condamne le terrorisme, Erdogan l’excite à pleins poumons. L’un est un responsable religieux respectable qui exerce sa charge dans une démocratie, l’autre est un tyran mégalomaniaque qui s’est toqué de la dangereuse lubie de rebâtir un empire. Beaucoup de choses les séparent. Mais politiquement, ils sont du même bord.

Qui peut encore oser avancer que tout cela ne relève pas exclusivement du domaine de l’idéologie théocratique ?
Car qui peut encore oser avancer que tout cela ne relève pas exclusivement du domaine de l’idéologie théocratique ? Qu’il ne s’agit que de damnés de la terre tentant d’échapper au joug de l’Occident colonialiste, bombardés dans leurs pays, discriminés, rejetés et « offensés » par l’Europe ? Quel pays européen bombarde aujourd’hui la Turquie, le Pakistan, le Bangladesh, l’Iran et tous ces pays bien peu démocratiques qui se sont soudain autoproclamés défenseurs des faibles et des opprimés hors de leurs frontières ? Qui peut sérieusement croire que ces dictateurs et ces militaires aux mains pleines de sang, qui bâillonnent, emprisonnent et écrasent leurs propres peuples, se soucient un seul instant des inégalités et des injustices dont souffrent à Paris, à Londres ou à Berlin certaines populations ? La religion qu’ils prétendent protéger n’est que l’instrument qui leur sert à régner. Ce n’est pas la foi des musulmans qu’ils défendent, mais leur assujettissement absolu. Car c’est sur cet assujettissement que repose leur pouvoir.

Ce n’est pas une affaire d’offensés, mais d’offensive. Pas celle de pauvres contre les riches, de faibles contre les puissants. Celle menée depuis plusieurs décennies par des idéologues fanatiques et des régimes totalitaires contre la démocratie et ses valeurs.

Source: Charlie Hebdo. 4 novembre 2020

Gérard Biard est le rédacteur en chef de Charlie Hebdo

Gérard Biard

Source: Charlie Hebdo. 4 novembre 2020

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