Karin Albou. Procès Charlie, Montrouge et Hyper Casher: la “taqiya” partout?

Ali Riza Polat, « bras droit » d’Amedy Coulibaly selon les enquêteurs

Depuis le 02 Septembre, a lieu à Paris le procès des attentats de Janvier 2015 qui ont endeuillé la France. Quatorze personnes sont accusées d’avoir apporté leur soutien logistique aux trois tueurs des attentats : Les frères Kouachi pour la fusillade de Charlie Hebdo et Amédy Coulibaly pour la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Les trois tueurs ayant été éliminés par les forces de police, certains disent déjà que l’on va juger les « petites mains » et ce procès doit aussi mesurer le degré d’implication et d’intentionnalité des quatorze accusés.

Jour après jour, depuis le début du procès, tous les proches des frères Kouachi et de Amédy Coulibaly qui viennent témoigner à la barre (cités en tant que témoins et non accusés) disent tous à peu près la même chose : qu’ils n’ont rien vu venir et sont étonnés que leurs proches aient commis de tels actes « monstrueux, immondes, inhumains », les adjectifs fusent mais se ressemblent pour exprimer leur condamnation des attentats.

La première question qu’on se pose d’emblée est : Sont-ils dans le déni ou le mensonge ? Si les assassins sont réellement des proches, comment n’ont-ils pas pu voir la radicalité de leur pratique religieuse ? Selon ses proches, Amédy Coulibaly était un gentil nounours surnommé Dolly et personne n’imaginait  qu’il puisse commettre du jour au lendemain de tels crimes. L’un de ses amis confie le 08 Octobre qu’ils rigolaient beaucoup ensemble, qu’il était très drôle et ne parlait pas de politique … 

De son côté, lors de son audition le 25 Septembre, Issana Hamyd, l’épouse de Chérif Kouachi, décrit son mari comme un homme « chaleureux, très famille » qui  « était sensible aux caricatures mais n’a jamais proféré de menaces. ». Autre invraisemblance : Selon les témoins, ni Coulibay ni les frères Kouachi ne parlaient des Juifs, d’Israël ou de la Palestine.

 la Taqiya, cette pratique de précaution

On pourrait croire que Issana Hamyd, comme tous les autres proches des trois terroristes, est dans le déni – après tout cela doit être terrifiant, une fois le déballage idéologique dépassé,  de réaliser qu’on est l’épouse d’un assassin. Mais on pourrait aussi avancer l’hypothèse que ces témoins sont dans la négation assumée de détails qui pourraient les trahir. Plus exactement  qu’ils se soumettent à ce qu’on appelle en arabe  la Taqiya, une pratique de précaution.

La Taqiya  est avant tout un principe ésotérique présent dans le Chiisme, lié à la non divulgation de secrets relatifs à l’imamat. C’est un principe initiatique qui crée une distinction entre initiés et non initiés. Dans les textes sacrés on peut lire : « Notre cause est le secret dans le secret, le secret de quelque chose qui reste voilé que seul un autre secret peut enseigner. C’est un secret sur un secret  qui est voilé par un secret. » ou encore dans un Poème du VI imam (Jafar As-Sadiq) :  « De ma connaissance je cache les joyaux de peur qu’un ignorant voyant la vérité ne nous écrase. »  La taqiya selon l’islamologue Henri Corbin est « l’éthos du Chiisme, de sa conscience d’être un ésotérisme de l’Islam. »

D’un point de vue historique elle a été aussi utilisée par la minorité chiite : lorsqu’un Chiite évolue dans un monde sunnite hostile et qu’il y aurait danger à révéler sa foi chiite, le principe de Taqiya permet de dissimuler sa vraie foi et par là de rester en vie.

Plus tard elle est aussi employée dans l’Espagne de la Reconquête lorsque les Musulmans convertis au Catholicisme, (les morisques) pratiquaient en secret l’Islam. Ce qui est l’équivalent de ce que faisaient les Conversos juifs dits Marranes qui gardaient leur foi juive secrète.

Pour ne pas risquer d’être assassiné et pour préserver sa Foi il est donc  possible, voire recommandé, de s’adonner à la Taqiya « par précaution » et de faire semblant de vivre comme un chrétien : manger du porc, boire du vin, aller à l’église.

De la taqiya à … la dissimulation

Il est regrettable que ce principe de précaution qui a eu une fonction ésotérique puis historique, ait été détourné par les Islamistes dans les années 90 et que désormais il définisse la dissimulation dans un monde non musulman : Se fondre dans la population, simuler l’intégration, en vue non pas d’une protection mais d’une conquête. Et que de précaution il y ait un glissement sémantique  qui fait qu’on traduit désormais la taqiya par dissimulation. Par conséquent, grâce à ce principe, les adeptes n’auraient pas l’impression de mentir (même devant une Cour de Justice) mais juste de se protéger. C’est le contraire de la position de martyr car le martyr, loin de protéger sa vie, la détruit ( et celle des autres par la même occasion) au nom d’une cause religieuse qu’il énonce, ce qui est de l’ordre de la transparence absolue, le contraire donc de la dissimulation.

La taqiya d’Izzana Hamyd?

Quand on regarde de plus près le témoignage de Izzana Hamyd, l’épouse de Chérif Kouachi, il semble que maintes contradictions émaillent son discours et font pencher, malgré l’apparence de douceur et de soumission naïve de cette femme, pour une pratique de la taqiya. Elle déclare par exemple n’avoir plus été en contact avec Hayat Boumédienne (l’épouse de Coulibaly) en 2014 sauf lorsque le couple revenu du pèlerinage est passé « par hasard » chez eux pour leur remettre des cadeaux. Or l’étude de sa téléphonie révèle au procès qu’elles se téléphonaient régulièrement. Elle dit aussi dans une première déposition ne pas connaître Coulibaly mais l’a reconnu ensuite sur une vidéo de surveillance en compagnie de son mari …

Izzana Hamyd, la veuve de Cherif Kouachi

Lorsque le Président Régis de Jorna lui rappelle, pour l’inciter à dire la vérité, qu’elle n’est pas là en tant qu’accusée mais en tant que témoin, Izzana Hamyd  ne démord pas de sa version des faits : elle n’a rien vu venir. Lorsque Chérif, décide de partir une semaine « en voyage » suite à une dispute du couple et que,  refoulé de Tunisie, il choisit de partir en Turquie, (étape connue pour la Syrie), elle explique simplement « qu’il voulait changer d’air ». Le fait qu’il prolonge son « voyage spécial » (pour reprendre l’expression de Maître Coutant-Peyre) ne l’alerte pas davantage. Chérif Kouachi ne mangeait pas depuis plusieurs jours mais selon elle ce n’était pas un jeûne de préparation au martyr. L’idée ne lui est même pas venue à l’esprit. Le matin de l’attentat il lui a dit qu’il partait faire les soldes avec son frère et elle s’est rendue compte qu’il lui avait menti seulement lorsqu’elle a vu la photo de son mari associé aux attentats, et « sur la photo où il sort de Charlie Hebdo je ne l’ai pas reconnu » dit-elle, « Ce n’est pas le Chérif que je connaissais ». Elle affirme qu’ils pratiquaient un islam rigoriste et non radical, qu’elle n’avait pas remarqué la radicalisation de son mari bien que, comme lui fit remarquer une avocate des parties civiles, ils vivaient dans un vingt mètres carrés et qu’elle devait forcément entendre les conversations téléphoniques qu’avait son mari. Enfin il faut noter qu’elle commence son témoignage par « Je fais confiance  à Chérif » une déclaration au présent et non au passé, – erreur grammaticale inconsciente ou codée ?- pour expliquer son aveuglement de l’époque.

Celle de Christophe Raumel

Un autre exemple de possible pratique de taqiya : l’accusé Christophe Raumel se présente à l’enquêteur comme étant un musulman modéré. Or, les enquêteurs ont dû certainement remarquer qu’il porte sur le front la  tabaâ  ( le « tampon » en traduction littérale), cette petite marque sur le front que portent  les hommes pieux et particulièrement les Islamistes. C’est une marque dont ils sont fiers car elle est la preuve sur leur peau de l’assiduité de leur pratique. En effet la peau de l’homme qui prie, en contact fréquent avec le tapis de prière, fabrique, à force de se prosterner, une couche de corne. En Algérie c’était un signe qui distinguait les Islamistes.

Christophe Raumel, l’accusé qui ne se posait pas de questions

Parfois une étincelle de vérité

Parfois une étincelle de vérité surgit au détour d’un lapsus ou d’un silence embarrassant. Lorsque le Président demande à ces témoins et accusés comment ils ont vécu les trois jours d’attentats et ce qu’ils s’en sont dit, ils sont soudain frappés d’une curieuse amnésie : « C’était y a trop longtemps. Je me rappelle plus M’sieur ». Aucun des accusés et témoins ne peut raconter comment il a vécu ces attentats qui ont bouleversé la France, les paroles et impressions échangées avec des proches dont chacun de nous se souvient en détail.  L’un d’eux  raconte qu’il était en voiture avec l’un des accusés pour aller à des fiançailles lorsqu’ils ont  soudain appris la prise d’otages à l’Hyper cacher. Ils ont vu à ce moment la photo de leur ami Amédy  et n’en croyaient pas leurs yeux tant cela leur a semblé invraisemblable. Le Président insiste, demande s’ils en ont parlé entre eux dans la voiture, ce qu’ils s’en sont dit,  ainsi que de ce qui s’était passé deux jours avant, c’est à dire des attentats de Charlie et de Montrouge. Ce témoin répond simplement qu’ils ont  continué leur route jusqu’au mariage : « On était dans une ambiance festive».

Si tous ces hommes et femmes, qu’ils soient témoins ou accusés, pratiquent une taqyya, cela signifierait, bien qu’ils affirment  être modérés ou avoir changé – Izzana Hamyd déclare pratiquer un Islam rigoriste et non radical –   qu’ils se sentent inscrits dans un territoire ennemi dans lequel ils doivent se protéger et utiliser ce principe de précaution – cette fameuse Taqyya.

Le kidnapping djihadiste d’un principe ésotérique chiite dessert tous les musulmans

Ce qui est grave c’est que, phagocytée ainsi par les islamistes, ce principe de taqyya dessert en premier lieu les musulmans et alimente les phantasmes islamophobes. En effet n’importe quel citoyen lambda risquera désormais de se méfier d’un musulman non radical et même non pratiquant, en se disant qu’il pourrait dissimuler ses véritables intentions, minorer sa foi et sa pratique, s’adonner au double langage etc … 

Et ce kidnapping djihadiste d’un principe ésotérique chiite fait finalement le jeu du Rassemblement National.

La Taqiya, ce principe qui semble se répandre comme une tâche d’huile

Mais le plus surprenant fut aussi de constater que ce principe de Taqiya semble se répandre comme une tâche d’huile et atteigne même des milieux non-musulmans. Ou plutôt qu’il existe une autre forme de taqiya, insoupçonnée,  grossière, pratiquée à la fois par Monsieur Claude Hermant, armurier lillois condamné pour trafic d’armes. Et par les gendarmes qui étaient ses officiers traitants car l’armurier-trafiquant servait aussi d’indicateur à la gendarmerie lilloise  … Cité comme témoin à la demande de la Défense, Hermant a vendu les armes qui ont servi à Amédy Coulibaly à l’Hyper cacher et à Montrouge, mais il affirme que ce n’est pas lui qui les a remilitarisées.

Claude Hermant, trafiquant d’armes

Lorsque un avocat de la partie civile, Maître Axel Metzker, lui demande quelles sont ses opinions politiques, s’il a bien fait partie du service d’ordre du Front National, celui-ci répond sans se démonter que ce sont des rumeurs et qu’il est de gauche. Quelques heures plus tard, un responsable des Renseignements généraux confirme que Hermant – qui avec son crâne rasé et son treillis a davantage l’allure d’un barbouze que d’un agent secret socialiste- est bien d’extrême droite et dirigeait de surcroît la Maison flamande.

Quant aux deux gendarmes, officiers traitants de Hermant, à l’image floutée et aux propos vagues, ils ont réussi l’exploit de ne rien dire lorsqu’on les questionna sur leur manque de réaction quand Hermant les avertit que des armes remilitarisées provenant d’une société slovaque (AFG), circulaient dans les quartiers. Eux aussi semblaient pratiquer la dissimulation, ne disaient pas la moitié de ce qu’ils savaient sur cette affaire d’armes de guerre remilitarisées.

Lorsque Maître Lévy leur demande pourquoi ils n’ont pas enquêté sur cette société AFG, ils répondent qu’elle avait « pignon sur net » et vendait des armes neutralisées et qu’il aurait fallu ouvrir une enquête.

Pourquoi n’ont-ils pas ouvert cette enquête lorsque leur indicateur Hermant ( dont le rôle est de les informer) leur a fourni l’information que les armes provenant de AFG étaient remilitarisées : « On n’était pas sûr que ce soit une piste » fut leur semblant de réponse.

Il semble que toute vérité s’enlise derrière ce principe de taqiya

Arrivé à ce point de dissimulation générale, de mensonge assumé, il semble que tout se brouille, que les mots des accusés n’ont pas plus de poids que ceux des policiers, que les mots des épouses des tueurs pas davantage de sincérité que ceux de l’armurier-trafiquant, et que toute vérité s’enlise derrière ce principe de taqiya  – principe créé au départ pour préserver au contraire la vérité d’une Foi et d’une révélation.

Quel est ce monde dans lequel nous vivons où les êtres ne se tiennent plus derrière leurs mots, où l’on peut dire qu’on est de gauche quand on est d’extrême droite, où l’on se permet de dire qu’on est musulman modéré quand on est fondamentaliste ? Quel est ce monde où les mots n’ont plus de poids et de valeur ? Ce monde où les gens n’ont même plus le courage d’affirmer leurs opinions et leurs pratiques ?

Quel est ce monde où ceux qui ont eu le courage de leurs opinions et n’ont jamais changé de cap ont été assassinés tandis que restent ceux qui pinaillent sur la différence entre un islam rigoriste et radical, et se protègent derrière leurs mensonges ou omissions ? Quel est ce monde où chacun dissimule ses vraies pensées et convictions ? Où les mots n’ont plus de poids et de légitimité et où chacun avance masqué -et cela avant le Covid 19 …

Et est-ce  le discours du Président Macron du vendredi 02 Octobre sur le séparatisme qui va bouleverser cet ordre de choses : Certes  le mot islamiste a été rajouté à celui de séparatisme qui n’était pas tout à fait approprié et on parle désormais de « séparatisme islamiste », mais est-ce que cela va changer quelque chose au fait que les mots ont perdu de leur poids ?

© Karin Albou

Karin Albou

Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France, ” La petite Jérusalem“, qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé “Le chant des mariées” qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie. 

Karin Albou travaille avec l’Agence Adéquat.

                                                                                                                

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