Richard Rossin. Une spoliation française, le tombeau des rois

Des sites archéologiques et historiques au Moyen-Orient, ce n’est pas ce qui manque. L’Histoire paraît y naître. Au XIXème siècle les puissances européennes se sont ruées sur tout ce qui ne bougeait pas, sur tout objet antique. Question de prestige, de compétitions entre grandes Nations alors que l’empire ottoman était sur son déclin ; l’innovation scientifique et technique est alors exclusivement occidentale.

A Jérusalem, la France possède quatre sites historiques d’importance, trois proviennent d’un patrimoine chrétien, la France en a délégué la gestion à des autorités chrétiennes ; pour les visiter, il suffit de se présenter et de s’acquitter d’une entrée. Quant au dit Tombeau des Rois où est enterrée une reine kurde et juive, Hélène d’Adiabène, il reste sous la discrétion exclusive  du Consulat Général de France à Jérusalem. Lequel consulat n’est pas rattaché à l’ambassade à Tel Aviv et le Quai d’Orsay le considère comme une ambassade auprès des Territoires palestiniens.  Pourtant ce consulat est dans la Jérusalem occidentale dont la France ne met pas en doute la souveraineté israélienne à moins que….

Pour visiter l’extérieur  du site funéraire (la catacombe est cadenassée sous un plancher métallique à claire-voie) , il faut réserver au consulat, s’inscrire et payer. la chose est possible seulement deux demi-journées par semaine.

Il faut bien reconnaître que les peuples Juif et Kurde sont ceux que la France a le mieux trahis.

Le Tombeau des rois et Hélène d’Adiabène

La reine Hélène était arrivée en juive d’Adiabène à Jérusalem vers l’an 40. Incroyable philanthrope, elle sème la générosité dans tout le pays sous tutelle romaine. Elle connait bien le jeu romain, armes et diplomatie du plus fort et du plus retors, dans toute la région moyen-orientale. Elle est généreuse aussi avec le Temple et surtout elle nourrit la population entière de Jérusalem pendant une famine[1], allant jusqu’à armer des bateaux pour Chypre et l’Egypte afin d’approvisionner la ville. Après la mort d’Hélène qui ne survit guère au décès de son fils cadet, le roi Izates II, son fils aîné Monbaze II qui succède à Izates organise le transfert des dépouilles de sa mère et son frère vers le mausolée à Jérusalem.

Le Tombeau des rois est connu depuis sa réalisation : Flavius Joseph, contemporain de sa construction, le décrit avec ses trois pyramides aujourd’hui disparues et raconte la vie pieuse et incroyablement philanthropique de la reine kurde convertie (comme ses deux fils  qui règneront en Adiabene[2] après la disparition de leur père). Le géographe Pausanias (115-180)[3] s’extasie sur la pierre cylindrique roulante qui le clôt, pourtant une habitude funéraire judaïque de l’époque, elle est décrite aussi dans les Evangiles pour le tombeau de Jésus…

C’est un lieu de pèlerinage juif ancien : deux autres grands philanthropes y reposeraient aussi. “Y auraient aussi reposé”, car de dépouilles il n’y en a plus : Félicien de Saulcy est passé par là.

De Saulcy et les fouilles

 Effectivement, en 1851, arrive Félicien de Saulcy, polytechnicien, artilleur et archéologue amateur comme l’étaient à l’époque tous les archéologues. Un guide local lui fit visiter le site que tout le monde connaissait et lui glissa que des rois de Judée y reposeraient… Chateaubriand, qui avait visité ce site en 1806, ne s’en était pas laissé conté par son guide (peut-être le père de celui de de Saulcy ?): il avait relu Flavius Joseph et Pausanas et compris qu’il s’agissait de la célèbre sépulture de la reine Hélène. A l’inverse, le nouvel archéologue adhère aux assertions de son guide et s’enflamme: Il vient de découvrir un site connu de tous, rêve que ce soit celui de rois juifs de la Bible, qu’il va se faire une magnifique renommée. Rapportant des esquisses des frises du monument, il est la risée de l’Académie : elles sont de style gréco-romain, soit dix  siècles plus tardives…

Qu’importe ! Il se refuse à voir s’effondrer son rêve glorieux, revient à Jérusalem en 1863 et fait comme ses contemporains : commence à piller. Les Ottomans pouvaient-ils refuser quoi que ce soit à ceux qui leur avaient sauvé la mise lors de la guerre de Crimée ? Une guerre pourtant due à un différend franco-russe sur l’entretien des Lieux Saints chrétiens à Bethlehem et Jérusalem.

Les fouilles commencent. La communauté juive hiérosolymitaine  (les Juifs sont plus nombreux à Jérusalem que la somme des Chrétiens et des Musulmans selon le recensement ottoman de 1844 mais vivaient encore sous le statut très précaire de la dhimmitude) s’inquiète. De Saulcy sort un sarcophage dont il recouvre d’argile l’inscription hébraïque[4] Tsada Malkhat mais la ruse est découverte. Il réussit pourtant à emporter le sarcophage qui rejoint le Louvre par chameaux, bateau et diligence. Romanesque, l’époque est folle d’Orient.

L’acquisition de Berthe Amélie Bertrand

La communauté juive locale, scandalisée par la profanation, en appelle aux grands philanthropes (Montéfiore et Crémieux  qui avaient lutté contre le pogrome de Damas de 1840 attisé par le consul de France Ratti Menton) et aussi au Grand Rabbin de France qui trouve une acquéreuse pour le site, Berthe Amélie Levy Bertrand, épouse de l’archéologue et fondateur du musée de Saint Germain en Laye, Alexandre Bertrand.

Avec bien des difficultés, elle acquiert le site pour 30.000 francs, par l’intermédiaire de Salvator Patronimio, consul de France à Jérusalem, et en fait don à la communauté juive via le Consistoire Central Israélite de France représenté par le grand rabbin Lazare Isidor, celui qui, avec Adolphe Crémieux pour avocat, avait été, en 1846, artisan de l’abolition du serment More Judaïco, dernière mesure judiciaire vexatoire à l’encontre des Juifs de France. Dans sa donation Madame Bertrand précise qu’avec cette acquisition, elle n’a d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument… C’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le Tombeau des rois…

Curieusement, monsieur Patronimio ne fait pas le transfert de nom, ce dont finira par s’étonner Henry Pereire, petit-cousin de madame Bertrand et fils du banquier Emile Pereire, dans une lettre consultable aux Archives consulaires à Nantes : nous apprenons ce que j’avais toujours ignoré, à savoir que les achats de terrain ont été faits au nom personnel de Monsieur Patronimio, sans aucune intervention de celui de Madame Alexandre Bertrand… Du coup Patronimio est propriétaire officiel du patrimoine en question.

Le roman policier

L’époque était au colonialisme, certes, mais on entre dans un roman policier.

Plaque apposée à la demande de Henry Pereire

Henry Pereire donc s’étonne. Veut-il corriger l’iniquité qu’il vient de découvrir ? Toujours est-il qu’il déclare en janvier 1885 que son père et son oncle avaient acquis le site en 1878 mais son père était décédé en 1875…. On ne retrouve d’ailleurs aucune trace de cette transaction alléguée que des banquiers financiers auprès de l’empire ottoman auraient pu réaliser aisément. C’est leur cousine qui avait, avec les difficultés évoquées, acheté ce terrain.

L’époque était au colonialisme et aux affaires… Henry, Vice-Président de la Compagnie de Chemins de fer du Midi, offre à la France le 20 janvier 1885 ce terrain qui ne lui appartient pas (un testament est allégué mais jamais vu) . Le récipiendaire au nom de la France de ce curieux don « de deuxième main » est Freycinet, ancien ministre des Travaux publics, ancien Président du Conseil, ancien et futur ministre des Affaires étrangères, qui avait aussi été Chef d’exploitation de la Compagnie des Chemins de fer du Midi…

L’acte de donation (qui ne porte aucune signature…) précise que le monument fut acquis par les deniers de Messieurs Emile et Isaac Pereire (sic) et dont tous les titres sont au nom de Monsieur Patronimio, ancien consul de France à Jérusalem, lequel, pour des raisons tirées de la loi ottomane, a bien fait acquisition, ainsi qu’il en a fait la déclaration formelle (art. 1) et ajoute, à l’article 2, que le gouvernement français s’engage de son côté à n’apporter dans l’avenir aucun changement à la destination actuelle de ce monument… L’article 3 précise l’inscription à sceller à perpétuité[5] sur le site : Monument acquis en l’année 1878 par Emile et Isaac Pereire pour le conserver à la science, à la vénération des fidèles enfants d’Israël….

Depuis, la République, récipiendaire à ces conditions mais peu regardante, gère l’endroit seule. Au début les Juifs pouvaient le visiter, y prier et y pèleriner, moyennant autorisations et finances.

En 1948, Israël perd la vieille Jérusalem lors de la guerre d’indépendance, les Juifs en sont expulsés par la Transjordanie. La France ne s’en inquiète pas.

En 1967, Israël reprend les lieux et la France s’en inquiète rapidement. L’accès au Tombeau des rois est à nouveau possible puis de plus en plus difficile.

C’est probablement en vertu des conditions de la donation qu’à partir de 1997, le consul de France Stanislas de Laboulaye[6] prête le site funéraire à une association culturelle palestinienne, Yabous[7], pour un festival de musique profane arabe qui a lieu tous les mois de juillet pendant dix jours jusqu’en 2009. Quoi de mieux, en effet, qu’un concert palestino-français pour protéger un saint sépulcre juif de toute profanation ?

Entrée du monument funéraire

Evidemment cela fait scandale et le site est fermé en 2010 en alléguant des travaux. Dix ans de travaux pour seulement 1,1 million d’euros… Normal, aucun roi français n’est enterré ici, bien que nombre d’entre eux vinrent piller le pays au nom du christianisme lors des Croisades et que les dirigeants du Royaume Franc de Jérusalem fussent tous français.

Aujourd’hui

A la réouverture rien n’a changé, l’aspect de l’endroit n’a pas vraiment changé, les sites français chrétiens restent gérés par des congrégations chrétiennes et le Tombeau des Rois directement par le consulat : horaires d’ouvertures étriqués, achat des entrées amphigouriques, maigre documentation seulement en français et en arabe sur le site internet du consulat. Tout est fait pour que l’accès soit le plus difficile possible. L’avis de réouverture annonçant Tombeau des sultans plutôt que Tombeau des rois en dit long sur la pensée autant que sur l’inculture affichée : la traduction de roi en arabe n’est pas sultan d’une part, et d’autre part la datation de ce tombeau précède de onze siècles la nomination du premier sultan[8]

Si, par hasard, vous discutez de la propriété française des lieux qui en tout état de cause n’est pas une souveraineté, on vous renvoie au Traité de Constantinople (accord de Mytilène de 1901 et 1913). Mais il ne s’agit là que d’accords fiscaux exemptant de taxes les innombrables institutions catholiques réputées françaises dans l’empire ottoman…

A l’inverse, des groupes juifs qui veulent le retour des sarcophages à Jérusalem et la restitution à la communauté juive de l’acquisition détournée de Berthe Bertrand pourraient invoquer le rapport Savoy-Sarr de 2018 demandé par le président Macron un an plus tôt à Ougadougou. Ce rapport propose  la restitution solennelle de quelques pièces hautement symboliques (p 54), ce à quoi le Président s’était engagé. Pour contourner l’article L. 451-5 alinéa 1 du code français du patrimoine, il faut passer par une procédure de déclassement ou des lois spécifiques (comme pour la restitution des têtes maories à la Nouvelle Zélande en 2010) sortant les « œuvres » du domaine public dans lequel elles sont juridiquement inaliénables.

Probable que cela va inspirer quelques députés pour le sarcophage d’Hélène qui est au Louvre et pour le site capté. On ne comprendrait pas qu’une restitution honorable soit possible pour les uns et pas pour les autres.

Pour suivre ce dossier nous avons créé avec Haïm Berkovits, Yaël Escojido et Maryline Médioni une page Facebook  Redonner vie au Tombeau des rois  à laquelle s’abonner donne force pour ce combat de la connaissance et de la reconnaissance.

Richard Rossin. Ancien vice-président de l’Académie européenne de géopolitique. Ancien secrétaire général de MSF. Cofondateur de MdM.


[1] Actes (chap 11, 27-28) ; Flavius Joseph (antiquités 20 ; il précise que son fils Izatès aussi apporta de l’aide) Suétone (chap 18 de la vie de Claude) et Tacite (Annales chap 11/4)

[2] Le Kurdistan aujourd’hui

[3] Pausanias, Sur la Grèce VIII, 16, 4.

[4] De Saulcy, souvenirs d’un voyage en Terre Sainte.

[5] Une plaque jumelle est apposée dans les locaux du Consistoire Central de France à Paris.

[6][6] Promotion Voltaire à l’ENA et ami de D. de Villepin.

[7] Prétendu nom de la cité jébuséenne un kilomètre plus au sud.

[8] Titre de souverain musulman donné à partir des Seldjoukides (XIe siècle) par le calife à ceux auxquels il déléguait le pouvoir effectif.

Merci à Haïm Berkovits pour les photographies.

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5 Comments

  1. Absurde de parler de Kurdistan au 1er siècle de notre ère! C’est un anachronisme d’un millénaire… L’Adiabène était alors une région dominée par les Parthes, donc les Persans. Et c’est bien pour se libérer de cette emprise et de la menace romaine que la reine Hélène, son mari et son fils se sont convertis au judaïsme.
    Le piquant de l’affaire est que le royaume juif d’Adiabène est resté indépendant presque un siècle après la chute du royaume juif en terre d’Israël.

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