Marc Knobel. Ouverture en Allemagne du procès de la haine antisémite

Le visage impassible Stephan Balliet n’a à nouveau exprimé aucun remords concernant son attaque le 9 Octobre 2019 de la synagogue de Halle en plein Yom Kippour

Alors que s’est ouvert mardi au tribunal régional de Magdebourg le procès de la haine antisémite, entendez celui de l’attaque de la synagogue de Halle, en Saxe-Anhalt, qui fit deux morts le 9 octobre 2019, alors que l’antisémitisme du quotidien se densifie en Allemagne et que Stephan Balliet, 28 ans, doit répondre de deux meurtres et de 68 tentatives de meurtre et encourt la prison à vie avec une période de sûreté de 15 ans et que le tribunal a programmé 18 jours d’audience pour un procès fleuve qui devrait durer jusqu’à la mi-octobre, notre ami Marc Knobel, historien, nous rappelle la Tribune qu’il publia à l’occasion dans Le Monde du 11 octobre 2019, intitulée “L’Allemagne renoue-t-elle avec ses vieux démons, extrémisme et antisémitisme ?”

Pas une journée sans que des agressions antisémites aient lieu, en Europe ou aux Etats Unis. Mais quand celles-ci se déroulent en Allemagne, la charge symbolique, comme nous le rappelle l’attentat de Halle, est particulièrement forte, analyse l’historien Marc Knobel.

L’auteur présumé de l’attaque contre une synagogue et un restaurant turc de Halle avoua vite la motivation antisémite de son acte. Source: Parquet général de Karlsruhe.

“Nous vivons une époque particulièrement troublée. La résurgence de l’antisémitisme dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis surprend encore, interpelle souvent, secoue, déstabilise et effraie. Il ne se passe pas une journée sans que nous n’apprenions que des agressions ont eu lieu, que des gens sont insultés et/ou menacés. Mais, cette résurgence porte une charge symbolique extrêmement forte, lorsqu’il est question de l’Allemagne.

L’antisémitisme est un sujet hautement sensible pour des raisons qui sont à la fois historiques, sociétales et psychologiques. L’attentat qui a été perpétré à Halle, rappelle l’éminence du danger puisque le terroriste voulait « commettre un massacre » à l’intérieur de la synagogue. Il en fut empêché par une simple porte qui résista à son assaut. Par contre, il n’y avait aucun policier en faction. Ce qui, en période de fêtes religieuses, est extrêmement préoccupant.

Il faut admettre d’abord que l’antisémitisme, depuis le début des années 2000, n’est pas une nouveauté, dans ce pays. Remontons brièvement le temps. Joschka Fischer, ministre fédéral des Affaires étrangères, avait publié un texte dans une revue (la « FAZ »), le 11 mai 2002. Dans cet article, le ministre stigmatisait l’antisémitisme qui sévissait alors. Il se disait également préoccupé par la véhémence des attaques qui sont adressées à l’encontre d’Israël. Et comme dans un avertissement solennel, Joschka Fischerproclamait que « ce n’est pas en faisant jouer, sans l’avouer, le mécanisme consistant à reporter la culpabilité sur la politique menée par Israël dans le conflit du Proche-Orient que l’Allemagne pourra se dégager de sa responsabilité envers son histoire. Toute tentative dans ce sens déboucherait sur un désastre. La seule réponse que l’on puisse apporter face à notre histoire doit être positive et doit s’articuler autour de l’existence d’une communauté juive croissante en Allemagne, composée d’hommes et de femmes juifs pouvant vivre ici dans la liberté et dans la sécurité en tant que citoyens à part entière de notre République ». Le ministre posait enfin la question de la crédibilité de la démocratie allemande lorsqu’elle est confrontée à ses vieux démons : « C’est pourquoi chaque cas d’antisémitisme menace non seulement les Juifs en Allemagne mais aussi notre société et notre démocratie dans leur ensemble. »

Mais voilà, les choses se sont terriblement aggravées depuis.

Selon les chiffres du gouvernement allemand, quatre actes antisémites par jour ont été recensés en moyenne en 2017. La majorité de ces actes (soit 1 377 sur 1 452) ont été commis par des sympathisants d’extrême droite. En 2018, 1 799 actes antisémites ont été comptabilisés, soit une hausse de 9,4 % par rapport à 2017. Les violences antisémites sont passées de 37 à 62, selon les données de la police allemande transmises à la demande du groupe parlementaire de la gauche radicale Die Linke. Il s’agit du plus haut niveau de crimes et délits antisémites atteint en près de dix ans.

La scène néonazie

Les choses fluctuent et le danger se fait de plus en plus oppressant à cet égard. Les néonazis allemands ont plusieurs cibles, les réfugiés, immigrés, responsables politiques, juifs. Il faut rappeler, par exemple, que le 2 juin 2019, un préfet, membre de la CDU, a été assassiné devant son domicile, parce qu’il défendait la politique d’accueil des réfugiés. Imagine-t-on en France le traumatisme que causerait un tel assassinat ?

Justement, un procès sous haute surveillance s’est ouvert fin septembre  2019 contre un groupuscule néonazi de Chemnitz soupçonné d’avoir voulu perpétrer des attentats en Allemagne. Huit hommes répondent devant le tribunal de Dresde, de l’accusation « de formation d’un groupe terroriste d’extrême droite », selon le parquet fédéral de Karlsruhe, en charge des affaires de terrorisme. L’accusation prévoit d’appeler pas moins de 75 témoins à la barre pour un procès qui doit durer jusqu’en avril 2020. Les membres de ce groupe projetaient de perpétrer « des attaques violentes et des attentats armés » contre des étrangers, et des personnes de différentes obédiences politiques. Ils voulaient frapper Berlin le 3 octobre, jour férié qui célèbre la Réunification allemande, selon le parquet qui ne donne pas plus de détails.

Une autre formation, le « Groupe Freital », un groupuscule néonazi de Saxe, était lui passé à l’acte en 2015, quand des centaines de milliers de réfugiés avaient afflué en Allemagne. Leurs huit membres ont été jugés début août 2018 par le même tribunal de Dresde et condamnés à des peines allant de 4 à 10 ans de prison ferme pour cinq attentats à l’explosif contre des foyers, qui avaient fait un blessé, et contre des militants de gauche.

Les groupuscules néonazis ne cachent pas leur intention, notamment les sympathisants du parti néonazi NPD. Et, c’est surtout dans l’est de l’Allemagne que s’intensifient l’antisémitisme et le racisme, portaient « naturellement » par les néonazis. Alors que les scores réalisés par le NPD dans l’ouest sont insignifiants, le NPD réalise 6 à 7 %, quelquefois plus, dans l’est. L’antisémitisme se double d’un discours profondément anticapitaliste, hostile également aux immigrés. Que dire également du fait que, depuis quelques années, les discours plus ou moins ouvertement antisémites (et racistes) de partis politiques tels que l’AfD (Alternative für Deutschland) entretiennent un sentiment d’impunité ?

Bref, les Juifs sont une cible et les sympathisants échangent sur les applications (comme WhatsApp) des images, textes, symboles haineux glorifiant le IIIe Reich, selon une récente enquête du site d’information BuzzFeed News. L’antisémitisme sur Internet se développe fortement, le négationnisme y est très présent.

L’antisémitisme s’invite également dans les stades. Le 8 mars 2019, par exemple, des insultes antisémites ont été proférées sur Twitter à l’encontre d’un joueur de foot israélien, Almog Cohen, à l’occasion d’une rencontre à Berlin du championnat allemand de deuxième division. Dans le même week-end, à Chemnitz, dans l’est du pays, un hommage a été rendu dans le stade local à un hooligan néonazi décédé. Plus près de nous, des insultes antisémites ont été proférées contre un arbitre israélien. Il ne se passe pas une semaine, sans que dans les stades, des hooligans ne fassent le salut nazi et profèrent des insultes racistes ou antisémites. Pis, les militants néonazis jouent à cache-cache avec la police. Dans son édition du 18 août 2019, « l’Est républicain » révélait que « des centaines de néonazis allemands jouant à cache-cache avec leur police (8 605 délits en six mois attribués à l’extrême droite), se réunissent plusieurs fois par an en Lorraine. Ces groupuscules discrets organisent concerts et réunions sportives camouflant des appels à se battre au nom de la “race blanche” ».

A cet égard, on peut formuler une hypothèse. Les profanations de tombes israélites en Alsace, les dégradations diverses contre des permanences électorales, les inscriptions racistes et antisémites, tout cela augmente considérablement. Or, la porosité est très grande entre ces mouvements néonazis et les skins, d’un côté et de l’autre de la frontière. Les militants et sympathisants échangent des informations et préparent sûrement les mauvais coups. Il est probable que des sympathisants néonazis allemands participent à ces profanations.

A ce phénomène s’ajoute la visibilité croissante d’un antisémitisme lié au conflit israélo-palestinien

Car, il est un autre danger, lorsque l’on parle d’antisémitisme, plus précisément. Il faut compter également sur les tensions provoquées par certains des réfugiés arabo-musulmans arrivés récemment dans le pays. Il faut rappeler à cet égard qu’entre 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli plus d’un million de migrants en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak. « Beaucoup de ceux qui sont venus chez nous se sont vus inoculer très jeunes des clichés antisémites », avait noté à ce sujet Heiko Maas, le ministre fédéral allemand des Affaires étrangères, lors de l’inauguration d’un réseau européen de lutte contre l’antisémitisme.

Le 13 avril 2019, Angela Merkel avait dénoncé à la télévision israélienne l’émergence d’une « autre forme d’antisémitisme »parmi des réfugiés d’origine arabe dans le pays. Ces propos avaient été tenus alors qu’une attaque antisémite avait lieu à Berlin. Un jeune homme portant une kippa avait été agressé et frappé à coups de ceinture en pleine rue par un groupe de jeunes. Selon le quotidien « Bild », l’agresseur présumé principal, qui s’est livré à la police, est un réfugié syrien ayant vécu dans un centre pour migrants près de Berlin. Angela Merkel avait alors nommé un commissaire chargé de lutter contre l’antisémitisme.Quelques jours plus tard, le 25 avril 2018, des milliers d’Allemands portant la kippa participaient à des rassemblements organisés dans toute l’Allemagne en soutien à la communauté juive, dans ce contexte de montée de l’antisémitisme, en partageant l’autocollant : « Ich Bin Jude ». En août 2018, le quotidien « Stuttgarter Nachrichten » s’était ému du témoignage d’un habitant de Karlsruhe, avouant sa peur de traverser la ville avec sa kippa. Dans son édition du 27 mai, « Bild » avait proposé une kippa à découper afin de combattre l’antisémitisme :quelques jours plus tôt, le commissaire du gouvernement allemand chargé de l’antisémitisme, Felix Klein, mettait en garde contre le port de la kippa en Allemagne. Une proposition qui avait suscité la polémique dans un pays où, selon diverses études universitaires, entre 15 et 20 % des Allemands développeraient des positions antisémites.

Avec la guerre à Gaza en 2014, des rassemblements propalestiniens ont été organisés dans toute l’Allemagne, dans lesquels des slogans comme « Juifs à la chambre à gaz » ont été entendus à plusieurs reprises. En décembre 2017, un bon millier de manifestants ont protesté devant l’ambassade des Etats-Unis contre la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël. Des drapeaux israéliens ont alors été brûlés aux cris de « Mort à Israël » ou « Israël, assassin d’enfants », « Mort aux Juifs », et la police a procédé à une dizaine d’interpellations. Un nouveau défilé avait rassemblé cette fois 2 500 personnes dans le quartier multiculturel de Neukölln. De nouveau, les manifestants avaient mis le feu à un drapeau israélien et scandé des slogans antisémites. Depuis, les manifestations violentes sont organisées un peu partout.

Le quotidien suisse « le Temps »du 12 décembre 2017 explique que ces manifestations sont le fait d’un mélange improbable, rassemblant des éléments allemands du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), des sympathisants du Hamas et de la milice libanaise Hezbollah, des soutiens du parti AKP du président turc Erdogan et du Fatah palestinien.

Une nécessaire vigilance

« Malheureusement, il n’y a pas une seule synagogue, pas une seule garderie pour les enfants juifs, pas une seule école pour les enfants juifs, qui n’a pas besoin d’être surveillée par la police allemande », avait indiqué Angela Merkel, la chancelière. « Nous devons dire à nos jeunes ce que l’histoire nous a apporté, à nous et aux autres, et pourquoi nous sommes pour la démocratie… pourquoi nous luttons contre l’intolérance », avait précisé Merkel. Et depuis des années, les déclarations se succèdent les unes après les autres, le ton est solennel et il est grave. Mais, cela suffira-t-il à endiguer cette recrudescence alarmante de l’antisémitisme, dans un pays qui, il y a soixante-dix ans, a organisé et planifié l’extermination des Juifs ?

L’antisémitisme qui se développe en Allemagne est extrêmement préoccupant. Il est tout aussi préoccupant en France, en Angleterre, en Argentine ou aux Etats-Unis. Cette lame de fond odieuse recycle les classiques de l’antisémitisme, réactualise les mythes fondateurs de l’antisémitisme, joue activement sur les préjugés habituels, se nourrit du conflit israélo-palestinien et, tel un cancer, bouffe nos démocraties.

Marc Knobel est historien et directeur des études du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Il est notamment l’auteur en 2013 de « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013 » (Editions Berg International).

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