Marc Rameaux et Sébastien Laye. «L’indépendance d’une nation exige sa liberté économique» (1/3)

Ouvrir les frontière pour bénéficier des meilleurs taux de productivité n’est pas nécessairement être libéral, clament Marc Rameaux et Sébastien Laye, qui entendent démontrer que le libéralisme économique et l’ouverture commerciale n’empêchent pas le protectionnisme.

Des conteneurs d’expédition empilés.
Marc Rameaux est professionnel des nouvelles technologies et économiste
Sébastien Laye est entrepreneur et Président du Parti Quatre Piliers

Dans cette série découpée en trois articles, à paraître chaque vendredi, nous montrerons le rôle complémentaire et indissoluble de la liberté et de la souveraineté dans l’édification de sociétés apaisées. Cette alliance est l’antidote idéal aux élucubrations de la pensée progressiste libertaire.

En France, si vous souhaitez vous faire haïr d’un maximum de personnes en une seule phrase, il existe un moyen infaillible: dites que vous êtes libéral. Le libéralisme est devenu le repoussoir favori, la cause à mettre en avant pour justifier de tous nos malheurs et de toutes nos fautes.

La paupérisation des classes moyennes? Le libéralisme. La révolte de gilets jaunes? Le libéralisme. La destruction du système de santé et de l’hôpital public? Encore le libéralisme. La médiocrité culturelle et l’abaissement intellectuel du pays dans des codes culturels vulgaires? Le libéralisme voyons! La crise du Covid-19? Le libéralisme vous dis-je! La doctrine héritière de John Locke, d’Adam Smith et d’Alexis de Tocqueville semble avoir avantageusement remplacé le poumon chez les Diafoirus modernes.

Ajoutez les préfixes «néo» ou «turbo», afin de former les termes de «néo-libéralisme» et «turbo-libéralisme», et vous achèverez de prononcer une condamnation mélodramatique envers le mal absolu.

En France, cette accusation perpétuelle bénéficie d’une large unanimité politique. Si les partis se revendiquant de l’héritage marxiste sont dans une opposition cohérente, la très grande majorité de la droite, de la plus modérée à la plus radicale, se rejoint dans la condamnation du libéralisme, à quelques exceptions près.

La droite républicaine, dans ses principales composantes, continue de défendre un capitalisme d’État dont nous avons le secret, un colbertisme plus ou moins dirigiste, animé par le ballet des hauts fonctionnaires naviguant entre direction des grands groupes privés et postes clés au sein de l’administration. La pensée libérale refuse trop souvent de rentrer dans l’arène politique, répondant par un splendide mépris à ses accusateurs.

C’est finalement le centre gauche et le centre droit qui en apparence, se réclament le plus de l’héritage libéral. En réalité, ils défendent une «pensée» politique bien différente, que l’on peut nommer «progressisme». Nous verrons en quoi celui-ci est un poison mortel pour la tradition libérale, bien plus dangereux que ses opposants marxistes, précisément parce qu’il prétend reprendre l’héritage libéral: il lui donne de cette façon, le baiser de la mort.

Lorsqu’une quasi-unanimité se forme contre un coupable, soit celui-ci est le diable en personne, soit il cristallise les critiques pour de toutes autres raisons, qui renvoient aux responsabilités de ses accusateurs. Dans tous les cas, un tel accord est riche d’enseignements.

Précisons un point à l’attention des libéraux: la question de savoir si ces accusations sont justes ou bien fondées est d’une importance secondaire. Nous ne nous plaçons pas sur le terrain de déterminer le juste et le vrai mais dans celui de la tactique politique. Les accusations portées contre le libéralisme peuvent être intégralement mensongères, nous cherchons avant tout à en démonter les ressorts psychologiques afin de comprendre pourquoi ils fonctionnent aussi bien.

La pensée libérale refuse trop souvent de rentrer dans l’arène politique, répondant par un splendide mépris à ses accusateurs. Elle s’attache à l’une des plus belles et des plus fausses idées qui soient: si une pensée est juste, elle finira par s’imposer d’elle-même. Toute personne d’expérience qui a pratiqué les jeux politiques sait à quel point cette croyance est fausse.

Le libéralisme responsable de la mondialisation?

Le premier reproche fait au libéralisme est d’être «responsable de la mondialisation». La mondialisation désigne un phénomène datant de 50 ans, au cours duquel les échanges commerciaux sont devenus de plus en plus internationaux. La compétitivité par les coûts de production est devenue le principal critère du choix d’un partenaire, partout dans le monde.

Les progrès considérables des moyens de transport (air, mer, rail, grands axes routiers), de la logistique, puis quelques décennies plus tard des échanges digitaux dématérialisés rendaient profitable de vendre des oranges ou des tomates produites à 10.000 kms de distance, de sous-traiter nombre de produits ménagers de consommation courante à des usines délocalisées, d’offrir des services par internet proposés par des équipes situées partout dans le monde.

L’explosion de l’e-commerce fut bien évidemment le vecteur d’accélération le plus puissant de la mondialisation, porté par des géants américains et maintenant chinois. Au sein de l’Union européenne, le recours à des travailleurs détachés faisait partie de ce mouvement d’ensemble.

Les nuisances engendrées par la mondialisation sont connues:

– Concurrence uniquement sur les prix et les coûts de production, favorisant le dumping commercial, le court-termisme au détriment de la qualité, le nivellement du niveau de vie par le bas: l’ouvrier français est forcé d’aligner sa qualité de vie sur celle de l’ouvrier chinois, c’est-à-dire une quasi-précarité permanente.

– Primauté des intérêts commerciaux et financiers sur les intérêts civiques et politiques de chaque pays. Dans «The work of nations», Robert Reich décrit ce problème par une anecdote: dans les années 1950, on posa au PDG de General Motors la question: «Si vous deviez choisir entre une décision qui est bonne pour General Motors mais mauvaise pour les USA ou bonne pour les USA mais mauvaise pour General Motors, que feriez-vous?». En 1950, il était possible de faire la réponse que fit le PDG: «La question ne se pose pas, car tout ce qui est bon pour General Motors est nécessairement bon pour les USA». Tout le problème reprend Reich est que 40 années plus tard, ce qui est bon pour General Motors ne l’est plus nécessairement pour les USA.

– Problématiques écologiques et sanitaires: l’actualité du Covid-19 l’a fait évidemment saillir de façon marquante. Bien avant la crise virale, il a été remarqué que faire venir des fruits et légumes d’un autre continent quand la production située dans les régions locales aurait suffi, commençait à heurter le bon sens. Malgré un prix de revient total inférieur pour l’importation lointaine, le bilan en termes d’impact écologique pouvait être questionné. La traçabilité sanitaire et la probabilité accrue de crise virale par des échanges internationaux sont venues renforcer l’argument.

Le libéralisme est mis en accusation, car il implique une libre circulation commerciale des biens et des personnes, une diminution voire une suppression des droits de douane de telle sorte que le marché des biens proposés devienne de plus en plus large. La mondialisation demande toujours plus de dérégulation, afin de ne pas fausser les mécanismes de marché devant agir de façon «pure». Les traités de libre-échange sont présentés comme la mise en application des principes libéraux, avec tous les effets secondaires négatifs qui précèdent.

Contre-argument

La «Mondialisation» est-elle libérale? Elle est incontestablement appliquée en vertu de principes qui se réclament du libéralisme. Mais qu’applique-t-elle exactement?

L’internationalisation des échanges se justifie selon un principe économique bien connu: les avantages comparatifs de David Ricardo. Tout étudiant en économie le sait: Ricardo montre que l’on a intérêt à ouvrir les frontières de façon à bénéficier des meilleurs taux de productivité de chaque pays pour chaque produit donné. L’Angleterre produisait du textile et le Portugal du vin avec un meilleur taux de productivité comparativement à l’autre pays. L’Angleterre et le Portugal ont tous les deux intérêt à ouvrir une voie d’échanges commerciaux sur ces deux produits, où chacun alimentera l’autre sur son point fort, son avantage comparatif.

Le raisonnement de Ricardo est d’autant plus implacable qu’il est mathématique: le marché élargi aux échanges entre plusieurs pays bénéficie à tous les consommateurs finaux, qui obtiennent les meilleurs prix possibles pour chaque bien. Les défenseurs de la mondialisation mettent en exergue ce bénéfice de prix réduits pour tous, ainsi que l’accroissement des niveaux de vie dans les régions les plus déshéritées du monde. Le pouvoir d’achat de l’ouvrier ou du paysan chinois ou indien a augmenté considérablement grâce à la mondialisation. Celle-ci est censée, pour cette raison, être un facteur de paix et de stabilité géopolitique.

Et pourtant…, personne ne remarque un point clé du raisonnement de Ricardo. Dans tous exposé économique, la théorie des avantages comparatifs est présentée comme une ode à l’ouverture illimitée des frontières, à la mondialisation des échanges, à la suppression de toute régulation tarifaire afin de faire agir les mécanismes de marché sans perturbation.

Ce n’est qu’en partie vrai. Il s’agit de la moitié du message de Ricardo. Par une étrange hémiplégie, l’autre enseignement des avantages comparatifs est peu ou pas du tout perçu.

Le mécanisme de Ricardo ne fonctionne que si chaque pays possède des points forts, une productivité ou une meilleure qualité sur lesquels il se démarque des autres. Le courant des échanges internationaux se justifie parce qu’il existe un différentiel entre les pays, sur chaque bien, tout comme une pile électrique génère du courant parce qu’une différence de potentiel existe entre ses deux pôles.

Chaque pays doit se différencier des autres sur des savoirs et des savoir-faire spécifiques. Il y a un intérêt à échanger les biens produits de la façon la plus fluide possible. Mais chaque pays doit au contraire préserver ses savoirs et savoir-faire s’il veut faire valoir ses avantages comparatifs. Si tout le monde était au courant en permanence des procédés de fabrication de tout le monde, il en résulterait un nivellement général ne profitant plus à personne.

Aussi, toutes les économies performantes appliquent les deux facettes de Ricardo. Elles observent un libre échange complet sur les biens de consommation. Mais elles sont très protectionnistes sur leurs savoirs et savoir-faire stratégiques. Les USA sont l’un des pays les plus protectionnistes au monde concernant ses savoirs-faire clés, et ceci date de bien avant Donald Trump. Il en est de même de la Chine, depuis que celle-ci conquiert un rôle de leader dans des secteurs à forte valeur ajoutée, et plus seulement d’imitateur.

Le débat entre protectionnisme et libre-échange est, pour cette raison, un faux clivage. Un protectionnisme étroit, fondé sur des barrières douanières ou une réglementation rigide, aboutira bien sûr à l’échec: le pays qui les mettrait en place verrait aussitôt capitaux et flux commerciaux le fuir. En revanche, dès qu’il ne s’agit plus de biens de consommation mais de savoirs à haute valeur ajoutée ou de services portés par une tradition locale importante, il est au contraire très néfaste de s’ouvrir à tous vents.

Ce phénomène fut bien mis en lumière par Joseph Schumpeter, qui exposa le caractère paradoxal de la concurrence. Lorsqu’un entrepreneur trouve un nouveau procédé technique ou un nouveau circuit commercial, la mise en concurrence permet que son avantage ne dégénère pas en abus de position dominante. En revanche, si tous les acteurs se trouvent en concurrence immédiatement et en temps réel, l’entrepreneur ne peut faire valoir son avantage: il est aussitôt copié. Une telle économie favorise davantage les copieurs et imitateurs que les entrepreneurs.

La découverte de l’entrepreneur doit être soustraite pendant une période à une concurrence symétrique: il possède un privilège d’information. Seulement après en avoir récolté les fruits, son initiative peut être placée en régime de concurrence généralisée.

La «mondialisation» applique le schéma simpliste de la «concurrence pure et parfaite». Elle est sous-tendue par un modèle applicable seulement aux biens de consommation et selon un schéma digne des cours élémentaires d’économie, montrant pourquoi une concurrence fluide permet le meilleur ajustement des prix. L’économie réelle est très loin de ces modèles: dès lors que l’on ne parle plus de pommes ou de boulons, les asymétries d’information abondent et sont indispensables, car elles sont la rétribution de l’esprit d’initiative et d’innovation: la conquête industrielle est indissociable de la propriété intellectuelle.

La «mondialisation» croit en une vision lénifiante d’échanges fluides et pacifiés, à des schémas gagnant – gagnant sur un fond douçâtre d’entente parfaite entre les hommes. Or l’économie demeure une guerre, faite d’informations cachées et de pièges.

Les seules entités géopolitiques à appliquer la mondialisation sont l’Union européenne, par conviction idéologique, et les pays en voie de développement, par la contrainte de traités qu’ils subissent et qui les placent en position de sujétion. Les économies fortes ont bien compris que le jeu réel de l’économie est autrement plus complexe et féroce: il est une course permanente à l’innovation et à la maîtrise de savoirs-faire rares. À partir de 1998, le développement spectaculaire de la Corée du Sud n’a eu lieu que lorsque les Coréens comprirent que les recettes du FMI les enferraient dans une spirale d’austérité et de décroissance, qu’ils congédièrent les experts du Fonds et s’attachèrent à retrouver autonomie et indépendance de leur industrie.

La Mondialisation est beaucoup moins un phénomène économique inéluctable qu’une idéologie alimentée par des théories simplistes. L’internationalisation des échanges est en trompe-l’œil: elle se déroule selon deux modes: ceux qui croient en la mondialisation et en sont spoliés, ceux qui appliquent les véritables lois de l’économie – semblables à celle de la guerre – qui n’en sont pas moins internationaux mais qui en tirent bénéfice.

Aussi faut-il toujours savoir de quelle mondialisation parle-t-on. S’il s’agit de cette rêverie sirupeuse, déclinant à l’infini le principe d’ajustement des prix par la libéralisation des échanges, elle empêche l’entrepreneur de se différencier et de faire valoir ses points forts. C’est celle qui est appliquée par l’Union européenne et principalement par la Commission. Elle a l’avantage de s’abstenir de toute réflexion de fond et de multiplier mécaniquement les traités de libre-échange, sur le fond sonore des violons du faux humanisme.

S’il s’agit de la mise en valeur de l’esprit d’entreprise, permettant à celui qui se distingue de ne pas être absorbé dans la mélasse des traités et de protéger ce qui le différencie positivement, le temps d’en toucher une juste rémunération, alors l’internationalisation n’est plus un nivellement par le bas mais un affrontement positif des excellences: la paix ne se décrète pas, elle résulte de l’équilibre entre des guerriers dont on n’a pas cherché à abaisser les points forts.

Il faut en résumé:

– Éviter le simplisme: les notions économiques, telles que la mise en concurrence, sont paradoxales et ne peuvent s’aborder par un principe univoque.

– Revenir aux qualités de l’entrepreneur comme socle véritable du libéralisme. L’économie s’apprend sur le terrain, dans le monde de l’entreprise. Les tenants de la mondialisation simpliste ne sont pas des hommes d’entreprise: ils sont économistes théoriciens restés à l’université ou bureaucrates d’une quelconque institution. Ils n’ont pas ou peu mis les pieds dans le monde de l’entreprise, les «parachutages» sans avoir fait ses armes n’étant évidemment pas légitimes pour revendiquer une expérience.

– La notion primordiale en économie est la différenciation: savoir comment se démarquer des autres. Ce n’est ni la concurrence, ni l’équilibre, ni une quelconque autre notion théorique. Comme l’avait remarqué Schumpeter, c’est un facteur extra-économique, tenant à la fois aux qualités psychologiques, humaines et à l’univers intérieur de l’entrepreneur qui met l’économie en branle. Le jeu de la concurrence n’intervient qu’après, comme mise à l’épreuve de cette tentative de se différencier. Et la concurrence n’est pas une notion univoque: concurrence sur les prix et sur la qualité sont en tension contradictoire, la concurrence en temps réel et en «information parfaite» détruit la valeur au lieu de la diffuser dans l’économie.

Les libéraux ont intérêt à se désolidariser de la mondialisation et indiquer qu’elle n’est qu’une déformation simpliste de leurs principes, au point qu’elle devient la négation du libéralisme, favorisant le conformisme et empêchant l’entrepreneur de faire valoir ses atouts.

La Commission européenne est devenue la pire ennemie qui soit de l’esprit d’entreprise. Le jeu du marché et les qualités de l’entrepreneur n’ont nul besoin d’être encadrés et forcés par des bataillons pléthoriques de bureaucrates surpayés et incompétents. Lorsqu’un véritable capitaine d’industrie tel que Carlos Tavares rentre en conflit avec la Commission, l’imposture que représente cette dernière est révélée au grand jour .

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