« Docteur, puis-je me rendre au mikvé pendant le confinement ? » Docteur Alain Toledano et Docteur Bruno Halioua

Docteurs Bruno Halioua et Alain Toledano

Pendant cette période trouble du COVID19, voici l’une des questions fréquentes que les médecins juifs s’entendent poser par certaines patientes coreligionnaires. Il est inutile de rappeler que les médecins ne sont pas représentants de l’autorité religieuse. Le positionnement du grand rabbin de France Haim Korsia a été clair, et restera la référence en la matière. Il a demandé la fermeture des mikvés de France dès le mois de mars. Ce message doit être entendu. Notre responsabilité médicale, ainsi que notre identité juive et notre devoir civique nous imposent une réflexion collective.

Avant de réfléchir au problème environnemental engendré par le COVID19 et avant de rappeler les règles engendrées par cette pandémie, nous souhaitons  rappeler les lois de la niddah, le sens du mikvé et les règles de l’immersion dans le mikvé après la niddah.  Nous discuterons ensuite l’immersion dans le mikvé et son caractère obligatoire dans le judaïsme. Enfin nous évoquerons quelques réflexions engendrées par cette question du mikvé et du confinement, chez les médecins juifs de France.

Que savez vous des lois de la niddah ?

La niddah est le principal commandement d’un ensemble de lois religieuses juives, appelées « taharat hamishpa’ha », c’est-à-dire des lois de pureté familiale. Le principe en est que la femme mariée est considérée comme rituellement (indépendamment de la morale) impure pendant la période de ses règles, et cela implique une séparation physique temporaire du couple.

Le fondement philosophique des règles de la niddah est remarquable : l’être humain est plus attiré par ce qui est interdit que par ce qui lui est autorisé. En rendant l’union conjugale, tout  à tour, interdite et permise, les retrouvailles sont censées être un moment unique.

Qu’est ce que le mikvé ?


Mikvé du CCJIA, Centre Culturel des Jeunes Israélites d’Asnières

Le mikvé est un bain rituel utilisé pour l’ablution nécessaire aux rites de pureté familiale dans le judaïsme. Un observateur non initié n’y verra qu’un simple bassin. Mais en fait, la plupart des mikvés ont deux, voire trois bassins attenants. Les eaux de pluie sont recueillies dans un bassin, tandis que le bassin d’immersion adjacent est régulièrement vidé puis rempli d’eau de robinet. Les deux bassins ont un mur commun qui comporte un trou; le libre contact entre les eaux des deux bassins fait de l’eau du bassin d’immersion une extension de celui contenant les eaux de pluie, lui conférant ainsi le statut de mikvé

La Halakha impose d’être parfaitement propre avant de s’immerger. Les mikvés modernes sont équipés de filtres et de systèmes de purification des eaux. En général, l’eau du mikvé arrive à hauteur de poitrine de la personne qui se trempe et elle est maintenue à une température agréable. Pour vivre pleinement leur judaïsme, les juifs ont dû construire des mikvés, et ils l’ont toujours fait, en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances.

Quelles sont les règles de l’immersion dans le mikvé après la niddah ?

On dénombre quatre étapes jusqu’à l’immersion dans le mikvé, pour qu’elle soit valable.                

I / L’état de niddah       

                                                                                                                                                                                                      Dès l’instant où la femme constate un écoulement sanguin provenant de l’utérus, elle est niddah. Le couple suspendra aussitôt les relations physiques, qui ne seront permises à nouveau qu’après la réalisation complète des étapes décrites. Dès l’apparition  de la première tache, elle comptera cinq jours au minimum sinon plus, jusqu’à l’arrêt complet de ses règles. Ensuite elle entamera la deuxième étape.   

II / Le test de propreté : Le « Hefsek Tahara »  

Dès que l’écoulement a totalement cessé, la femme doit s’assurer qu’elle est effectivement propre. Elle procède à un examen interne. Ce test de propreté appelé hefsek tahara est obligatoire et marque le point de départ de l’étape suivante : celle des “sept jours propres”.                                                                   

III / Les 7 jours propres    

Le lendemain de cette première vérification, commence l’unité indivisible de sept jours complets et consécutifs précédant obligatoirement l’immersion dans le mikvé. Pendant ces sept jours, la femme procède à des vérifications journalières bien définies appelées “Bedikoth”.   

IV / L’immersion dans le Mikvé      

À la fin de la période des sept jours propres, la femme se rend au Mikvé pour s’y immerger après la tombée de la nuit. Avant l’immersion, elle effectue une toilette complète destinée à éliminer tout élément susceptible d’entraver le contact direct du corps avec l’eau. Ensuite, dans le bassin du Mikvé, la femme se tiendra en position décontractée et s’immergera entièrement. SI la présence d’une autre personne est nécessaire, l’hôtesse du mikvé, la “balanite”, est à sa disposition. Après l’immersion, la femme n’est plus niddah. La relation conjugale physique est à nouveau permise.

L’immersion dans le mikvé est elle obligatoire dans le judaïsme ?

Oui en temps normal. La pureté familiale est un commandement fondamental de la Torah.  Les 7 jours sans saignements « sheva nekiïm » (7 jours comptés à partir de la fin des règles) sont basés sur une coutume populaire entérinée par les rabbanim ; certains y voient une simple coutume, d’autres une règle rabbinique « issour derabanan », du fait que la coutume fut acceptée par tous. Il s’agit de toute façon d’un interdit moins grave que la première période de niddah (celle des écoulements) qui correspond à l’interdit de la Tora, et les décisionnaires en tiennent compte pour se permettre certains assouplissements quand nécessaire.            

Les autorités rabbiniques sont actives  en ce moment « anormal », certains flous de compréhension persistant dans la population juive française.  L’éclairage sur la conduite à tenir par rapport à l’autorisation d’immersion dans les mikvés doit être constant.

Des questionnements subsistent sur l’impact transitoire qu’aurait l’abstention du mikvé sur la pureté familiale ? Le corps médical ne peut absolument pas se positionner religieusement. Cette question de l’abstention du mikvé devient temporairement citoyenne, en plus d’être juive.

Quel est le problème environnemental avec le COVID19 ?

Le nouveau coronavirus sévit. Des centaines de milliers de scientifiques sont mobilisés à travers le monde en ce moment. Ils cherchent à mieux comprendre le virus pour lutter efficacement contre. Des chercheurs ont publié une étude sur la survie du virus dans l’environnement. Ils ont constaté que les chambres des personnes malades restent contaminées par le Covid-19 lorsqu’elles ne sont pas nettoyées. Des traces du virus demeurent.

L’étude est partie d’un constat : dans les hôpitaux chinois, le virus s’est propagé. Entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février 2020, ils ont scruté les chambres de patients placés en confinement. Sur les 15 surfaces analysées dans cette pièce, 13 étaient contaminées par le Covid-19 dont le sol, la fenêtre, le lit et une chaise. Des traces du virus ont été retrouvées sur la cuvette des toilettes et dans le lavabo. En revanche, aucune trace du virus n’a été trouvée dans les chambres nettoyées, alors que les patients y résidant présentaient des symptômes plus graves.

Si cela prouve que les mesures de désinfection sont efficaces pour faire disparaître le virus, il n’en demeure pas moins que pour l’instant, la communauté scientifique peine à déterminer avec certitude la durée de vie du virus à l’air libre : Il est impossible de savoir combien de temps un meuble ou la barre d’une rampe peuvent rester contaminés.

Il est primordial de bien nettoyer les pièces fréquentées par des personnes atteintes et de se laver régulièrement les mains. Selon les recommandations, le coronavirus peut être détruit efficacement en utilisant les produits d’entretien utilisés usuellement pour la désinfection.   Une autre étude a montré que les patients atteints du nouveau coronavirus contaminaient largement leur chambre et leur salle de bain, soulignant la nécessité de nettoyer régulièrement les surfaces comme les lavabos et les cuvettes.

Le virus ne survit cependant pas à un nettoyage des surfaces contaminées à l’aide d’un désinfectant d’usage courant deux fois par jour, a conclu la même analyse.                                    

La problématique hygiénique et infectieuse reste majeure dans les mikvés, comme dans tous les endroits où le risque de contamination est accru. Ceci, malgré les mesures hygiéniques prises par les gérants de mikvés : toute personne qui fréquente un lieu public ou semi-public prend un risque pour sa santé, et en fait courir un aux autres.

Qu’est-ce le confinement pour tous ?

Le confinement a pour vocation de limiter le plus possible la circulation du virus entre les individus afin de tenter de ralentir l’épidémie et de ne pas submerger les services de santé.     

Rester chez soi ! Telle est l’injonction lancée par les autorités. Cette mesure est tout à fait nécessaire et obligatoire même si certaines sorties sont autorisées sous conditions. En France, il est interdit de sortir, sauf pour rejoindre son lieu de travail, pour s’approvisionner en nourriture et en médicaments ou encore se faire soigner, en veillant à se munir des attestations et des autorisations prévues à cet effet. La mission prioritaire des forces de l’ordre est de veiller, 24h sur 24h, au strict respect des interdictions de circulation et de regroupements avec pour unique objectif de préserver la population de la contamination par le coronavirus.
Cette démarche sera d’autant plus efficace que chacun respecte les règles. A défaut, les forces de l’ordre appliquent rigoureusement aux contrevenants les sanctions financières et pénales prévues.

Quelles réflexions engendrent pour chez des médecins juifs cette question du mikvé et du confinement ?

La notion de responsabilité morale assignée par notre collectivité nationale est centrale voire fondamentale.  La responsabilité collective de la communauté juive française mérite aussi un positionnement clair et argumenté sur les questions qui l’intéressent. Le principe d’un judaïsme français intégré à la nation française, avec ses spécificités, appelle à trancher sur le « mikvé pendant le COVID » par les autorités rabbiniques, quand bien même la loi de la république l’a déjà fait par la négative.

Les médecins et l’état ont tranché ensemble selon leurs prérogatives, le grand rabbinat également.

Notre identité juive, riche de ses nombreuses facettes, a besoin d’éclairages multiples. La responsabilité individuelle des membres de la communauté juive ne vaut pas un positionnement collectif. 

Comment pourrait-on intelligiblement dire que « ce confinement est notre obligation», et en même temps en nier toute obligation absolue pour soi-même ?

Le sujet du co-engagement des citoyens ne saurait souffrir d’une dissidence religieuse, voire d’une divergence des points de vue, même s’il ne faut pas balayer l’impact qu’aurait l’abstention du mikvé pour de nombreuses familles juives pratiquantes.

Pour atteindre l’objectif de sauver des vies humaines, il est impératif de faire des choix raisonnés, et les points de vue méritent d’être entendus.

Si mourir pour le sacré, comme mourir pour Dieu, est sans fondement dans le judaïsme, toute femme allant au mikvé n’aurait pas forcément l’impression de se mettre en danger, ou mettre en danger la vie d’autrui.

Dans le talmud Yoma nous trouvons la règle de pikouah néfech (פיקוח נפש) qui donne la priorité à la vie humaine. Un verset du deutéronome (Devarim) va dans ce sens :« Je prends à témoin, en ce jour, le ciel et la terre: j’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et le malheur. Tu devras choisir la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité » Devarim 30:19.

En règle générale, la décision individuelle et son acceptation sont dépendantes des décisions collectives ; surtout si elles sont idéalement partagées, ou  à défaut comprises. Nombreux concitoyens juifs vertueux attendent les consignes rabbiniques claires, et pas uniquement celles données par leur médecin ou la loi. Les médecins juifs de France doivent travailler main dans la main avec les autorités rabbiniques sur ces sujets.

Positionnons-nous également hors du cadre légal pour la discussion sur ce sujet.

A un moment où les lieux de cultes, synagogues-églises-mosquées, sont fermés, et où les bains, piscines et hammam le sont aussi, l’acceptation de la collectivité de l’ouverture des mikvés par nos concitoyens pourraitelle comprise ? La décision d’ouverture ou de fermeture des mikvés pourrait-elle participer à ce qu’on appelle le kidoush hashem (glorification divine), ou à l’inverse le hiloul hashem (profanation du nom divin)?

Quand nous ressentons des dilemmes moraux, nous disons souvent : «Dérekh-Eretz kadma laTorah », ou : le savoir-vivre précède la religion de la Torah. On mesure toute la difficulté des frontières entre les croyances, la liberté de culte et ce qu’impose parfois le savoir vivre ensemble.

Nos sages remettront en perspective ces réflexions avec leur profondeur.

En terme de rigueur comparative, les règles de la cacherout sont si précises que l’hypothèse d’un mikvé aseptisé et dépourvu de COVID serait-elle honnête intellectuellement ? (Si celles-ci étaient mises en avant par les partisans du maintien de l’utilisation des mikvés, malgré les consignes).

Nous venons de lire la hagadah de Pessah, et notamment le passage des 4 enfants aux 4 profils de personnalités : le sage, le rebelle, le simple et celui qui ne sait pas poser les questions.  Cela nous invite, de manière responsable, à poser les questions de façon appropriée, puisque la collectivité est hétérogène, et que nous devons agir pédagogiquement dans l’intérêt de tous.

Les sages juifs disent que notre monde repose sur trois choses

Les sages juifs disent que notre monde repose sur trois choses:

– la relation de l’homme envers son prochain (le בין אדם לחבירו, la guemilout ‘hassadime)

– la relation de l’homme envers Dieu (le בין אדם למקום, la avoda)

– et la relation de l’homme envers lui-même (le בין אדם לעצמו, la Torah).

S’il manquait un de ces trois piliers dans notre construction intérieure, notre monde serait bancal. Investir le champs de la relation au divin (ben adam lamakom),  sans négliger la relation aux autres hommes (ben adam lé’havéro), tel est l’enjeu singulier de la spiritualité juive.

Nous sommes maintenant tous confrontés à la hiérarchisation des priorités et à la manipulation des perceptions. Notre modèle de société va être remis en cause, et plus que jamais les fondements de nos identités doivent être solides. Acceptons ces discussions collectives pour permettre à chaque individu une vie épanouie.

A l’heure du grand ménage de Pessah,  symbolisant l’asepsie et la sortie du confinement de l’esclavage, la 11eme plaie qu’est le coronavirus sera bientôt vaincue.

Docteur Alain Toledano, Cancérologue, Président de l’Institut Rafael

Gestion du COVID19 à l’Institut Rafaël, Maison de l’après cancer

Docteur Bruno Halioua, Président de l’Association des Médecins Israelites de France

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1 Comment

  1. Fondamentalement la question se posera pour la période post confinement au même titre que l’usage collectif des piscines qui resteront des vecteurs de propagation tout au moins pour un certain temps

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