Régis de Castelnau. Rubrique bouquins : les champs de la Shoah

L’événement « Shoah » est un épisode majeur de l’histoire de l’Occident. Un des peuples les plus civilisés d’Europe s’est livré à un massacre industriel et méthodique de 6 millions d’êtres humains hommes femmes et enfants choisis pour le supplice sur des critères de pure folie. Il faut être précis dans la désignation du coupable. Pour des raisons historiques et compréhensibles, tout a été fait pour déculpabiliser le peuple allemand et faire porter la responsabilité de l’abomination au système nazi et à ses hommes. Les nazis étaient des monstres et ont conduit à l’horreur un peuple par la terreur nous a-t-on raconté. La Wehrmacht et ses chefs étaient des gens honorables et seuls les SS étaient des monstres. C’était simplement un mensonge.

L’historiographie récente a fait litière de cette présentation utilisée et popularisée au moment de la guerre. L’énorme et indispensable ouvrage de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri « Barbarossa » démontre le caractère criminel de l’armée allemande déjà depuis le XIXe siècle et qu’elle fut le premier outil du grand massacre que ce soit l’extermination des juifs ou l’abominable saignée imposée à l’URSS. La lecture d’un autre ouvrage indispensable viendra compléter le tableau il s’agit de « Les crimes de la Wehrmacht » de Wolfram Wette, qui en fait lui aussi le constat impitoyable. Enfin on recommandera « La guerre allemande : portrait d’un peuple en guerre » de Nicholas Stargardt qui démontre que dans sa grande masse le peuple allemand savait tout et qu’il a soutenu Hitler et son projet jusqu’au bout. La volonté de paix, ne doit en aucun cas masquer ce qui a été ou le faire oublier. Et on pense en particulier à l’appui dont ont bénéficié les Allemands pour l’extermination de la part de certains peuples d’Europe de l’Est comme en Pologne et en Ukraine que l’on voit aujourd’hui avec horreur réhabiliter sous prétexte de nationalisme les bourreaux supplétifs de l’époque.

Concernant la Shoah, Marie Moutier-Bitan vient de publier un remarquable ouvrage qui vient en appui du travail du père Patrick Desbois « La Shoah par balles ».

Notre historien militaire préféré Sylvain Ferreira nous en fait une courte recension.

Regis de Castelnau

Voyage au bout de l’horreur

Sylvain Ferreira

Dans le projet exterminateur nazi, la destruction des Juifs soviétiques représente une phase majeure dont les modalités d’exécution sont souvent ignorées du grand public. Après plus de dix ans de recherches sur le terrain et dans les archives, Marie Moutier-Bitan nous propose une étude exhaustive de cette autre facette terrifiante de la Shoah.

Les victimes ont un nom

Cette étude majeure nous propose une plongée détaillée, à hauteur d’homme, dans l’enfer de la destruction des Juifs soviétiques ou issus d’autres pays (Pologne, Roumanie, Hongrie) réfugiés sur le territoire soviétique de 1941 à 1944. Si l’auteur nous rappelle avec clarté les processus décisionnaires et organisationnels mis en oeuvre préalablement par le régime nazi en vue de l’invasion de l’Union Soviétique, son propos permet ensuite, avec force de détails et de témoignages (y compris des bourreaux), de revivre chaque épisode terrifiant des exécutions de masse qui jalonnent la progression de la Wehrmacht à partir du 22 juin 1941. Mais au-delà des chiffres, à chaque chapitre, Marie Moutier-Bitan retrace le destin emblématique de telle ou telle famille juive emportée dans ce tourbillon infernal. Nous suivons ainsi ces micro-tragédies avec une acuité et une identification aux victimes qui n’est pas s’en rappeler celles de la caméra de Claude Lanzmann dans Shoah.

Les bourreaux aussi…

Si les victimes sont au cœur de l’ouvrage, les bourreaux ne sont pas « oubliés ». Là encore, au-delà des pérégrinations d’Himmler et de son état-major sur l’arrière-front pour orchestrer l’innommable, on découvre plusieurs figures, a priori anodines, de tel ou tel membre d’un Einsatzgruppen ou d’un groupe de miliciens ukrainiens qui vont pourtant servir de bras serviles et zélés aux exécutions. Ces portraits sont glaçants et leurs témoignages terrifiants. De même, le rôle joué par les voisins dans la dénonciation voire la participation aux exécutions (exemple le pogrom de Lvov), mais aussi parfois dans l’aide aux familles juives est particulièrement bien analysé. Enfin, la participation et le soutien de la Wehrmacht à cette entreprise est parfaitement mis en lumière, ce qui permet de poursuivre la destruction, salutaire, du mythe d’une armée allemande « propre ».

Nous ne pouvons donc que vous recommander cet ouvrage majeur qui fera date dans l’historiographie de la Shoah.

Sylvain Ferreira

Source: Vu du Droit. 23 février 2020.

Régis de Castelnau

Avocat et auteur de plusieurs ouvrages dont Pour l’amnistie en 2001, Régis de Castelnau anime le site Vu du Droit et publie chez Causeur entre autres

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