La fiancée juive de Damas, un reportage du magazine Marianne

Ce reportage est paru dans le magazine Marianne, numéro 987, le 11 mars.

C’était au début du printemps sur les pentes du mont Carmel, dans cette ville en zigzag dont les rues montent et descendent comme un cœur hors d’haleine : Haïfa.

Rachel, le jour de son retour
Rachel, le jour de son retour

Rachel aimait Fouad et Fouad aimait Rachel. Elle : 16 ans, des sourcils admirablement dessinés, à la persane, des yeux entre le gris et le vert, un front pur couronné de cheveux sombres. Lui : 23 ans, regard bleu, cheveux blonds. Quand elle contemple leur photo d’alors, reproduite sur son téléphone, Rachel Elkayam pleure doucement, soixante-huit ans après.

Une photo rageusement déchirée par son frère aîné. Honte !

Le cliché a été pris en février ou mars 1948, au Hadar, ce vaste quartier dont le nom veut dire «Splendeur», entre le port et la montagne, où juifs et Arabes vivaient encore ensemble. Non, ne rêvez pas : ce n’était pas l’«ensemble» qui brode les noces et apaise les différences. D’ailleurs, la photo a été recollée. Le frère aîné de Rachel l’avait rageusement déchirée. Honte ! A la piscine de Bat Galim, le quartier le long de la mer – en hébreu, le nom signifie «Filles des vagues» -, les garçons arabes regardaient les juives de loin, d’un désir exaspéré par l’interdit. Et c’était pareil pour les juives. De loin. Même si certaines comprenaient l’arabe, si certains parlaient l’hébreu. Même si le père de Rachel, Nissim le musicien, d’une lignée marocaine installée à Tibériade huit générations auparavant, vers 1800, sous le règne ottoman, jouait de l’oud, le luth oriental. Même si le père de Fouad, venu de Damas commercer à Haïfa, fredonnait la même chanson que Nissim, alors sur toutes les lèvres orientales, Fog al-nakhel : «Au-dessus du palmier, est-ce l’éclat de ta joue ou celui de la lune ? Allah aridek… par Dieu, je te veux mais cela me détruit…»

Qu’est-ce qui a été détruit ?
Qu’est-ce qui a été construit ?

En ce début de printemps 2016, la même chanson jaillit de l’ordinateur dans le petit appartement de Haïfa et Rachel se met à danser. Il y a près de sept décennies, elle et Fouad ont brisé l’interdit. Ils se sont aimés. Pour toujours mais pas très longtemps.

Rachel s’arrache à sa famille, son histoire, son peuple, à tout ce qui n’est pas le bien-aimé.

Avril 1948 : c’est la guerre d’indépendance pour les juifs, l’exode pour les Arabes, les Britanniques battent en retraite, la Palestine sous mandat anglais est en train de devenir l’Etat d’Israël. Haïfa, avec son port, constitue un enjeu stratégique majeur pour la Haganah, l’armée de défense juive. Entre les docks et le Carmel, le sang coule dans les deux camps. La famille Elkayam se réfugie à Tel-Aviv. Rachel étouffe et, à Haïfa, Fouad devient fou. S’aimant, ils sont hors de tout, de ces villes, de ce pays, hors des deux peuples : au-dedans d’eux-mêmes. Quand ils ne mêlent pas leur souffle, ils suffoquent. La Bible dit : «Mets-moi comme un sceau sur ton bras, comme un sceau sur ton cœur car l’amour est fort comme la mort.» Le Coran dit : «Vos femmes sont pour vous un vêtement et vous êtes un vêtement pour elles.» Rachel ne sait plus comment, mais soudain Fouad est là, à Tel-Aviv, en bas de chez elle. Et il l’emmène. Il ne l’enlève pas. C’est elle qui s’arrache à sa famille, son histoire, son peuple, à tout ce qui n’est pas le bien-aimé. Elle entasse en tremblant dans son sac toutes les photos qu’elle peut trouver. Père, mère, petites sœurs, quand les reverra-t-elle ? Vite, avant que le terrible frère aîné ne revienne. Vite, vers les bras de Fouad, la fausse paix de l’amour, la vraie guerre des hommes et les routes du destin. Vers Haïfa, Akko. Et encore plus loin. Vers Damas.

«Elle l’aimait ! On ne peut rien faire contre l’amour !» dit Amnon. Amnon est le petit frère de Rachel, il avait 3 ans quand elle est partie et 71 ans quand elle est revenue. Entre le tout petit enfant et l’homme déjà âgé qui récite la bénédiction sur le vin en ce soir de shabbat israélien dont Rachel est la reine, soixante-huit années filent comme un rêve et un cauchemar.

Pour lire la suite de l’article sur le site de Marianne, cliquez ICI

Et voici le reportage de Channel 2, en Hébreu, mais plein d’une émotion que tous ressentiront

 

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