Billy Crystal et la salle à manger. Par Steve Krief

La nourriture, source d’inspiration très diverse du réalisateur américain de « Quand Harry rencontre Sally » et « Mr Satuday Night ».
« Lorsque mon frère Stan m’a annoncé que ma mère venait de mourir, la première pensée fut : As-tu obtenu d’elle la recette du kugel ? Cette femme habitait dans la cuisine, littéralement. Elle y fit installer un lit. Jusqu’à 15 ans j’ai cru que mon nom était : goûte ça ! »
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Ces quelques mots sont prononcés dans le film Mr Saturday Night par l’humoriste Buddy Young Jr lors de la cérémonie religieuse à la synagogue pour l’enterrement de sa mère. Hommage. Tel est le thème, le leitmotiv qui traverse le premier film réalisé par Billy Crystal qui incarne aussi le rôle de l’humoriste. Hommage au monde de la scène, à son âge d’or de l’après-guerre, aux années 70 et à la difficile adaptation au monde nouveau pour une génération vieillissante et parfois submergée par un certain égocentrisme.
Mais lorsque les grandes scènes n’accueillent plus cet humoriste, il repensera à sa scène préférée, celle des débuts : la salle à manger. Le film ouvre sur une interview de l’humoriste par un journaliste à qui il révèle dès la première phrase : « Ma mère voulait nous tuer. Avec du gras. Des enfants de sept ans avaient des crises cardiaques. On mangeait tout car elle nous culpabilisait : « Mange, les enfants d’Europe crèvent de faim ! » Bien plus tard, en voyageant en Europe je n’y ai rencontré que des gros, avec leurs accents, qui mangeaient sans cesse. On n’appelait pas la nourriture par son nom mais par ce que cela faisait à ton corps, du genre « Maman, passe-moi un peu de cette brûlure intestinale. »
A l’écran, pendant que l’on entend les propos de Buddy, on distingue à peine le générique, collé sur les plats présentés en abondance à la famille réunie. Et c’est là, dans ce petit appartement de Brooklyn que Buddy et son frère Stan font leurs premières armes, en faisant du playback sur des chansons yiddish, en imitant les membres de la famille et en racontant des blagues en anglais, parfumées de mots et références d’antan.
Et la nuit, lorsque les rires se dissipent on se remet à rêver et à briser les murs grâce aux émissions de radio écoutées en catimini avec les humoristes comme Milton Berle, Eddie Cantor et Jack Benny. Rêver de les rejoindre avec l’espoir de jouer pour des centaines de spectateurs chaque soir et des millions d’auditeurs à travers le pays.
Pourquoi y a-t-il autant de juifs et de noirs humoristes ? Pour la même raison qu’il y a autant de noirs et de juifs musiciens : le métier d’humoriste, le vaudeville, le jazz étaient considérés alors comme des activités non nobles par les WASP et donc délaissés principalement aux autres.
L’accès aux scènes dites classiques étant alors souvent refusé pour les minorités, celles-ci ne se gênèrent pas pour conquérir les autres. Les humoristes et musiciens se font un petit nom dans les concours amateurs de cabarets lugubres ou de tripots tenus par des mafieux s’intéressant non pas à la couleur de l’artiste mais à celle des billets qu’il peut leur rapporter.
Pour les humoristes, l’autre grand apprentissage se fera jusque dans les années 60 aussi à la fin de repas, mais plus collectifs, dans les lieux de vacances des Catskills. Mel Brooks, Woody Allen et bien d’autres y passeront. Il s’agissait alors d’hôtels accueillant des familles de classes moyennes et populaires juives de la Côte Est, de nombreux hôtels ailleurs pratiquant aussi la ségrégation religieuse et raciale.
Buddy électrise la foule en dansant, chantant en yiddish et racontant des blagues pour finir son spectacle par une séance dégustative de shpritz, l’art de se moquer du public. Car le tableau familial parfait où tout le monde riait dans la salle à manger demeure fort. L’insulte suprême étant de ne pas rire à ses blagues. Et il s’en prend à cœur joie au seul spectateur des Catskills fatigué des zygomatiques : « Ce type est mort mais personne n’a eu le courage de le lui dire. » Il le fixe à sa table et lui dit : « Si tu passes un bon moment, dis-le à ton visage ! »
Après les grands succès scéniques, après avoir eu son show télé, Buddy est victime du succès de la nouvelle génération et de son tempérament. Sa carrière touchant à sa fin, il convainc le plus grand agent de New York de le prendre et lui donne rendez-vous… à une table. Celle des Friars. Entouré d’amis humoristes le jour de ces retrouvailles, il veut marquer cette nouvelle association en ce lieu sacré de la profession. Les plus grands humoristes ont en effet l’habitude de se retrouver dans ce club après leurs spectacles pour une troisième mi-temps. Et surtout lors de soirées spéciales appelées les roasts (dont le concept est en voie d’importation en France aujourd’hui) où un des leurs est honoré par les moqueries des autres. Sans tabou ni limite mais avec autant d’affection. Le plus célèbre de ces moqueurs étant Don Rickles, qui fut présenté ainsi par son collègue Alan King : « Don Rickles marquera l’histoire comme le firent avant lui Heinrich Himmler et Attila. Néanmoins la seule manière qu’il a de vous insulter vraiment, c’est en ne vous insultant pas. »
Au club des Friars donc, Buddy attend patiemment l’agent tout en partageant des vacheries avec Jerry Lewis (dans son propre rôle) qui passe par là. Mais l’agent ne viendra pas et enverra à sa place une femme qui ne connait même pas le lieu. Offensé par cette humiliation, Buddy la renvoie bruyamment. Mais c’est elle qui relancera sa carrière… face à une table. Où elle organise une rencontre avec le réalisateur le plus en vogue du moment. Lequel prépare un film sur un humoriste basé sur la vie de Buddy.
Le réalisateur raconte à Buddy ce moment qui l’a marqué lorsqu’enfant il mangeait dans un restaurant des Catskills avec ses parents et l’humoriste entre dans le lieu : « Tout le monde s’arrêta de manger pour vous applaudir lorsque vous entriez comme un roi. J’avais huit ans et j’ai couru vers vous ! Et vous. » Buddy passe son audition en improvisant des imitations en se servant dans le panier à pains pour se les coller au visage et imiter tour à tour la princesse Leia, un boulanger orthodoxe, l’acteur Karl Malden ou un joueur de basket interviewé par un journaliste tenant le micro au niveau du short imaginaire d’où dépasse le pain. Buddy arrache l’extrémité du pain et dit au joueur : « Ca y est, tu es juif ! »
Exergues
« Lorsque mon frère Stan m’a annoncé que ma mère venait de mourir, la première pensée fut : As-tu obtenu d’elle la recette du kugel ? »
« Ma mère voulait nous tuer. Avec du gras. On mangeait tout car elle nous culpabilisait : Mange, les enfants d’Europe crèvent de faim ! »
 
 

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