Comment nous les juifs, pouvons nous rejeter les réfugiés syriens ?

Née en 1935, Anne Roiphe est journaliste et écrivain. Son roman « Up the sand box » , publié en 1970, obtint un vaste succès, et fut adapté au cinéma par Irvin Kirschner. Barbara Streisand y tient un de ses plus beaux rôles.
Cet article est un manifeste, sincère, lyrique, et – certains diront – utopique. Mais, il faut y croire.

Anne Roiphe
Anne Roiphe

COMMENT, NOUS LES JUIFS, POUVONS-NOUS REJETER LES REFUGIES SYRIENS ?

De ANNE ROIPHE, présenté par VICTOR KUPERMINC.

Lorsque les groupes de l’Etat Islamique attaquent Paris, le 13 novembre, les photos nous glacent d’horreur. Nous sommes avec les Français dans leur tristesse. Et puis on nous dit qu’un des terroristes est arrivé sur les plages européennes, caché parmi la vague des réfugiés syriens.

Des réfugiés syriens débarquent sur l'île grecque de Lesbos le 3 septembre 2015. (DIMITRIS MICHALAKIS / REUTERS)
Des réfugiés syriens débarquent sur l’île grecque de Lesbos le 3 septembre 2015. (DIMITRIS MICHALAKIS / REUTERS)

Aussitôt, plus de la moitié des gouverneurs américains – la plupart sont Républicains – affirment que qu’il faut maintenir ces gens hors de leur Etat. Le candidat républicain Ted Cruz dit : « Nous ne pouvons pas jouer aux dés avec la sécurité des Américains, et laisser entrer ceux qui sont peut-être des djihadistes, venus chez nous tuer des américains. Cruz suggère de laisser entrer les Chrétiens de Syrie, mais pas les Musulmans. Marco Rubio, Jeb Bush, Donald Trump, Ben Carson – tous utilisent la crise pour confirmer leur image de « dur ».
En tant que Juive, j’entends ce genre de propos, et j’ai peur. Pas pour ma sécurité personnelle. J’ai peur, comme Juive, pour le pays auquel j’appartiens. J’ai peur comme Juive, parce que je sais qu’aujourd’hui, ce sont des Syriens qui fuient la guerre et la destruction. Ils ont abandonné leur maison à ceux qui veulent les détruire et les chasser de chez eux. Ils fuient un dictateur qui les empoisonne par les gaz. Ils fuient des fanatiques qui détruisent leur mode de vie. Ils fuient les bombes et les assassins en cagoule noire.
Et, le monde regarde cela. Nous avons bricolé des camps de réfugiés dans des impasses. Rien de ce qui est planté ici ne poussera. Nous avons parlé, et parlé encore, et nous n’avons pas fait grand’chose. A la télévision, dans les journaux, je vois les images de ces femmes en jupe à fleurs, tenter de passer à travers les barbelés. Et je pense aux Juifs traversant les frontières pour fuir les rafles des Nazis. Et je pense aux rares personnes qui les ont aidé. Je pense à l’Amérique et à son infamant refus de les secourir ; et à tous ceux, trop nombreux qui se sont fait prendre, en France, Pologne, Italie ; pour mourir dans les camps d’extermination nazis.
Nous nous souvenons de la Conférence d’Evian, en juillet 1938. Les pays alliés s’étaient réunis afin de décider du sort de ces nombreux réfugiés juifs. Lorsque la question fut posée de savoir combien le Canada était disposé à en accueillir, le délégué répondit : « Un, ce serait déjà trop ! ». La conférence ne trouva aucune solution au drame de notre peuple, désespéré, sans abri, pourchassé*
Et nous savons comment, en 1939, un navire, le « Saint-Louis », transportant des réfugiés en provenance d’Europe, dût faire demi tour depuis les plages américaines. Nous nous souvenons du sort de ces gens qui ne trouvèrent aucun secours, dans aucun port.
Nous savons comment, à la grande honte de l’Amérique, nous avons incarcéré les japonais, et les américano-japonais, qui vivaient pacifiquement parmi nous ; ils vivaient sans problème, parmi nous, bien loin de notre peur et de notre suspicion infondée.
Aujourd’hui, en 2015, nous avons l’occasion de nous comporter avec dignité et montrer la générosité américaine. Au lieu de cela, nous avons des dirigeants politiques qui veulent empêcher les réfugiés d’entrer sur leur territoire et de s’installer dans leurs villes. Nous avons des compatriotes à l’esprit étroit qui veulent laisser des enfants sans soin et sans nourriture, parce que, parmi leurs parents il y aurait, peut-être, des personnes dangereuses.
En vérité, il y a toujours des gens dangereux dans une multitude. C’est, parfois un voisin, quelqu’un que nous connaissons bien, et parfois aussi un étranger. Mais nous devons mesurer notre peur, et faire la balance avec la perte de nos valeurs, avec notre Amérique. Nous ne devons pas laisser les terroristes brouiller notre image. Notre sécurité dépend de notre engagement envers nos idéaux. Nous devons être encore un phare pour le monde. Nous devons montrer que l’humanité peut accueillir toutes les religions, toutes les croyances, toutes les origines. Nous devons bâtir une nation unie et forte, dire non à la cruauté et l’indifférence.
Les Juifs doivent comprendre que notre « Jamais plus ! » n’est pas un mot d’ordre tribal. C’est une prière qui s’adresse à tous les peuples. J’espère que les leaders juifs se feront les avocats de cette cause, que toutes les organisations juives s’uniront pour la défense des réfugiés syriens. C’est le sens de l’identité juive elle-même.
ANNE ROIPHE
* Seule, la République Dominicaine déclara vouloir accueillir 100000 réfugiés. En définitive, moins de 1000 Juifs trouvèrent un refuge sur la côte nord de l’ile, à Sosua.

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