Restons calmes ! par Alexander Winogradsky

Ce jeudi, nous étions le 12 Kislev 5775/י ב דכסלו תשע”ה, donc le 4 décembre 20014 (calendrier grégorien), le 21 novembre 2014-7523 selon le comput chrétien orthodoxe de Jérusalem, le 12 Safar dans l’année 1436 de l’Hégire musulmane.800px-Jerusalem-TowerOfDavid_004
Alors que le froid s’installe sur Eretz Israel, le mois de Kislev marque le passage talmudique à l’hiver. On ajoute, dans la bénédiction Barekh/ברך des 18 Bénédictions, une demande pour que l’Eternel donne “rosée et pluie-ten tal oumatar/תן טל ומטר”. Elle sera dite jusqu’à la fête de Pessa’h.
Les Chrétiens orthodoxes de Jérusalem rappellent l’entrée de Marie, la mère de Jésus-Christ au Temple de Jérusalem selon une tradition issue de l’Evangile deutéro-canonique de saint Jacques (ch. 2 et ss.), rédigé tardivement et qui montre la distance qui s’est installée entre le judaïsme du 1er siècle et le christianisme. Marie aurait-elle vécu dans le Temple jusqu’à l’âge de 12 ans et confectionné les voilures du Sanctuaire selon la tradition confirmée par le Talmud ?
Par delà les siècles, voici les ingrédients de réalités tout-à-fait actuelles: il fait froid, il pleut, l’hiver est là et le Temple est au coeur de toutes les préoccupations, du « dit » comme du « non-dit », avec même quelques femmes du Kotel qui élèvent des Rouleaux de la Torah quasi clandestins « par peur des rabbins… »
Il ne manquait que le vote des parlementaires français pour que la cata soit catastrophique. Encore faudra-t-il attendre le vote du Sénat français pour que le trauma soit scellé.
Dans l’un des articles les mieux documentés sur le sujet, notre co-blogueuse Frédérique Schillo a décrit la manière dont la diplomatie française, ses instances politiques ont agi dès 1947 en vue d’une reconnaissance « tardive » de l’Etat d’Israël.
De fait, à ce jour, la France est franco-française, musulmane et « fille aînée de l’Eglise » en dépit d’un néo-paganisme réel ou de sa quête de sens face à son héritage chrétien européen et fracturé. Pour l’Islam, Roncevaux est vraiment dépassé.
Certes, la diplomatie française est l’une des plus expérimentées. Mais Talleyrand n’est plus, le Traité de Vienne de 1814-1815 a confirmé la chute de l’Empire français et dessiné les contours d’une situation qui ne cesse de voler en éclats deux siècles plus tard.
Un vote défavorable à qui ? Ce vote concerne les intérêts franco-français, tout comme le Royaume-Uni, l’Espagne, bientôt le Danemark et d’autres pays d’Europe occidentale avancent, à pas de renard, de loup ou de tortue, vers la reconnaissance d’un état embryonnaire et invertébré de Palestine – tout comme en 1947-48, l’Etat hébreu était sans frontières définies.
Il est vrai que les Juifs et, par voie de conséquence, l’Etat d’Israël, ont été aidés par beaucoup et, paradoxalement, trahis par tous comme le martelait David Ben Gourion de manière réaliste.
Il est même piquant que personne ne mentionne le juste saint Louis, anti-judaïque notoire, dont la France célèbre le 800ème anniversaire de la naissance. Aux chênes de Mambré (térébinthes de Memra), Abraham fut bien plus accueillant… (Bereishit/Gén. 1, 18; Epître aux Romains 4, 1-4).
De 1988 à ce jour, 135 pays ont reconnu un Etat de Palestine. Le nombril du monde n’est pas hexagonal, nous l’avons entre le Saint Sépulcre et le Mur occidental.
Israël existe. C’est une réalité qui tient du miracle. Israël est vivant et surprend précisément parce qu’il se déploie. Le processus de la naissance ne fait que commencer.
Israël existe, c’est un miracle – une réalité du mois de Kislev en cette année 5775 de rédemption qu’est la « shmitah/שמיטה’ ou année sabbatique. Ce que nous voyons, analysons, critiquons ne fait que commencer. Bien plus : nos yeux voient ce que des millions de paires d’yeux auraient voulu voir au long des siècles, depuis Ur en Chaldée, en tout cas depuis l’an 70 ou 135 de « l’ère commune ».
La langue hébraïque est vivante aujourd’hui dans le concert des pensées créatives de l’essence humaine. Un fait tellement sans précédent que dans toutes les « Rues Ben Yehoudah » d’Israël, on préfère parler anglais, russe, espagnol, amharique et même français. Mais ça se développe, créant une identité largement partagée par les médias dans les pays voisins. Il faudra du temps pour que l’arabe sorte de cette altérité trompeuse car il est trop proche de tous au Proche-Orient.
Israël est un pays compacté, apparemment minuscule. Ça, c’est le « paraître ». C’est l’un des états dont le leadership s’affirme comme des plus internationaux et ouverts sur l’universalité et la singularité.
Créativité industrielle, culturelle, perceptible dans le hi-tech, l’exploitation agricole, l’irrigation, toutes les sphères du monde scientifique. Depuis les puces électroniques aux grands trusts pharmaceutiques, le rôle pilote dans le domaine de la santé, la réflexion sur le droit, l’informatique, la communication ou encore le cinéma (tiré d’un reality-show plus vrai que notre ombre).
Sur le plan politique, il y a certes des failles plus larges que la fosse syro-phénicienne parées comme en un « parapluie » providentiel » qui maintient une cohérence sécuritaire dans des contextes qui imploserait ailleurs.
Israël est un espace compact, apparemment étroit, limité, fragmenté ou concentré, mais… le pays a une diplomatie en brut de décoffrage – on est loin de la clarté ambigüe d’une France polissée ou d’un Royaume-Uni et de son Commonwealth où le soleil ne se couche jamais.
Les Israéliens sont dans le monde entier, dialoguent à parité linguistique et commerciale avec la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée mais aussi la Russie et les ex-républiques soviétiques, leurs anciens satellites d’Europe centrale et orientale, toutes les Amériques et l’Afrique.
Un savoir-faire où le coeur sait parler au coeur tout en sachant que les partenaires ont besoin de compétences qui sont aujourd’hui greffées en Eretz et ailleurs, souvent de manière discrète, donc plus subtile.
La plus grande partie de ces pays ont reconnu depuis belle lurette l’Etat de Palestine… et alors ! Ce qui se joue en ce moment dépasse de loin un passé que l’on s’acharnerait à conjuguer au présent sans penser au futur.
Les Européens de l’Ouest ont été secoués de plein fouet par la Shoah juive et les délires des génocides euro-asiatiques. Mais, c’est du passé. C’est passé, vraiment, quelle que soit le poids de la tragédie et les labyrinthes encore tortueux qui cherchent à définir le mécanisme des meurtres ! Le devoir de mémoire est une chose ; Noé est sorti du Déluge et l’histoire a continué.
Il faut pouvoir aborder cette période d’une autre façon car – quelles que soient les conséquences – le terme est « banalisé » ou « surdimensionné » pour une génération où Israël grandit bien au-delà de cette période.
En revanche, il y a les vieux réflexes d’anciennes baronnies belliqueuses, comme celles de la Chrétienté en Terre Sainte, donc de la France, fille aînée de l’Eglise – ou de la Russie très sainte et « Troisième Rome », vidée de sa sève hébraïque à coups de pogroms, en butte aux « hérétiques romains ». Comme d’autres Etats, la France « laïque et républicaine » s’accroche à ses « droits catholiques » tandis que toutes les Eglises orthodoxes réclament leurs acquis arrachés aux Occidentaux par le bon vouloir ottoman.
L’archimandrite Emile Choufani (Nazareth), qui a reçu cette année le Prix des Amitiés Judéo-Chrétiennes de France, a expliqué dès son retour comme prêtre en Israël en 1968, qu’il n’était plus possible, après la guerre des Six Jours, de sérieusement contester la réalité israélienne.
Comme lui, dans un autre contexte, je ne cesse d’expliquer que jamais les Chrétiens – encore moins ceux qui sont en place localement – n’auraient pensé qu’un Etat d’Israël puisse exister, ni la langue hébraïque être vivante, refaçonnant une identité singulière. Ils n’auraient jamais conçu – et cela reste vrai à ce jour – que les Juifs aient une vie de foi, de prière, une existence communautaire, une dynamique spirituelle sans précédent mais qui déploie de manière cohérente l’héritage reçu à la Sortie d’Egypte et la vigueur de Sion et de Jérusalem.
Jamais le Pape, ni les Patriarches d’Orient ou d’Occident – ni les diplomaties chargées de défendre les mêmes intérêts ou héritages théologiques – n’auraient pensé être placés de facto sinon de jure sous la loi juive et, en tout cas, le jugement des instances juridiques de l’Etat d’Israël, donc des Juifs.
C’est pourquoi, quelles que soient les sympathies, distanciations diplomatiques prises par les gouvernements européens ou leurs institutions, ces pays – dont la France et d’autres – prennent conscience, malgré eux, que le règne culturel et confessionnel d’une Europe christianisée et sécularisée cède le pas devant la suprématie israélienne et le renouveau judaïque.
Le Pape François et le Patriarche oecuménique Bartholomée de Constantinople vivent ces mêmes bouleversements, plus timorés en Orient en raison d’une expérience ancienne du terreau local. Ils doivent redéfinir leurs relations, nées à Jérusalem, dans le pourtour méditerranéen, devenues planétaires comme avec les Chrétiens slaves et les autres obédiences orientales.
Dans ce paysage novateur et tourmenté, nous assistons bien au retour de la communauté juive à Sion [chivat Zion-שיבת ציון] comme dans le Psaume 126, 1. Cela participe au retour à l’Eternel, à Sa Torah orale et écrite, aux Commandements (Deutéronome 4, 29-40). Les Bénédictions 5 et 4 de la Prière tri-quotidienne des 18 Bénédictions sur le retour et la pénitence invitent au sens de ce retour, cette réponse et « renouveau-techouva/תשובה ».
Voici encore peu de temps, le slogan « national » consistait à qualifier Israël comme « un état juif (yehudit/יהודית), libre (‘hofshit/חופשית), légal (‘hoqit/חוקית), social et communautaire (‘havretit utsiburit/חברתית וציבורית), et démocratique (demokratit/דמוקריטית) ».
Il peut y avoir une méprise sur le sens du mot « demokratit » comme « démocratique », qui serait un faux-ami entre l’hébreu et les langues européennes. Le terme n’est pas mentionné dans les fondements de l’Etat. En fait, il signifie plutôt qu’en principe, les Juifs israéliens reconnaissent pleinement les droits de tous les habitants de l’Etat d’Israël, quelles que soient leur identité en tant que représentants des Nations.
Cette situation est également inédite, sans précédent.
Il faut se battre pour la justice, les droits de tout être vivant. Il faut aussi reconnaître les temps et les délais qui sont en mouvement.
Ce samedi, la tradition juive commémore la fin de la rédaction du Talmud de Babylone, marqué par la mort de Ravina II le 13 Kislev 4235 (475 apr. J.C.).
L’histoire pourtant ne fait que commencer comme premiers fruits de la rédemption.
http://frblogs.timesofisrael.com/author/alexander-winogradsky-frenkel/
 

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