Massacre en Iran. Caroline Fourest

Il a fallu le cri du cœur et le mot « massacre » prononcé par l’actrice iranienne Golshifteh Farahani pour déchirer le silence. Jusqu’ici, entre les manifestations à Hong Kong et au Liban, celles d’Irak et d’Algérie, nos grèves contre la réforme des retraites, les morts iraniens s’étaient perdus.

Comme ces bergers chrétiens massacrés par leurs voisins musulmans au Nigéria dont les corps s’entassent dans des brouettes. Personne n’y aurait prêté attention sans Bernard-Henri Lévy, son récit et des photos glaçantes parues dans Paris-Match. Qui ont réussi à dessiller nos yeux.

À force de drames, nous ne savons plus où regarder. Tant de foules se soulèvent. La moindre manifestation s’enflamme comme une révolution. Chaotique lorsqu’il s’agit de contester une réforme et une démocratie, mais puissante lorsqu’il s’agit de défier une tyrannie.

Le plus brutal et le plus cynique des régimes

En l’occurrence, la jeunesse d’Iran, parmi la plus romantique et la plus cultivée au monde, affronte le plus brutal et le plus cynique des régimes.

Une théocratie qui pend à tour de bras les dissidents, les homosexuels ou les femmes qui résistent à leurs violeurs. C’est dire le courage de ces derniers. Eux qui savent le sort réservé aux manifestants du « mouvement vert » de 2009.

À l’époque, les jeunes et les moins jeunes descendaient dans la rue en criant : « A bas le dictateur ! »

Ils revendiquaient le droit à une élection libre et à la démocratie. Ils le chantaient sur les toits, à la nuit tombée, pour éviter la répression.

Le régime les a traqués jusqu’au dernier. Des milliers de jeunes rebelles ont été arrêtés, torturés, assassinés, sans procès ni témoins. L’Occident, l’Amérique en tête, ne les a pas soutenus. La révolution a échoué.

Les Américains ne commettront pas la même erreur

Les Américains ne commettront pas la même erreur. Ils soutiendront de toutes leurs forces le printemps arabe, islamistes et démocrates confondus. L’histoire du monde musulman s’écrit encore entre le risque de récupération islamiste, qui vient de marquer des points aux dernières élections en Tunisie, et le risque de restauration autoritaire comme en Égypte.

L’état d’esprit, lui, n’est plus le même. La fatalité ne règne plus. Les jeunes générations ne sont plus isolées, ni défaitistes comme leurs aînées. Elles savent qu’une fois en réseau leurs colères peuvent à tout moment écrire l’histoire. Cela change tout.

Deux pays ont échappé à cet espoir. L’Iran et l’Algérie

Deux pays ont échappé à cet espoir. L’Iran et l’Algérie.

Le premier parce que la répression était trop forte. Le second parce que le pays, encore traumatisé par ses 200 000 morts, craignait de voir les islamistes profiter du chaos. Ce risque ne fait plus peur aux Algériens. Leurs manifestations sont massives et pacifiques, ils réclament sans se lasser une démocratie digne d’eux, et non cette élection fantoche qu’ils ont appelé à boycotter.

L’élan démocratique de ce siècle est profond. Il ne s’arrêtera pas avant d’avoir tout renversé. Ni en Algérie ni en Iran.

La jeunesse iranienne n’a plus rien à perdre. Elle s’est réfugiée un temps dans la culture, l’art et les plaisirs artificiels. À s’en donner le tournis.

L’essence et la vie sont si chères désormais que la fuite n’est plus possible. Romani, qui se présente comme un réformateur, envoie les pasdarans massacrer les manifestants comme tous ses prédécesseurs. À balles réelles, et sans regrets.

Les manifestants tombent comme des mouches. Au moins 400 selon Amnesty international, sans doute bien plus.

La flambée du prix de l’essence peut être attribuée à l’état déplorable de l’économie asphyxiée par les sanctions américaines. Mais, les morts, on les doit au régime et à ses pasdarans.

Pas d’enquête pour bavure, ni de commission sur l’usage des lanceurs de balles de défense en Iran.

L’État facture le renvoi des corps aux familles, et même les munitions qui les ont troués

L’État facture le renvoi des corps aux familles, et même les munitions qui les ont troués.

Il les oblige à enterrer discrètement leurs proches, sans parler à la presse. C’est la différence entre une démocratie et une tyrannie. Entre une grève contre une réforme et une révolte contre l’ignominie.

Ceux qui manifestent en Iran ne prennent pas le risque de mourir pour maintenir un régime spécial. Ni même pour avoir un avenir. Mais parce que leurs vies valent moins cher que les balles qui les tuent. La moindre des choses est de les regarder tomber, et de soutenir leur courage.

Source: Marianne du 13 décembre 2019. N°1187.

Caroline Fourest est une journaliste, essayiste et réalisatrice française.

Caroline Fourest

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9 Comments

  1. Parmi les reproches que je ferais à Caroline Fourest c’est sa très grande complaisance envers le macronisme ainsi que la France Insoumise. Par ailleurs les gouvernements de l’UE (qu’elle soutient à fond) sont les alliés du régime nazi turc, tout aussi abominable que l’Iran.

  2. L’échec des « printemps arabes » (et, plus généralement, musulmans) n’est pas limité à l’Algérie et à l’Iran.

    Ils ont échoué PARTOUT, remplaçant des régimes condamnables par le chaos, lui-même ouvrant la voie à un régime encore plus condamnable.
    Il suffit d’observer l’état de TOUS les 22 pays de la Ligue Arabe pour en constater la calamité.

    • “C’est vrai et dès le début le poète d’origine syrienne Adonis avait annoncé l’échec du printemps arabe, dont il pressentait qu’il deviendrait un hiver islamiste. Evidemment il n’a pas été écouté.

  3. L’idéologie bobo-vaniteuse de MARIANNE ne pourra jamais comprendre la violence de la barbarie dont une dictature religieuse est capable. Il ne s’agit pas de ” jeunesse réfugiée dans la culture, l’art et les plaisirs artificiels”; la jeunesse Iranienne est “réfugiée” dans le chômage ou la dureté de la condition prolétarienne. la sauvagerie particulière du régime Iranien, avec des moyens lourds, a écrasé un mouvement local, tandis que les intellectuels de Téhéran qui prenaient la fuite. Il s’agissait d’une véritable menace pour une dictature islamiste et sa base économique qui sacrifient les pauvres, violant ses principes proclamés. Il s’agissait bien d’attaque contre la tromperie économique du régime, d’incendies de séminaires musulmans et de véritables émeutes qui s’attaquaient aux banques, stations services et chaînes de magasins, symboles de cet ordre économiqu, par des jeunes ouvriers du pétrole, dans les petites villes du Khuzestan, centre pétrolier. Les dictatures savent très bien qu’elles sont plus menacés par des ouvriers révoltés que des intellectuels en colère.

    Nos petits maîtres français ignorent désormais notre passé révolutionnaire mais nos amis britanniques s’intéressent toujours au proche et moyen orient et le Financial Times comprend mieux le capitalisme que nos adorateurs des start ups. Le FT publiait donc un long article,favorable aux émeutiers (7 décembre) avant les pamoisons chics parisiennes. L’avenir de l’Iran est sombre et incertain; les plans puérils du camarade Trump sont puérils, tout comme les grands cris des seigneurs islamistes qui dénonçaient un complot, ou des complots, US, Israëliens et Saoudiens!

  4. Voilà de beaux discours, mais aucun pays dans ce monde ne connaît la démocratie !
    Vous êtes la à témoigner de vos idées sans aucune connaissances de ces pays que vous haïssez. Commencez à nettoyer devant vos portes avant de voir chez le voisin.
    De plus Fourrest n’est qu’une affubulatrice à qui vous répondez. Votre ligne éditorial est malheureusement trompé par cette raté qui ne trouve un audimat que dans les médias poubelle.

  5. Ce qui est scandaleux, c’est le silence assourdissant de presque tous les médias et politiques européens sur ces massacres et les nombreuses vidéos d’embrassades des dictateurs iraniens et des politiques européens.
    Les mêmes politiques et journalistes qui attaquent à longueur de journée Israël par leurs mensonges refusent d’ attaquer l’Iran en disant la vérité.
    Ils sont complices des terroristes voulant détruire Israël et de la dictature sanguinaire des mollahs iraniens.
    Honte à eux.

    • Les médias français se taisent pour les crimes commis contre des Israéliens, pour les massacres des Blancs au Zimbabwe sous le régime de Robert Mugabe, pour les crimes commis contre les Kurdes par la Turquie et ses alliés, pour les massacres des Chrétiens au Nigéria etc…Sous-information et désinformation sont omniprésentes dans les médias francophones et anglophones. J’ignore ce qu’il en est des médias allemands, italiens ou espagnols mais je ne serais pas surpris que ce soit à peu près la même chose.

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