
Toulouse, 22 mai
Il est entré dans le musée juste après les coups de feu. Dans la confusion suivant les bruits d’une fusillade. Il est encore trempé de pluie. Le regard hagard. Il s’assied dans le hall. La trentaine, grosses lunettes, barbe courte & soignée. Une dame lui demande si ça va. Proposant même un verre d’eau. S’il n’est pas blessé. Quelques grognements. Il demande qu’on appelle la police. Les flics, vite. Et puis soudain il le dit. Sortant un grand keffieh de sous sa veste. C’est lui qui a fait ça. Les coups de feu, le double meurtre. Il a fait ça pour Gaza. Les flics, vite. Il n’opposera aucune résistance. Les menottes dans le dos, le regard hagard. Sur le vidéo on le voit crier ça. Au moment d’être embarqué. Il crie, très calmement. Free, Free Palestine. Il crie ça deux fois. Free, free Palestine. Puis il disparaît de l’image. Plus rien qu’un gros plan sur le vide & la sidération. Il est né à Chicago. Voilà trente ans. Il vient de tuer Sarah & Yaron. Un jeune & beau couple d’amoureux. Ils sortaient du cocktail. Une soirée la vie devant eux. Yaron venait juste d’acheter la bague. Pour des fiançailles prévues la semaine prochaine. Yaron voulait demander Sarah en mariage. À Jérusalem. C’est pour ça qu’il est mort. Tué à bout portant par Elias Rodriguez. Yaron est mort parce qu’il était juif. Sarah parce juive. Il voulait juste ça. Elias Rodriguez. Il voulait juste tuer des Juifs. N’importe lesquels, les premiers venus. C’est pour ça qu’on l’avait vu faire les cent pas. Ce mercredi soir devant le musée juif de Washington. Non loin de la Maison Blanche, tout près de l’immeuble du FBI. Il faut qu’ils sachent qu’ils ne sont en sécurité nulle part. Nulle part sur cette planète, les Juifs. C’est ça qu’il veut dire. Avec son fusil abandonné dans les broussailles, Elias Rodriguez. Ils sont à portée du premier tueur venu. Même ici, dans le cœur du pouvoir du monde. Il a réussi son coup. Noces sanglantes. Il a pris le temps d’achever Sarah qui rampait sur le trottoir. 21 douilles, pour être sûr. Ce n’est même plus l’antisémitisme qui tue. Mais l’antisionisme. Sur les radios du réveil tout un chacun témoigne de son effroi. Sauf Éric Coquerel sur RTL. Ça lui arracherait la langue. De condamner. Lui brûlerait la bouche. D’avoir un mot de compassion pour les deux innocents de Washington. Il ne peut pas dire crime antisémite. Pas dire meurtre antisioniste. Il préfère répéter que c’est à cause du génocide en cours à Gaza… À cause de la politique israélienne… Il est évident qu’à partir du moment où vous avez un tel déchaînement de violence, de haine, ça développe la haine de tous les côtés… Euh, voilà… C’est un peu ce que j’veux dire… C’est ça qui a tué Sarah & Yaron. Hier soir, à la sortie du cocktail organisé par l’American Jewish Committee. Sans paraître plus effaré que ça par cette rhétorique révisionniste le journaliste essaye mollement de faire tout de même dire au député de la LFI que c’est un acte antisémite ce qui s’est passé à Washington… Pour l’instant c’est deux agents, deux agents de l’ambassade israélienne… Donc… Il faudrait peut-être savoir pourquoi… Est-ce que c’est… Euh… Est-ce que l’homme a tiré… Encore une fois ce que je condamne… Euh… C’est pas la manière d’agir… Hein… Est-ce que l’homme a tiré… Toujours aussi mou le journaliste de RTL rappelle malgré tout que le tueur a criéFree Palestine… D’accord, ok… Free Palestine, excusez-moi… Demandez le le… Vu ce qui se passe à Gaza, demander que la Palestine existe et demander que ça s’arrête ne fait pas de vous forcément un antisémite… Euh… Ça fait de vous quelqu’un qui, euh, pense pouvoir défendre les droits des peuples palestiniens en allant jusqu’à tuer des Israéliens… En tout cas des agents de l’ambassade israélienne… Donc la chasse est ouverte… La chasse aux agents de l’ambassade, etc… Tuer des Israéliens ne fait pas de vous quelqu’un d’antisémite… Aucune réaction du journaliste de RTL qui laisse Éric Coquerel dérouler… Des crapauds sur le micro comme dans un mauvais conte de fée… Ça n’est pas la manière d’agir… Tuer Sarah & Yaron à la sortie du musée, le soir, une semaine avant leurs fiançailles… Qui donc délivrera les Palestiniens martyrisés de la peste du Hamas & du choléra de l’Islamo-gôchisme… Quel Pétrisseur de limon & d’argile… On voudrait savoir prier… Certains soirs… On laisse nos pauvres lèvres remuer les mots dans la nuit… Les mots du Psaume de Paul Celan traduit par Martine Broda… Loué sois-tu, Personne…
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© Yves Charnet

« Mots des autres », pp. 170-171.
« Ce texte fait partie d’une série en cours intitulée « Mots des autres ». Nouveau chapitre de « l’autofiction sans fin » entreprise depuis « Proses du fils » (La Table Ronde, 1993). Tentant de renouveler la poésie par l’autobiographie et l’autobiographie par la poésie, Yves Charnet travaille depuis trente ans à un véritable « self-portrait in progress », dont l’impossible somme pourrait s’intituler « Récis d’Yves » ou « Tentatyves ».

Soutien aux familles des victimes et à Israël. Quoique non juif,je suis horrifié par ce déferlement de haine antisémite en actes en paroles, à tous les niveaux de la société. Les discours antisémites de Macron, Starmer et Pedro Sanchez nourrissent cette haine et cette violence.