Ce qui fait le Juif : un retour au dialogue Sartre/Benny Lévy. Par Frédéric Sroussi

Dans Le nom de l’homme (sous-titré dialogue avec Sartre), le philosophe Benny Lévy exprime ce qui pour Sartre constitue « Le secret du Juif ».

Dans un vocabulaire empreint du lexique heideggérien, Benny Lévy écrit : « Le secret du fait juif réside dans la facticité du fait. Il faut partir de là avec Sartre. Dès ses premiers textes il soupçonne une manière juive d’être-au-monde : 

« Être juif, c’est être jeté, délaissé (souligné par Sartre) dans la situation juive et c’est, en même temps, être responsable dans et par sa propre personne, du destin et de la nature même du peuple juif. »

[…]

Au reste Sartre le dit, dans un tour embarrassé mais très étonnant de profondeur :

« Le Juif a comme nous un caractère et par-dessus le marché il est juif » .

[…] 

« Dans la mesure où pour le juif conscient et lucide son être-juif (qui est son statut pour les non-juifs) est intériorisé comme sa responsabilité par rapport à tous les autres juifs et son être-en-danger, là-bas, par telle imprudence possible provoquée par d’autres qui ne lui sont rien, sur lesquels il ne peut rien et qui sont chacun lui-même comme Autres […]  le juif […] représente […] le perpétuel être hors-de-soi-dans-l’autre des membres de ce groupement pratico-inerte […] » (in Critique de la raison dialectique

Et Benny Lévy de résumer avec force : « Etrange série ! Imaginons à Saint-Germain dans une queue de bus un numéro se sentir responsable des autres numéros !  » (Benny Lévy; Le nom de l’homme) 

C’est pourtant en effet être ça d’être Juif au quotidien ! Quand un Juif parle publiquement, que je l’aime ou que je ne l’aime pas, que je le connaisse ou que je ne le connaisse pas, que je sois d’accord avec lui ou que je ne le sois pas :  il parle au non-juif en mon-nom (du fait de cette (co)responsabilité qu’énonce Sartre). 

Je n’ai pourtant rien demandé ! Les Juifs sont vus par le non-juif comme représentant une monade. Dès lors, le non-juif sereprésentele peuple juif comme insécable. Je me trouve souvent dans la situation névrotique de devoir défendre un Juif (ou une Juive) attaqué (pour une raison qui ne relève pas de la morale ou de la légalité) quand bien même mon désaccord avec lui serait (presque) total car je sais que ce n’est pas son « caractère » (Sartre, voir supra) qui est attaqué, mais son « par-dessus-le marché-juif ». Ce qui a l’air d’être un ajout chez Sartre (« Le Juif a comme nous un caractère et par-dessus le marché il est juif ») devient son essentialisation. Le Juif de droite pourra être honni par des non-juifs de gauche, plus parce qu’il est juif que parce qu’il est de droite, et vice-versa. 

Je pense que cette co-responsabilité du Juif pour le Juif (pour son Peuple) doit être vue comme un projet de Dieu (et donc une mission) qui fait que nous faisons peuple ! Je suis l’otage – non pas au sens lévinassien de l’Autre-quel-qu’il-soit mais de l’autre Juif parce que nous faisons corps. Peut-être que l’expression esprit de corps est la plus idoine pour définir la (co)responsabilité des Juifs et la philosophie qui en découle. 

Sous le sous-chapitre du livre de B. Lévy intitulé : Le secret du Juif, nous trouvons plusieurs de ces « secrets » que Sartre décrit (dont celui de la (co)responsabilité), et je désire ici en ajouter un autre dont parle l’auteur de Réflexions sur la question juive en mentionnant cette phrase qui me paraît primordiale : « A bien considérer, je crois que l’essentiel chez le juif, c’est que depuis plusieurs milliers d’années il a un rapport avec un seul dieu…»

Ce qui m’intéresse dans cette pensée n’est pas ce qu’en conclut Benny Lévy quant au « rapport de hauteur instituant le plan de « l’existence éthique des hommes les uns pour les autres. » et dont Levinas n’a eu de cesse de parler ; non, ce qui est marquant est que ce rapport du Juif avec ce seul Dieu fonde en fait l’« ipséité collective » de l’identité juive.

Ce rapport à ce seul Dieu que les Juifs du monde entier cultivent depuis des millénaires représente le sceau ou l’ADN de l’identité juive de part le caractère exclusif que les Juifs entretiennent avec justement ce seul Dieu dont parle Sartre. 

© Frédéric Sroussi

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