Disparition de Jean-Pierre Winter, géant de la psychanalyse. Par Valérie Marin La Meslée pour Le Point
Psychanalyste et essayiste, Jean-Pierre Winter s’est éteint le 9 décembre à l’âge de 74 ans. Il a cofondé et présidé le Mouvement du Coût freudien, et publié de nombreux livres incontournables.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre, a annoncé sa famille, Jean-Pierre Winter s’est éteint à l’âge de 74 ans, à Paris, des suites d’une longue maladie. Avec ce psychanalyste et essayiste brillantissime que les lecteurs du Point connaissent bien disparaît une somme, de savoir et d’humanité. Juif de parents hongrois réfugiés en France, il racontait lors du discours de réception de sa Légion d’honneur – que lui remettait François Sureau en octobre 2023 – comment, dès ses 14 ans, il accompagnait sa mère pour le renouvellement de sa carte de séjour tandis que les huissiers saisissaient les meubles parce que son père, tailleur dans le Sentier, n’arrivait pas au bout du mois bien que travaillant « comme un damné ». Jean-Pierre Winter, lui aussi, travaillait comme un damné. Mais un damné heureux – si cela n’existe pas, il l’aura inventé.
Il se retrouve Paris à l’âge de 16 ans, la famille ayant rejoint Israël, il vivote avec le soutien de personnes remarquables dont un prof qu’il aimait à citer, et en donnant des cours d’hébreu, mais sait déjà ce qui l’attend. À 14 ans, en effet, une émission de radio lui a révélé son destin, et mis sur la piste des écrits de Freud. Il sera psychanalyste. Et dans la difficulté – à la limite de la survie – où il se trouve, le voilà qui passe à l’acte et appelle carrément Jacques Lacan. Qui le reçoit ! « J’en ai pris pour dix ans, à raison de six séances par semaine ! » disait celui qui s’en référait au maître, tout comme à Françoise Dolto, avec laquelle il publia des entretiens.
Une plume prolixe
Jean-Pierre Winter a cofondé et présidé le Mouvement du Coût freudien, il a œuvré partout, de séminaires en colloques – et notamment en Martinique –, à la transmission de la psychanalyse à laquelle il a voué sa vie. Mais ce lecteur insatiable, féru de littérature, admirateur de Georges Shéhadé pour ne citer que lui, laisse aussi une œuvre passionnante. Citons seulement : Dieu, l’amour et la psychanalyse (avec Anne Dufourmantelle, Bayard), Les Errants de la chair (Calmann Lévy), sur le sujet rare de l’hystérie masculine, ou encore Les Hommes politiques sur le divan, Calmann-Lévy, 1995.
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Car Winter aimait à confronter son art à la comédie de chaque jour, aux remous de l’actualité. C’est ainsi qu’il intervenait souvent dans les médias, ou en réaction à un événement tel le 11 septembre 2001, avec Stupeur dans la civilisation (Pauvert). Ces dernières années, il avait signé plusieurs articles et ouvrages affirmant ses positions contre l’homoparentalité qui lui valurent des accusations qui désolaient ceux qui le connaissent bien. Homophobe, Winter ? Impossible. Mais indissociable de la figure du « Père ». Ah ça oui, mais à distance de tout militantisme. Parmi les derniers ouvrages qu’il a donnés à son éditrice et amie Mathilde Nobécourt figure justement L’Avenir du père (Albin Michel)
On se demandait si cet homme à l’allure de Moïse ne connaissait pas la Bible par cœur mais son intérêt, rappelle son éditrice, le portait aussi vers la pensée juive profane. Il a également été membre de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église). Sa patientèle le pleurera tant il était à l’écoute. Et l’on songe à son épouse, à ses trois fils, et à ses nombreux petits-enfants, qui comblaient ce patriarche. Au sourire solaire, à l’humour à fleur de propos, à l’intelligence généreuse incarnée. Jean-Pierre Winter.
« Il n’y a de liberté que pour celui qui sait ce qui le détermine », disait-il.

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