
Avec « Dépasser la démocratie libérale », Franck Martini livre un brûlot intellectuel qui tranche dans le confort feutré du discours politique occidental en affirmant que la démocratie libérale n’est plus qu’un décor, « un hologramme » derrière lequel s’exerce la domination d’une caste transnationale coupée de ses racines, et en se situant dans la lignée des grands critiques du pouvoir, de Lasch à Debray, de Chesterton à Huntington, il plaide pour un retour à une souveraineté réelle et substantielle

Un monopole idéologique clos sur lui-même
Dès les premières pages, Martini démonte le récit fondateur des démocraties libérales qui prétendent constituer « le couronnement du processus civilisationnel sur le plan politique » et qui, dans une logique qu’il résume d’une formule, « claironnent que l’on n’a de choix qu’entre elles ou la tyrannie » , ce qui revient à réduire toute autre expérience politique à une forme d’archaïsme. Cette posture messianique rejoint l’analyse d’Isaiah Berlin sur le danger d’un monisme politique qui refuse la pluralité des conceptions du bien. Dans la continuité de Karl Popper, Martini dénonce la fausse opposition entre sociétés ouvertes et sociétés fermées, opposition qui sert moins à décrire le réel qu’à légitimer un impérialisme culturel et géopolitique . Comme Tocqueville l’avait observé en son temps, la passion égalitaire peut soutenir la liberté mais aussi se retourner contre elle, et Martini constate que, dans l’Occident contemporain, elle a été capturée par un système incapable de se réinterroger.
Deux crises révélatrices d’un système fermé
Martini distingue ce qu’il nomme une crise effective, produite par les contradictions internes du système avec la dissolution des repères, l’atomisation sociale et la disparition de l’autorité , et une crise latente, qui tient à « ce sentiment… que le monde dans lequel nous vivons n’est pas le monde qu’il affirme être » et qui manifeste un écart croissant entre discours et réalité. Selon lui « le logos a pris le pouvoir » et s’est détaché du réel, réduisant l’objectivité à « un des derniers liens substantiels au réel » que représente l’argent . Cette idée rappelle la critique platonicienne des sophistes mais aussi la mise en garde d’Hannah Arendt contre l’idéologie qui remplace la vérité factuelle par un récit autojustifié. Et lorsque Martini souligne que nous vivons dans un « contrefait » permanent , il rejoint la réflexion marxienne sur l’aliénation tout en s’en distinguant par son refus de réduire l’analyse à une seule dimension économique.
La sécession des élites : un divorce politique et anthropologique
En reprenant la formule de Christopher Lasch, Martini décrit une rupture organique entre peuple et élites et affirme que « lorsque les élites ont peur du peuple, ou le méprisent, ou veulent l’effacer… on peut parler de fausse démocratie » . Cette idée rejoint celle de Julien Freund pour qui la politique suppose une communauté de destin sans laquelle l’État se réduit à une machine administrative. Or pour Martini, la « caste dominante » œuvre consciemment à « l’abolition des frontières et à la perte de souveraineté » , ce qui détruit le lien avec l’héritage historique et culturel, et rejoint la thèse de Régis Debray dans Éloge des frontières selon laquelle l’effacement des limites physiques s’accompagne toujours d’un effacement des repères symboliques. D’un point de vue anthropologique, Martini insiste sur le fait que le peuple n’est pas une simple addition d’individus mais une totalité organique dont la dissolution transforme l’homme lui-même en consommateur déraciné, ce qui fait écho aux analyses de Georges Dumézil sur le lien entre structures sociales et formes de la conscience collective.
Loi d’airain et démocratie confisquée
En citant Robert Michels, Martini évoque la « loi d’airain de l’oligarchie » selon laquelle toute organisation démocratique tend à se transformer en système dirigé par une minorité stable et il affirme que « la démocratie libérale est en train de détruire l’idée de démocratie » en réduisant l’aspect social à « une rétribution momentanée des employés, un arrangement provisoire » . La formule de Rousseau dans le Contrat social — « Le peuple anglais pense être libre, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement » — prend ici une résonance contemporaine puisque Martini constate que le suffrage universel est devenu un rituel où l’on choisit parmi des candidats préalablement validés par le système , ce qui revient à confisquer non seulement le pouvoir populaire mais aussi la souveraineté nationale.
La séparation des pouvoirs : d’équilibre à verrouillage
Si Montesquieu voyait dans la séparation des pouvoirs la condition de la liberté politique, Martini constate qu’elle fonctionne désormais comme un verrou car « le filet de la séparation des pouvoirs offre la garantie que la souveraineté populaire ne fera que ce qu’on lui a préparé » . Lorsque « les mêmes étant partout » — qu’il s’agisse des membres du Conseil constitutionnel, des gouvernements, des directions économiques ou des grands médias — partagent « une seule vision du monde » et « des intérêts similaires » , la séparation n’est plus qu’une fiction institutionnelle. Ce diagnostic rejoint celui de Gaetano Mosca sur la permanence d’une minorité organisée qui détient le pouvoir et il croise aussi l’analyse gramscienne de l’hégémonie culturelle selon laquelle l’ordre dominant se maintient en saturant l’espace symbolique et médiatique, empêchant toute émergence d’un contre-récit structuré .
Sortir du masque occidental : vers une République populaire
Martini ne plaide pas pour la table rase mais pour « penser un modèle alternatif possible » capable de rompre avec les prémisses libérales, un modèle qui conjugue « le partage du commun » et « la construction intime et personnelle » dans une société différenciée mais orientée vers l’élévation où l’égalité n’est pas synonyme de nivellement mais condition de la citoyenneté. Dans cette perspective, il rejoint le constat de Samuel Huntington sur la « ré-indigénéisation du monde » et appelle à « revenir à l’Europe derrière le masque de l’Occident » afin de retrouver un cours historique propre et d’échapper au « cynisme et au nihilisme » qui minent nos sociétés.
Franck Martini pose un vrai verdict
Dépasser la démocratie libérale n’est pas seulement un pamphlet contre les illusions de la démocratie contemporaine. C’est un essai philosophique, politique et anthropologique qui dialogue avec une longue tradition critique — de Montesquieu à Lasch, de Rousseau à Huntington — pour rappeler que « la démocratie n’est pas condamnée à servir de marchepied à l’individualisme radical ». Martini pose la question que nos élites refusent d’entendre : « Que voulons-nous au juste ? »
© Yves-Alexandre Julien
« Dépasser la démocratie libérale. Pour une République populaire ». Franck Martini. Éditions Godefroy de Bouillon
Pour télécharger la version PDF de l’argumentaire de Franck Martini, merci de cliquer ICI
Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)

La novlangue est devenue le langage, ou l’antilangue, commun : des régimes politiques où le pouvoir est soutenu par moins de 20% de la population (15 à 20% de collabos), où les référendums sont annulés s’ils dérangent le dit pouvoir, où la censure et l’absence de liberté d’expression sont si fortes que le simple fait de nommer les choses est criminalisé, où il n’existe aucune sécurité et aucun État de droit s’autoproclament « démocraties libérales » !…Et au besoin n’hésitent pas à qualifier de dictature un pays où les gens sont globalement plus libres, beaucoup plus en sécurité et où le pouvoir est soutenu par plus de 80% de la population.
Commençons d’abord par nommer les choses et remettre les choses à l’endroit. Tant qu’il ne sera pas possible de dire publiquement que 2 et 2 = 4, toute idée de liberté politique restera un conte pour enfants.