Reconnaître la Palestine sans gouvernement : l’illusion présidentielle et la forfaiture constitutionnelle

Par Richard Abitbol


« Le coup d’État permanent est en marche. » — Gaston Monnerville, 1962

La Constitution de 1958 a été conçue pour sortir la France de l’instabilité de la IVe République. Mais elle n’a pas fait de la France un régime présidentiel : elle a renforcé le pouvoir exécutif sans lui retirer son caractère parlementaire. C’est une évidence que l’on oublie trop souvent.
• Article 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. »
• Article 21 : « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. »

Ces deux articles établissent une vérité simple : c’est le Gouvernement, et non le Président, qui conduit la politique, intérieure comme extérieure.

Le Président, lui, a des fonctions précises et limitées :
• Article 52 : il « négocie et ratifie les traités ». Mais la reconnaissance d’un État n’est pas un traité : ce n’est ni une négociation, ni une ratification. C’est une orientation politique.
• Article 14 : il accrédite les ambassadeurs. C’est une fonction protocolaire, non décisionnelle.
• Article 5 : il est « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».

Mais cette mission est symbolique, elle n’ouvre aucun pouvoir direct.
La conclusion s’impose : aucun article ne donne explicitement au Président le droit de reconnaître un État. C’est un acte de politique étrangère, donc de Gouvernement.

La dérive gaullienne : l’usage contre la règle

Si le texte est clair, pourquoi la pratique est-elle différente ? La réponse tient en un nom : de Gaulle.
En 1964, il décide de reconnaître la Chine populaire. Ce geste diplomatique majeur est pris à l’Élysée, non à Matignon. Il marque une rupture : le Président se place comme chef de la diplomatie.
Mais cette pratique ne repose pas sur le texte : elle repose sur l’autorité politique de de Gaulle, adossée à une Assemblée de « godillots ». Quand le Parlement obéit, l’entorse à la règle se transforme en usage.
C’est déjà une coutume contra constitutionem : une coutume contre la Constitution. En droit, une telle coutume ne crée pas de règle, elle masque seulement une transgression.
De Gaulle avait d’ailleurs déjà ouvert la voie à cette logique avec le référendum de 1962, par lequel il impose l’élection du Président au suffrage universel direct, en dehors de la procédure prévue à l’article 89. Ce fut, selon les constitutionnalistes de l’époque, une forfaiture.

L’illusion du suffrage universel direct

Ce coup de force de 1962 a transformé le régime. Non pas en droit, mais en apparence. Dès lors qu’il est élu directement par le peuple, le Président bénéficie d’une légitimité incomparable. Mais cette légitimité n’a pas été traduite en pouvoirs nouveaux dans la Constitution.
• Il n’est pas chef de l’exécutif : ce rôle appartient au Gouvernement.
• Il n’a pas la maîtrise de la politique : elle est déterminée par le Gouvernement, sous le contrôle du Parlement.
• Ses pouvoirs propres sont limités : dissolution de l’Assemblée (art. 12), recours aux pouvoirs exceptionnels (art. 16), nomination du Premier ministre (art. 8).
Le reste est illusion. Illusion d’un présidentialisme absolu, née du suffrage universel, mais qui n’a jamais existé juridiquement.
En comparaison, le président américain dispose réellement de pouvoirs exécutifs : il dirige l’administration, signe les lois, négocie les traités, commande l’armée. Rien de tel en France.

Cohabitation et limites de l’illusion

La cohabitation a servi de rappel brutal : trois fois, la France a expérimenté le retour à la lettre de la Constitution.
• 1986–1988 : Mitterrand cohabite avec Chirac.
• 1993–1995 : Mitterrand cohabite avec Balladur.
• 1997–2002 : Chirac cohabite avec Jospin.
Dans ces périodes, le Président n’aurait jamais osé reconnaître seul un État étranger. La politique étrangère, même marquée par des nuances présidentielles, était conduite par le Gouvernement.
Preuve par l’absurde : si le Président ne pouvait pas le faire en cohabitation, c’est bien que ce pouvoir n’existât pas juridiquement. Ce que la cohabitation a démontré, c’est que la lecture présidentialiste n’était qu’une construction politique, pas un droit.


La situation actuelle : vide gouvernemental et chaos politique

Jamais depuis 1958 la France n’a connu un tel chaos institutionnel.
• Un Premier ministre a été nommé.
• Mais aucun gouvernement n’a été constitué.
• Les ministres n’existent pas, et l’exécutif ne gère que les affaires courantes.
• Le Parlement est éclaté, sans majorité claire.
Dans ce vide politique, Emmanuel Macron annonce vouloir reconnaître la Palestine. Or, la reconnaissance d’un État est un acte majeur de politique étrangère. Elle engage la France pour des décennies. Elle suppose un gouvernement responsable et un Parlement associé.
Peut-on sérieusement la ranger dans les « affaires courantes » ? Évidemment non.
C’est donc un acte anticonstitutionnel, un abus de pouvoir, une confiscation des prérogatives de l’exécutif collectif.

Comparaisons internationales

Pour mesurer l’ampleur de l’anomalie française, il suffit de regarder ailleurs.
• Allemagne : c’est le Chancelier et son gouvernement qui conduisent la politique étrangère. Le Président fédéral, élu par l’Assemblée fédérale, n’a aucun pouvoir en ce domaine.
• Italie : le Président de la République représente l’unité nationale, mais c’est le gouvernement qui décide et conduit la politique internationale.
• Israël : le Président est une figure symbolique. Toute la politique étrangère est du ressort du gouvernement et du Premier ministre.
La France est la seule démocratie parlementaire où le chef de l’État a usurpé ce rôle par la pratique, et non par le droit.

De l’entorse à la forfaiture : un putsch présidentiel rampant

Quand l’usage est toléré dans un cadre stable — majorité soumise, gouvernement en place —, on peut fermer les yeux, tout en sachant que l’entorse reste une dérive.
Mais quand il n’y a ni majorité ni gouvernement, l’usage devient usurpation. Et l’usurpation devient forfaiture.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron ne s’appuie ni sur le texte de la Constitution, ni sur une majorité parlementaire, ni sur un gouvernement constitué. Il agit seul, par la seule force d’une légitimité illusoire issue du suffrage universel direct.
Cela ne relève plus d’une simple dérive présidentialiste. Cela relève d’un coup de force, d’un putsch présidentiel rampant, qui confisque au Gouvernement et au Parlement des prérogatives que la Constitution leur confère explicitement.


Conclusion : l’illusion contre le droit

Reconnaître la Palestine dans ces conditions n’est pas seulement un choix politique contestable. C’est un acte anticonstitutionnel, une forfaiture comparable au référendum de 1962.
La Constitution est claire : la politique de la Nation appartient au Gouvernement. Le Président n’a qu’une façade de pouvoir, issue du suffrage universel direct, mais pas de compétence juridique en ce domaine.
Tant que l’on fermera les yeux sur ces abus, la République restera vulnérable aux coups de force du pouvoir personnel. Le droit, pourtant, est simple : le Président ne peut pas reconnaître un État. Point.

© Richard Abitbol

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1 Comment

  1. Il y avait déjà le 9-3, département presque totalement islamisé et que les Juifs sont contraints d’abandonner pour leur sécurité mais qui suscite néanmoins sans le moindre problème l’admiration d’un macron, pour qui il représente « la Californie sans la mer » – il fallait déjà oser – alors la reconnaissance d’un état palestinien, c’est juste la cerise sur le gâteau macronien (et mélenchonien). La totale, l’antisémitisme et la haine d’Israël (sans oublier le mépris des Français) au carré !

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