Sale Juif, retourne en Palestine ! Par Daniel Horowitz

J’avais six ou sept ans, élève dans une école juive d’Anvers. Mon frère, de cinq ans mon aîné, y était inscrit lui aussi. Nos sorties suivaient un rituel : il partait en éclaireur, tandis que j’attendais devant la grille. Un peu plus loin, à un carrefour fréquenté par des élèves d’écoles publiques voisines, un petit groupe d’adolescents nous guettait. Insultes, bousculades, parfois des coups — toujours le même refrain, scandé comme un mantra : « Sale Juif, retourne en Palestine ! »

Je les ai entendus avant de les comprendre. Ils m’ont appris qu’un trajet ordinaire pouvait, pour un Juif, devenir un passage à risque. J’ai compris ensuite que cette hostilité n’était pas spontanée, mais transmise. Elle circulait dans les familles non juives, s’insinuait dans les conversations, se glissait dans l’allusion, la raillerie, le dicton. Ce n’étaient pas des opinions isolées, mais les dépôts d’une longue sédimentation : un héritage de siècles d’antisémitisme chrétien, ravivé pendant l’occupation nazie et encore actif après la guerre dans la mémoire collective. L’injure n’était pas un mot isolé : elle appartenait à un répertoire ancien, réactualisé et propagé par mimétisme social.

En Europe occidentale, les sociétés d’après-guerre se reconstruisaient sur une promesse démocratique proscrivant le discours antisémite. Mais cela n’effaçait pas les représentations héritées : elles se déplaçaient vers un registre plus discret, intime, où elles restaient en veille. L’antisémitisme demeurait dans la sphère privée sans être désarmé, prêt à ressurgir.

La Belgique d’alors offrait l’illusion d’un changement : Israël, jeune État né des cendres de la Shoah et victorieux face aux Britanniques en Palestine, bénéficiait d’un capital de sympathie. L’antisémitisme avait perdu droit de cité dans l’espace public, et la loi sanctionnait son expression. Certains Juifs pouvaient croire l’acceptation possible.

Cet équilibre fragile se brisa en 1967, lors de la guerre des Six Jours. La victoire d’Israël inversa l’image : de victime perpétuelle, le Juif devint l’incarnation d’un État fort. Loin d’apaiser les ressentiments, cette perception leur offrit un nouveau cadre. L’antisémitisme trouva alors un relais dans le monde arabe, où la défaite fut vécue comme une humiliation. Les clichés antijuifs européens y furent importés, adaptés, amplifiés, et combinés à un antisémitisme de tradition islamique. De cette fusion naquit un discours transnational qui, pour la première fois, put s’adosser à des mots d’ordre universels : anticolonialisme et droits de l’homme. Derrière ce vernis moral, le mécanisme restait le même : désigner les Juifs comme collectif coupable.

Séduite à ses débuts par l’image d’Israël pionnier et socialiste, la gauche adopta progressivement un antisionisme radical, glissant vers un antisémitisme masqué par le lexique de la cause palestinienne. Ce courant trouva un terrain d’alliance avec l’islamisme. De cette convergence naquit l’islamogauchisme, où le langage des droits de l’homme se mêle à celui de la haine antijuive dans un délire accusatoire.

Ce glissement modifia la nature du phénomène. L’antisémitisme ne s’affichait plus comme préjugé ou haine religieuse, mais comme posture éclairée, indignation légitime. Le vocabulaire se poliçait, mais les ressorts demeuraient : essentialisation, culpabilisation collective, exclusion symbolique.

En 1981, un attentat à la bombe frappa le quartier diamantaire d’Anvers, causant de nombreuses victimes et d’importants dégâts. Les années suivantes furent marquées par d’autres attentats, des menaces et un arsenal sécuritaire : caméras, contrôles, stationnement interdit devant les institutions juives, gardes armés à leurs portes. Les écoles furent ceintes de blocs de béton, surveillées par des vigiles en gilet pare-balles et des patrouilles de police. Nous apprenions à trouver normal de conduire nos enfants sous protection.

Ainsi, le quotidien de la communauté juive devint celui d’une vigilance permanente : non plus une réaction face à un danger ponctuel, mais une donnée structurelle de l’existence. Une génération après la Shoah, le Juif devait encore vivre avec l’idée que son identité l’exposait à un danger particulier.

L’antisémitisme imprègne les représentations, façonne les comportements, détermine la place assignée aux Juifs. Les violences visibles laissent des cicatrices, mais la permanence souterraine agit en profondeur. L’antisémitisme est un bruit de fond idéologique qui varie au gré des conjonctures géopolitiques. Sa plasticité garantit sa persistance et lui permet de quitter l’ombre pour redevenir actif à tout moment.

Phénomène ancien, enraciné, polymorphe, il mute, se recycle, s’adapte aux régimes et aux idéologies dominantes, traversant les siècles sans perdre sa vigueur. Il ne relève pas d’un défaut de connaissance, mais d’une construction mentale tenace, irrationnelle, qui résiste à toute explication cohérente.

La riposte à l’antisémitisme ne réside ni dans l’éducation, ni dans la laïcité, ni dans l’humanisme, ni même dans les politiques antiracistes ou l’extension des droits démocratiques. Ces démarches sont justes et nécessaires, mais elles n’atteignent pas la racine du mal. L’histoire l’a démontré : aucune société n’a été préservée de la haine antijuive par la seule vertu de ses principes.

Le peuple juif ne peut compter sur la disparition de l’antisémitisme. Inscrit dans les cultures occidentales et dans l’Islam, enraciné dans des strates profondes de mémoire et de représentations, il ne disparaîtra pas de lui-même. C’est pourquoi l’État d’Israël n’est pas une réponse conjoncturelle à l’histoire récente : il est l’aboutissement d’un chemin, le rétablissement d’un peuple dans sa terre et dans son statut de sujet souverain. L’État d’Israël n’est pas une option : c’est le retour du peuple juif dans l’Histoire.

© Daniel Horowitz

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10 Comments

  1. Merci de vôtre tribune.
    Je l’avais posté sur mon compte
    #SosOtages sur X. X m’a contacter pour me demander de l’enlever sinon punition. Juste parce que nous n’avons plus dire que l’ont nous traite de sales juives.
    Lehaïm 🇮🇱🎗️

  2. Que d’amalgames… L’islamogauchisme, dites-vous ? On croirait entendre les représentant du Rassemblement National, dont les racines — faut-il le rappeler — sont historiquement antisémites.

    • Vos propos ne sont pas des arguments , ils sont pauvres , prouvent que vous avez l’esprit obtus , lisez et relisez cet article , peut-être finirez vous par comprendre …pour cela effacez tous vos préjugés , vos a priori , vos soi disant connaissances

    • @Kaze Il s’agit de l’islamofascisme. En France : macronistes, « socialistes » rose-bruns, « écologistes » vert-bruns et mélenchonistes rouge-bruns. Historiquement traîtres à leur pays, complices de la barbarie islamiste, racistes et antisémites. On devine aisément que vous appartenez à cette engeance.

  3. je suis né en Algérie Française en 1946, avec mes parents nous habitions dans un village de 5000 habitants dans une maison avec une cours intérieure où les 3 religions vivaient en parfait harmonie, juifs, catholiques et musulman (c’etait une femme musulmane veuve qui vivait seule, qui avait fait son pèlerinage à la Mecque et respectée par toute la communauté musulmane du village comme une sainte), elle m’a vu naitre et pour elle j’etais comme un fils qu’elle n’avait jamais eu et me montrait beaucoup d’affection. Il y avait une petite communauté juive dans le village assez pour faire le Mynian. Aussi loin que je me rappelle je n’ai jamais eu à souffrir de ma judaïté (par contre mes parents m’ont raconté que durant la période de guerre il y avait quand même un antisémitisme sans violences mais des remarques souvent désobligeantes) par contre les arabes ont été nos meilleurs alliés à cette époque, pour preuve, un débarquement annoncé de troupes étrangères en Algérie que tous le monde pensait être des allemands, tous les juifs du village ont fuit dans les montagnes environnantes, accueillis, cachés et nourris par ces mêmes arabes, finalement c’etait les américains, le grand soulagement. Avec ma famille nous avions quitté le village avant la fin de la guerre en 1959, tout le village nous a regretté, j’ai appris par la suite que juste avant la grande migration des pieds noirs, les communautés n’ont plus eu la même attitude paisibles entre elles, dommage, mais j’ai gardé de très bons contacts avec des musulmans qui ont été et qui sont restés mes amis qui, souvent me font part de leurs regrets d’avoir vu la France partir.

    • Bonsoir
      Moi je né en Tunisie, et en vous lisant, j’ai eu l’impression de me lire.
      Je n’aimais plus ce pays, et je suis venu en France seul à 16 ans (en 1965) et j’y suis heureux depuis 60 ans. Cependant, je n’ai jamais cessé de passer 2 ou 3 semaines par an, et rien n’a changé (L’appartement où je suis né aussi:) J’ai arrêté depuis qu’il y a ce fou à la tête du pays, mais comme vous j’ai gardé de très bons amis qui ne cessent de me demander de revenir. Pour revenir à cet excellent article; jamais un arabe ne m’a traité de sale juif, c’est même le contraire. Passons! Ce que je veux dire c’est que je suis persuadé que bien sûr beaucoup d’arabes qui vivent en France ne nous aiment pas, mais je pense qu’il ne sont pas la majorité et franchement je m’en fiche.
      En revanche, je suis convaincu que la première personne qui a fait revivre l’antisémitisme est Charles de Gaules en 1967, (je sens que je vais me faire insulter 🙂 comme vous l’expliquez très justement.

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